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L’impact du régime foncier coutumier sur la femme et l’environnement

Publié le dimanche 9 juillet 2023 à 17h30min

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Résumé

En milieu rural, la terre est au départ et encore aujourd’hui pour certains acteurs, sacrée et inaliénable. De cette perception, la terre apparaît comme la toile de fond de l’ensemble des activités humaines comme l’agriculture, l’élevage, la pêche, la cueillette, la foresterie etc. Elle a de ce fait, une dimension sociale, culturelle, économique, religieuse et politique. En plus, le statut de la terre est en train de se transformer d’un bien d’usage collectif à un bien de propriété individuelle.

Introduction

Les résultats préliminaires du 5e RGPH du Burkina Faso, réalisé en 2019, indiquent une population résidente totale de 20 487 979 habitants. De 2006 et 2019, la population burkinabè est passée de 14 017 262 habitants à 20 487 979 habitants. Cela correspond à un taux d’accroissement démographique intercensitaire de 2,93%. En comparaison à la période 1996-2006, pour lequel le taux d’accroissement était de 3,12%, le rythme d’accroissement démographique a légèrement baissé. La population du pays a quasiment doublé entre 1996 et 2019 avec un effectif élevé de femmes. Au Burkina Faso, les femmes représentent 51,7% (RGPH, 2019, Burkina Faso) de la population totale. L’augmentation de la population entraine aussi une augmentation de la demande du foncier pour leurs besoins surtout économiques tels que l’agriculture, l’élevage etc. En effet les mutations socioéconomiques et les besoins monétaires de plus en plus importants des communautés rurales ont fait évoluer les pratiques de production de subsistance à la production de marché. La satisfaction de ces nouveaux besoins nécessite l’amélioration des performances des systèmes de production. Cependant, cet objectif ne peut être atteint que lorsque les producteurs peuvent accéder à la terre. Or elle est sous la tutelle des hommes le monopole des terres agricoles par les hommes doit être observé dans le contexte des pouvoirs dominés par le capital politique et économique où la quête de profits transforme les systèmes traditionnels et locaux de gestion foncière, bouleversant l’utilisation et les significations historiques, culturelles et sociales. L’accès à la terre est une condition nécessaire pour le bien-être de l’homme ; son accès est crucial pour combattre la pauvreté et promouvoir le développement local.
La présente étude a pour objectif de contribuer à une meilleure intégration des questions foncières dans les politiques et stratégies de participation des femmes au développement du pays.
En quoi le régime foncier coutumier influence-t-il l’épanouissement socio-économique de la femme dans les sociétés à organisation lignagère en milieu rural et à la gestion durable des ressources forestières ?

Cette étude s’adresse aux autorités politiques afin qu’elles se penchent sur la nécessité de prendre en compte la dimension genre dans l’exploitation et la preservation du patrimoine foncier.

Matériels et méthodes

Pour la réalisation de ce travail, nous avons utilisé la méthodologie qualitative et quantitative avec trois principaux outils de collecte que sont : les revues documentaires, les entretiens et les questionnaires.
Le travail est structuré en deux parties. Il s’agit d’une part de l’impact du régime traditionnel sur la femme et d’autre part sur l’environnement.

Résultats

1.Le régime foncier coutumier : un handicap pour le travail féminin et son épanouissement socio-économique

Beaucoup de préjugés existent et laissent croire que les femmes africaines étaient victimes des hommes dans la société africaine traditionnelle. En réalité, elles jouaient de très grands rôles. Au niveau économique, elles avaient plus de pouvoir économique que dans l’Afrique d’aujourd’hui. Les femmes disposaient de champs personnels qui n’étaient pas acquis en toute propriété, mais qui, à titre d’usufruit, leur permettaient de produire et d’accumuler à leur propre compte. Les femmes avaient la possibilité d’avoir des petits champs et des jardins, dans la cour et autour de la maison sur des sols très fertiles. Les fruits de cette exploitation leur revenaient personnellement, alors que la récolte du grand champ était distribuée sur décision du patriarche de la grande famille. De nos jours avec l’éclatement des familles c’est une crise structurelle qui sévit dans les sociétés africaines en général et burkinabé en particulier impactant ainsi les structures économiques. Autrefois, les femmes pouvaient exploiter la terre à titre d’usufruit, aujourd’hui avec les dynamiques socio-économiques elles peinent même à avoir un lopin de terre pour exploitation. Les tendances actuelles, c’est une orientation vers une sécurisation foncière afin de garantir ce titre d’usufruit, faute d’avoir le titre de propriétaire foncière, à cause des pesanteurs socio-culturels. La terre étant un élément capital pour la promotion des activités économiques surtout en milieu rural, son accès équitable est une condition essentielle pour juguler la crise alimentaire et impulser le développement durable. La femme n’est pas propriétaire terrienne. Et cette barrière réduit considérablement ses initiatives de développement des activités économiques en milieu rural. Nous pouvons citer entre autres l’exploitations des produits forestiers non ligneux tels que le karité et lé néré. Le karité est un des rares biens naturels ayant une valeur économique qui demeure sous le contrôle des femmes rurales. En plus, c’est une filière dominée par les femmes au Burkina Faso. Et le karité qui évolue dans les champs de culture produits de bons fruits que ceux des terres vierges. Donc, si l’espace sur lequel évolue l’arbre appartient à l’homme, ce qui veut dire que toutes les ressources naturelles qui s’y trouvent sont la propriété de l’homme. Et comme elle n’est pas propriétaire terrienne, les noix collectées dans les champs des hommes, il faut obligatoirement lui réserver sa part. Et cela constitue un handicap pour la femme.

