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La question de l’employabilité des jeunes qualifiés de l’enseignement et de la formation techniques et professionnels au Burkina Faso

Publié le mardi 18 juillet 2023 à 09h42min

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Le Burkina Faso est doublement confronté au chômage et au sous-emploi des jeunes. En milieu urbain, environ 30% des jeunes sont au chômage et le milieu rural est caractérisé par le sous-emploi, du fait de la prédominance de l’agriculture qui dure trois à cinq mois par an.

Certes, pendant longtemps, le Burkina Faso a mis l’accent sur l’enseignement général, mais, au cours de la dernière décennie, des mesures ont été prises en vue d’accroître l’offre d’enseignement et de formations techniques et professionnelles (EFTP). Pour l’instant, seulement 5% des jeunes de 16 à 35 ans bénéficient d’une formation technique et professionnelle. Et en termes d’infrastructures d’accueil des apprenants, le poids de l’EFTP dans le système éducatif national est à peine égal à 10% (BAD et OIT, 2014).

Le paradoxe est que les bénéficiaires de ces formations éprouvent des difficultés à s’insérer sur le marché de l’emploi. En effet, selon une enquête réalisée par l’Observatoire National de l’Emploi et de la Formation (ONEF, 2017), le taux d’insertion socioprofessionnelle des sortants des centres de formation professionnelle était de 39,2%. Cette étude a concerné les apprenants qui avaient achevé leur formation entre 2010 et 2015 (Tougma, 2019).

Considéré comme étant la principale voie pour l’emploi ou l’auto-emploi des jeunes, l’EFTP est donc loin d’atteindre les résultats escomptés, avec seulement 39,2% d’insertion socioprofessionnelle des sortants. Quels sont les principaux obstacles à l’insertion socioprofessionnelle de ces jeunes formés ? Et comment pourrait-on y remédier ?

Ainsi, cet article vise à observer la situation de l’emploi des jeunes de l’EFTP, à analyser les obstacles majeurs à l’emploi ou à l’auto-emploi de ces jeunes et à formuler quelques suggestions, en vue de l’amélioration de la situation.

2. Méthodologie / Matériel et méthodes

Pour ce faire, nous nous sommes basés sur les rapports diagnostics de l’emploi des jeunes, l’enquête intégrale sur les conditions de vie des ménages (EICVM, 2009/2010), les résultats d’enquêtes de l’ONEF et les résultats de l’enquête réalisée par W. Jérémie Tougma dans le cadre de son mémoire de Master (2019). C’est donc une recherche essentiellement documentaire.

3. Résultats

3.1. Un aperçu de la situation de l’emploi des jeunes de l’EFTP

Au Burkina Faso, les jeunes de 16 à 35 ans qui représentent 61% de la population active connaissent d’énormes difficultés sur le marché de l’emploi. En effet, « le secteur moderne ne recrute que 12,5% de jeunes de l’enseignement général par an. Toutefois, de façon détaillée, il est établi que le niveau d’instruction favorise l’accès à ce secteur d’activité, car, 84,5% de jeunes qui y travaillent ont un niveau d’enseignement supérieur, contre 50,4% pour les jeunes de niveau secondaire 2nd cycle, 19,3% pour ceux du niveau secondaire 1er cycle, 9,1% pour ceux du primaire et 1,6% pour ceux qui n’ont jamais été à l’école » (BAD et OIT, op.cit., pp.26-27). C’est ce qui est présenté par l’histogramme 1 du graphique 1 ci-dessous.

D’autre part, selon la même enquête, la formation technique et professionnelle offre plus de possibilités d’emplois aux jeunes que l’enseignement général. En effet, 48,9% des jeunes qui ont bénéficié d’une formation technique et professionnelle sont employés dans le secteur moderne dont 24% dans le secteur privé moderne. L’histogramme 2 du graphique 1 ci-dessous, présente ainsi, le taux de recrutement dans le secteur moderne des jeunes issus de la formation technique et professionnelle qui est de 48,9%, contre 12,5% pour ceux de l’enseignement général et 1,6% pour ceux n’ayant aucune formation.

Graphique 1 : Proportion des jeunes employés dans le secteur moderne selon le niveau d’instruction dans l’enseignement général (histogramme 1) et selon le type de formation reçue (histogramme 2) en (%).

En somme, nous avons pu constater que les résultats d’enquêtes réalisées auprès des sortants de l’EFTP étaient assez divergents, mais ne se contredisent pas. Par exemple, selon l’enquête réalisée par l’ONEF (2017) auprès des apprenants qui avaient achevé leur formation entre 2010 et 2015, le taux d’insertion professionnelle était plutôt de 39,2% (Tougma, op.cit., p.9).