En plus de l’exploitation des ressources forestières, il y a l’agriculture. Malgré la faible intégration dans l’exploitation du patrimoine foncier, la femme rurale occupe une place essentielle dans la pratique des activités agricoles. En effet, un pan tout entier de l’agriculture, notamment la production vivrière et maraîchère, se trouve entre ses mains. La contribution de la femme aux besoins du ménage est directe et indispensable. Mais, les terres qu’elle utilise pour pratiquer ces cultures annuelles lui sont concédées provisoirement : « 60 à 80 % des populations africaines, selon les pays, ne possèdent aucun acte justifiant l’attribution des terres sur lesquelles [elles] vivent ou qu’[elles] exploitent. En Afrique, en Amérique latine, en Asie et même dans certaines régions d’Europe, ce déni de propriété a des conséquences sociales, économiques et humaines désastreuses » ( Harissou, 2011, p.XI). C’est une des causes des crises politico-sociales et économiques. La question de l’accès des femmes rurales à la terre entre dans le cadre de la gestion des ressources naturelles en milieu rural. Au Burkina Faso en général et particulièrement dans les sociétés à organisation lignagère, la femme n’a pas accès à la terre pour exercer des activités agricoles ou, plutôt, y bénéficie d’un accès restreint. Cette situation, liée aux règles coutumières, limite sa participation à la vie économique et impacte le processus de développement en ce sens une frange importante de la population est exclue et la met dans un état de vulnérabilité. Parmi les PFNL, seules les amandes de karité ont une forte valeur commerciale. Les amandes de karité constituent depuis 2009 le 4ème produit d’exportation du Burkina Faso, après l’or, le coton et le bétail.

Mais il est intéressant de souligner que les populations semblent ne pas être conscientes des problèmes liés à l’accès au foncier des femmes. L’accès à la terre est le moyen par excellence pour garantir un approvisionnement alimentaire et générer un revenu certain pour tous. L’accès et l’utilisation de la nourriture dépendent de la sécurité foncière et de l’accès à la terre. La femme, moitié de la société est ainsi handicapée et empêchée de fournir sa part de créativité. La cause des femmes est un enjeu primordial pour la société dans son ensemble. La terre constitue donc un atout social, dont la possession ou le contrôle peut déterminer et augmenter la capacité des femmes pour leur prise des décisions concernant les questions communautaires et familiales. Parmi ces décisions, on peut citer celles relatives aux dépenses pour la famille (achat de nourriture, vêtements enfants etc.)

Si la femme n’est pas associée à la gestion du patrimoine foncier, cela engendre une paupérisation accrue des femmes et une récurrence des crises sociales car les familles africaines se sont disloquées du fait de la colonisation. L’esprit de famille s’estompe au profit de l’individualisme avec l’expansion du capitalisme. Dans le cadre de l’économie libérale, le capital est nécessaire pour développer une activité afin d’amorcer le processus du développement. La terre est le premier capital pour les populations dans le milieu rural. Or, c’est ce capital qui fait défaut aux femmes dans les sociétés à organisation lignagère. L’accès à la terre est la condition essentielle à la réalisation des moyens humains de subsistances et le pouvoir décisionnel de la femme peut être affaibli par l’absence des droits de propriété. Et une des causes de la paupérisation des femmes est lié à l’absence de ce capital naturel. Mais si elles parviennent à avoir un lopin pour exploitation, elle n’est pas sécurisée, car à tout moment le propriétaire terrien peut exiger une restitution de son patrimoine. Et cette situation permet de voir la femme à travers l’optique cartésienne : elle est, dans un tel esprit de famille occidentalisée exploitée, opprimée, méprisée parce qu’elle ne dispose du capital naturel. Dans une telle situation, la femme est opprimée. Du fait de la colonisation, la double descendance parentale a été supprimée au profit du nom de famille du père de l’enfant. Cette exclusion de la femme au niveau social est ressentie au niveau économique avec l’insécurité foncière qui pèse lourdement sur la femme. Et cela a un impact dans la gestion durable des ressources forestières (Hien, 2022, p.75).