De même, selon l’enquête réalisée par Jérémie Tougma auprès de 122 jeunes titulaires du Certificat de Qualification Professionnelle (CQP), du Brevet de Qualification Professionnelle (BQP) ou du Brevet Professionnel de Technicien (BPT), dans une vingtaine (20) de filières et provenant de trois (03) centres de formation professionnelle (CFP) que sont ( le CFP de Référence de Ziniaré (CFPRZ), le Centre d’évaluation et de formation professionnelle de Ouagadougou (CEFPO), le CFP de l’Agence Nationale pour l’Emploi de la Région du Centre (CFP/ ANPE)), seulement 20,5% des enquêtés avaient trouvé un emploi, 4,9% étaient dans l’auto-emploi, 34,4% étaient en stage, 7,4% poursuivaient une formation et 32,8% étaient en quête d’emploi (Tougma, 2019). Cette enquête révèle un taux d’insertion socioprofessionnelle encore plus faible pour les sortants de ces CFP.
Quels sont les obstacles majeurs à l’emploi ou à l’auto-emploi de ces jeunes formés ?

3.2. Obstacles majeurs à l’emploi/l’auto-emploi des jeunes de l’EFTP

Dans cette analyse, nous avons retenu trois (03) obstacles majeurs, renfermant chacun de nombreuses difficultés.

3.2.1. L’inadéquation entre formations et besoins de compétences des secteurs d’activités économiques du Burkina Faso
L’employabilité d’un individu revêt trois dimensions, à savoir :
- la possibilité de s’insérer dans une entreprise qui a besoin de ses compétences ;
- la possibilité de créer son propre emploi grâce à des compétences acquises dans un métier ;
- la possibilité d’être plus efficace et plus productif dans l’exercice d’un emploi.

Autrement dit, le niveau d’employabilité d’une population traduit l’état de l’adéquation entre le profil de formation de cette population avec les besoins de compétences de son environnement économique (BAD et OIT, op.cit.).

Or, notre système éducatif (enseignement général et EFTP) produit des compétences en trop grand nombre selon les filières, en inadéquation avec les besoins de compétences des trois secteurs d’activités économiques. Par exemple, dans le secteur agro-sylvo-pastoral qui représente environ 80% des emplois, seulement 0,2% de la population active de 16 à 64 ans est formée dans ces métiers (BAD et OIT, op.cit.).

Autre exemple, en milieu urbain, pour les jeunes actifs formés aux métiers de l’agriculture, du génie civil, de la construction et du bois, le taux de chômage est quasi nul. Chez les jeunes actifs formés dans les filières de la mécanique, de l’électricité et l’électronique, le taux de chômage est de 8,6% contre un taux moyen de chômage de 11,5% pour l’ensemble des jeunes. Pour les jeunes formés dans les autres filières ou dans l’enseignement général, le taux de chômage reste largement supérieur à cette moyenne (BAD et OIT, op.cit.).
Et qu’en est-il du second obstacle majeur ?

3.2.2. Les insuffisances dans la formation aux métiers

La deuxième dimension de l’employabilité est l’auto-emploi. Mais, la capacité d’auto-emploi suppose également l’acquisition de compétences, surtout dans les métiers. C’est pourquoi dans l’enquête réalisée par Jérémie Tougma (2019), la question de l’insuffisance de la formation reçue a été évoquée par 12,3% des jeunes interrogés. Ces jeunes en fin de formation et donc qualifiés, estiment qu’ils n’étaient pas aptes à exercer avec maîtrise, les tâches liées à leur métier. Par conséquent, ils disent qu’ils gaspilleraient leurs ressources financières en mettant en place une micro-entreprise. Pourquoi ces insuffisances ?

Les difficultés relevées au cours des formations sont multiples, notamment, le manque de formateurs en nombre suffisant, l’insuffisance des outils pédagogiques et de la matière d’œuvre, la courte durée des stages pratiques, les délestages électriques, etc., expliqueraient cette faiblesse de la qualité des formations dans les métiers (Tougma, 2019).

De même, nous avons constaté que sur 110 métiers identifiés par la chambre des métiers du Burkina Faso, seulement une dizaine de métiers dispose de curricula de formation. Par conséquent, le problème de la reconnaissance des titres de qualification professionnelle est fréquent dans les entreprises (36,9% de réponses).
Et que peut-on dire du troisième obstacle majeur ?

3.2.3. Les insuffisances dans la gestion administrative et financière des structures d’accompagnement pour l’emploi

La volonté politique de lutter contre la pauvreté et le chômage de la population en âge de travailler, a amené les autorités du Burkina Faso à élaborer plusieurs stratégies. Plans, programmes, projets d’appui et fonds d’appui foisonnent depuis 2001. Nous pouvons citer quelques-uns, tels que :
-  le Projet d’appui à la création des petites et moyennes entreprises (PAPME) ;
-  le Projet d’appui aux micro- entreprises rurales (PAMER) ;
-  le Programme d’appui aux filières agro-sylvo-pastorales (PAFASP) ;
-  l’élaboration dans les treize (13) régions du Burkina Faso de stratégies régionales de l’emploi (SRE), assorties de plans d’actions fortement centrés sur les jeunes et les femmes.

De même, plusieurs fonds d’appui financiers ont été créés tels que :
-  le Fonds d’appui aux initiatives des jeunes (FAIJ) ;
-  le Fonds d’insertion des jeunes (FIJ) ;
-  le Fonds d’investissement local d’appui aux jeunes (FILAJ) ;
-  le Fonds d’appui à la promotion de l’emploi (FAPE) ;
-  le Fonds d’appui au secteur informel (FASI) ;
-  le fonds d’appui aux activités rémunératrices des femmes (FAARF) ;
-  le fonds de développement de l’élevage (FODEL), etc.
Les conditions d’octroi des crédits varient selon les structures de financement et les crédits accordés vont de 200.000 FCFA à 2 millions de FCFA pour les projets individuels et de 5 à 10 millions pour les projets soumis par des associations.

Si l’ensemble de ces dispositifs nous semble important et appréciable, les résultats ne sont pas aussi satisfaisants. En effet, nombre de difficultés ont été relevées lors des enquêtes, notamment, les difficultés d’accès aux crédits, la faiblesse des montants accordés et le manque d’accompagnement des bénéficiaires ont été surtout indexés.

En termes de résultats, « l’évaluation des emplois promus par ces fonds, réalisée par l’ONEF, a révélé qu’environ 5% des emplois promus par les fonds de financement de l’emploi deviennent des emplois sécurisés, engendrés par une évolution de micro-activité financée vers le statut d’une petite et moyenne entreprise (PME). Environ 35% des emplois promus par ces fonds restent précaires et 60% de ces emplois promus se détruisent au cours des 3 premières années suivant l’octroi du crédit » (BAD et OIT, op.cit., p.56). Les résultats sont donc peu satisfaisants, au regard des efforts déployés par les autorités et les partenaires financiers.

Nous pensons d’ailleurs que la faiblesse dans l’accompagnement des bénéficiaires et dans le recouvrement des créances, pose le problème même, de la pérennisation de ces fonds sur le long terme.

Face à ces obstacles majeurs, tant au niveau de la formation des compétences qu’au niveau de l’accompagnement administratif et financier pour la création d’emplois, que faire pour une amélioration de la situation de l’employabilité des jeunes ?

4. Conclusion

La leçon principale que peuvent tirer les pays en voie de développement des pays développés est sans conteste, celle de l’enseignement et de la formation technique au profit d’une masse critique de leurs populations, afin d’espérer amorcer un développement socio-économique.
En effet, la situation du Burkina Faso en matière d’emploi est paradoxale et fort inquiétante. D’un côté, nous avons le chômage massif des jeunes en milieu urbain, y compris les jeunes qualifiés de l’enseignement et de la formation techniques et professionnels, et de l’autre, le sous- emploi de 80% de la population qui vit d’agriculture et d’élevage de subsistance en milieu rural.
Pour y remédier, deux (02) axes d’intervention s’imposent : d’une part, la nécessité de poursuivre l’accroissement des formations techniques et professionnelles offertes, mais aussi, l’adéquation de l’EFTP avec les secteurs d’activités économiques du pays. Et pour le financement de cette promotion progressive de l’EFTP, nous pouvons compter sur le fonds d’appui à la formation professionnelle et à l’apprentissage (FAFPA) qui existe depuis 2005.

D’autre part, la nécessité de réorganiser la gestion administrative et financière de l’ensemble des fonds d’appui à l’emploi s’impose, car, il est souhaitable que le ministère envisage la fusion de tous les fonds de promotion de l’emploi en un fonds unique avec des guichets spécifiques de financement. Une telle gestion favoriserait la transparence et une meilleure attribution des crédits.

Par ailleurs, nos propositions concernant les différentes requêtes des bénéficiaires des micro-crédits se résument à l’allègement des conditions d’accès aux micro-crédits, à l’augmentation significative du montant des crédits octroyés, car l’apport personnel des différents bénéficiaires est souvent faible ; et enfin, le suivi/accompagnement technique des bénéficiaires est nécessaire, en vue de favoriser d’une part, la promotion des activités entreprises et d’autre part, le recouvrement des créances qui serviraient de nouveau à financer d’autres micro-projets.

Auteurs :
SOULAMA/COULIBALY Zouanso 1 (CNRST/INSS, Ouagadougou, zouanso@yahoo.fr) ;
KABORE Sibiri Luc 2 (CNRST/INSS, Ouagadougou, lucsikab@yahoo.fr) ;
 ; KABORE Windlanaba Etienne 3 (Université Joseph KI-ZERBO, Ouagadougou, kaboreetienne@yahoo.fr).

Références bibliographiques
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