2 Les conséquences environnementales

Les risques d’érosion de la biodiversité, dans une telle situation d’inefficacité des systèmes sociaux, sont évidents, en ce que la gestion des espaces et des ressources peut être le reflet de rapports sociaux conflictuels. Les processus écologiques et les ressources biologiques peuvent être perturbés de manière irréversible sous l’effet des activités humaines. Dans la société traditionnelle, les femmes et les jeunes ne peuvent pas être propriétaires. Ils peuvent cependant jouir du droit d’usufruit, avec les risques de retrait à tout moment par les “ anciens ” ou le propriétaire terrien. Mais dans un contexte dominé par l’accroissement du nombre de ruraux, par la réduction des disponibilités en terres, les modalités de gestion des terres sont marquées par une double difficulté : la crise de légitimité des pouvoirs traditionnels et l’inefficacité des législations modernes. En effet, le système traditionnel de gestion des terres a bien fonctionné dans toutes les sociétés rurales tant que l’autorité coutumière est restée forte, la religion traditionnelle respectée, l’homogénéité ethnique et culturelle préservée et les disponibilités en terres importantes. Et une des conséquences positives du régime foncier coutumier fut l’agroforesterie qui contribua énormément à la protection de l’environnement. Mais ce système s’est globalement mal adapté aux mutations sociodémographiques et économiques récentes. Notamment, il a perdu sa souplesse d’adaptation dans la situation actuelle de plus en plus fréquente de « fin » des terres : le prêt permanent, principal mode d’accès à la terre entre peuples anciennement installés et les nouveaux migrants, est de plus en plus remis en cause avec la compétition croissante pour contrôler les ressources. D’où la nécessité d’associer la femme. Car elles constituent la couche la plus importante exclue par le régime foncier coutumier. La gestion des ressources forestières nécessite la « coviabilité des systèmes sociaux et écologiques » (O. Barriere, p.201). Le développement durable interroge les communautés traditionnelles sur leur capacité de gérer convenablement leurs ressources ; lesdites communautés percevant le développement comme leur faculté de maintenir durablement leur capacité de survie, de reproduction par l’exploitation et l’utilisation rationnelle, des ressources naturelles. En effet, la diversité des spécificités culturelles locales au Burkina Faso, constitue déjà une difficulté de gestion optimale par l’État central du foncier et cela a un impact négatif sur la biodiversité. Car une bonne partie de la population à savoir les femmes n’est pas suffisamment impliquée à cause des pesanteurs socio-culturels. Il est clair que la surexploitation peut entrainer une baisse des rendements ou une raréfaction voire une disparition totale de l’espèce qui contraste avec les objectifs du développement durable. Cette participation de tous avait été définitivement consacrée par la Constitution du 2 juin 1991 : « Tous les Burkinabé, sans distinction aucune, ont le droit de participer à la gestion des affaires de l’Etat et de la Société ». Établir les bases du développement durable se pose aujourd’hui comme un défi à relever par le Burkina Faso. La participation des populations locales a été l’option retenue pour une meilleure gestion des ressources forestières dans les politiques de développement. L’exploitation de toute forêt par l’homme est une pression sur celle-ci et un danger pour son existence. Mais, il contribue tout de même à sa protection :

La petite exploitation familiale peut, en effet, contribuer à la surveillance de la forêt. Évidemment pour réussir un tel pari, il est important de faire confiance aux populations, de les mettre régulièrement au courant de l’évolution de l’écosystème afin de les amener à adapter leurs techniques de production (D.B. Sanou, 2014, pp.204-205).

Le succès des politiques de reboisement repose sur la mutualisation des forces des acteurs en présence : « la réussite d’actions de reboisement ne peut que résulter de l’articulation des deux savoirs sylvicoles : le savoir paysan et le savoir forestier, savoirs complémentaires. Cela implique la reconnaissance du savoir paysan, ce qui ne diminue pas d’autant le savoir forestier ! » (J.. Ribot, 1990, p.191). La gestion durable des ressources forestières exige de ce fait une combinaison des savoirs, techniques modernes et les savoirs endogènes de gestion des forêts avec grande une implication des populations locales. Donc l’homme et la femme. Et non l’homme seulement. Selon le régime foncier coutumier, l’exploitant d’une terre ne doit pas planter un arbre, car c’est une appropriation de la terre. Donc, de ce fait la femme est totalement écartée en matière de reboisement. Rarement dans les villages il y a eu des campagnes de reboisement au niveau village. Ce qui est courant ce sont les reboisements individuels. Les femmes ayant un rôle central dans les actions visant à assurer la subsistance de la famille, se sont retrouvées au cœur des actions d’exploitation des produits forestiers non ligneux. Les politiques à la base des actions des gestion des ressources naturelles n’ont cependant pas tenu compte de leurs besoins et situation spécifique. La situation des femmes par rapport aux ressources forestières est caractérisée par le faible pouvoir de décision et de contrôle sur ces ressources. Le domaine foncier est généralement propriété de la famille ; la forêt et les points d’eau sont sous l’autorité des hommes (chef de terre, responsables coutumiers). L’une des principales raisons de l’attractivité des terres au Burkina Faso est leur abondance et leur richesse en ressources forestières qu’elles recouvrent, mais aussi le fait que la plupart des terres ne soient pas utilisées. Or, on observe que la réalité est plus complexe et que la question de l’attractivité des terres et de la volonté d’investir s’accompagnent d’une mauvaise compréhension de l’espace foncier, mais aussi de lacunes sur le plan juridique, fragilisant les populations dans leurs rapports à leurs terres. En effet dans ce blocage, les initiatives individuelles ou collectives d’origine féminine ne peuvent se réaliser, et cela constitue le goulot d’étranglement dans l’exploitation du patrimoine, car la femme ne peut pas être propriétaire terrienne.

Le monopole des terres par les hommes contribue à la marginalisation des femmes rurales. Alors que les femmes n’ont plus accès à la terre, l’eau et d’autres ressources naturelles, elles perdent simultanément leur capacité à cultiver la terre pour leur propre consommation et, dans certains cas, assurer un revenu minimum. Malgré les multiples efforts au niveau national, l’insécurité alimentaire ne cesse d’augmenter. Il serait donc pertinent d’analyser comment une stratégie de développement rural comme l’intégration des questions foncières des femmes peut contribuer à l’instabilité ou la stabilité sociale et économique. Un domaine peu étudié est l’impact de l’exclusion des femmes dans la gestion du patrimoine foncier dans les sociétés à organisation lignagère comme facteurs des crises aux niveaux local et national. Ainsi, le phénomène étudié montre comment les terres peuvent s’avérer un nouvel atout stratégique pour la participation de la femme qui tente de garantir la sécurité alimentaire et financière à sa communauté et par ricochet à la nation.

Conclusion

Dans le cadre de cette étude, nous nous sommes donc intéressés à l’émergence du phénomène contemporain de l’exclusion des femmes des sociétés à organisation lignagère dans l’exploitation du patrimoine foncier que nous avons tenté d’analyser sous plusieurs dimensions. L’étude de l’impact des investissements fonciers au Burkina Faso nous a permis de mettre en perspective la nécessité d’intégrer progressivement les femmes pour le développement des économies rurales gage du développement du pays.

Dr HIEN Sourbar Justin Wenceslas
HISTORIEN
Chargé de Recherche à l’INSS/CNRST

Éléments de bibliographie

- HIEN Sourbar Justin Wenceslas, 2022 « Les mutations de la gouvernance foncière dans les sociétés à organisation lignagère : l’exemple des Dagara du Burkina Faso » in Moustapha GOMGNIMBOU et al (sous dir) La gouvernance politique au Burkina Faso postcoloniale, Direction de l’Information Scientifique et Technique (DIST/CNRST), Ouagadougou – Burkina Faso, ISBN : 978-2-49474-700-5, pp.57-81.

- SANOU Doti Bruno, 2014, Politiques environnementales : traditions et coutumes en Afrique noire, Paris, l’Harmattan,

- HARISSOU Abdoulaye, 2011, La terre, un droit humain, Micropropriété, paix sociale et développement, Dunod, Préface p. XI.

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