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L’impact de l’héritage des politiques coloniales forestières au Burkina Faso

Publié le mercredi 28 juin 2023 à 17h22min

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Résumé

Les dynamiques socio-économiques et écologiques imposent une autre forme de gouvernance des ressources forestières au Burkina Faso. Jadis sous tutelles des populations anciennement installées, les forêts font de nos jours l’objet de discussion entre les gouvernants et les gouvernés.

Introduction

Au Burkina Faso, l’exclusion des populations anciennement installées dans la gestion des ressources forestières a entrainé une insatisfaction au niveau des populations et une dégradation prononcée des ressources forestières. Depuis la période coloniale, les populations locales n’étaient pas suffisamment à la gouvernance des ressources forestières au Burkina Faso. Or les produits forestiers contribuent énormément à l’amélioration des conditions de vie des populations dans les pays du Sud. Aussi, faut-il des politiques publiques pour la planification des actions et programmes en matière du développement des filières des produits forestiers non ligneux (PFNL). La politique forestière burkinabé affichait un visage répressif depuis l’accession du pays à l’indépendance le 05 août 1960. Les tendances actuelles de cette politique souscrivent à la décentralisation ou l’association effective des populations à la gestion de leur environnement dans le cadre du développement durable. Les dynamiques socio-économiques, écologiques et législatives imposent une autre forme de gouvernance des ressources forestières au Burkina Faso. Les besoins des populations en produits forestiers augmentent. Ainsi, notre analyse a porté sur les facteurs externes de ces règlementations qui ont eu des conséquences à la fois environnementales et socio- économiques. D’où l’intérêt de concilier les besoins des populations et les impératifs de protection des ressources forestières en tenant compte des objectifs du développement durable. En quoi l’exclusion des populations locales dans la gestion des ressources forestières entraine-t-elle des problèmes socio-économiques et environnementaux au Burkina Faso ? Quel est l’impact de la faible implication des populations jadis propriétaires des ressources naturelles dans les stratégies de gouvernance des forêts ?
Cette étude d’adresse aux autorités politiques afin qu’elles impliquent les populations locales pour la gouvernance des ressources forestières au Burkina Faso.

Matériels et méthodes

Pour la réalisation de cette étude nous avons eu recours, aux enquêtes de terrain et à une bibliographie composée d’ouvrages et d’articles scientifiques sur la question.

Résultats

1 La création du service des eaux et forêts en Haute-Volta : les prémisses du monopole étatique des forêts ?

L’administration coloniale dans le cadre de la protection des ressources forestières, avait mis en place un service spécialisé, celui des Eaux et Forêts créé en 1923. Les ressources forestières étaient sous la tutelle du chef de service de l’agriculture de la colonie de Haute Volta en 1923 (ANS 10G9/107, 1920-1923).

Déjà en 1900, le Service colonial de l’Agriculture et des Forêts promulgua la première loi forestière de l’Afrique occidentale sous tutelle française. En voici le contenu : « Art.1- La coupe des arbres dits ‘’karité‘’ est interdite sur toute la colonie du Haut- Sénégal- Niger. Cette interdiction s’applique non seulement aux particuliers, mais aux services publics de la colonie. Art.4.-Les infractions au présent arrêté seront punies des peines de simple police, sauf en ce qui concerne les indigènes non citoyens français, qui seront passibles des sanctions prévues par le décret du 30 septembre 1887 » (J. VUILLET, 1911, p.93-94). La colonie de la Haute-Volta fut divisée en trois circonscriptions agricoles, forestières et d’élevage. La première circonscription regroupe les cercles de Ouagadougou, Tenkodogo, Fada N’Gourma et Koudougou. La deuxième est formée des cercles de Bobo- Dioulasso, Dédougou et Gaoua. Les cercles de Kaya, Ouahigouya, Say et Dori constituèrent la troisième circonscription (ANS 10G9/107). La Haute-Volta, recréée en septembre 1947, fut dirigée, au point de vue forestier, par le chef du service forestier de la Côte d’Ivoire, jusqu’à l’arrivée d’un chef de service pour les eaux et forêts du territoire de la Haute-Volta le 13 juin 1948 date d’arrivée à Ouagadougou du chef du service forestier de Haute-Volta (ANS 2G48/60, 1948). La peur d’une quelconque déforestation et la dégradation des ressources forestières ont été l’alibi qui a prévalu à la réglementation de la production forestière et à la commercialisation des produits dérivés, tout au long de cette longue période de gestion forestière. En Afrique Occidentale Française, on pouvait remarquer une distinction entre les « citoyens » et les « sujets » dans la gestion et l’exploitation des ressources forestières. Les « citoyens » pouvaient exprimer leurs droits civils par le vote et avaient des autorisations et des quotas de production pour l’exploitation et la commercialisation des ressources forestières. Ils avaient des droits commerciaux lucratifs. Les populations n’avaient que l’usufruit. Ils exploitaient les ressources forestières pour leur survie. Selon J. RIBOT (2001, p.3) l’objectif d’une telle politique selon l’administration coloniale était de protéger les espèces végétales qui avaient une valeur commerciale contre tout épuisement par des utilisateurs, à travers l’attribution de permis et de concessions et la collecte des taxes forestières par l’Etat. Les domaines classés ont été créés afin de lutter contre la déforestation et de mieux exploiter les ressources. La création des domaines classés était l’une des politiques coloniales en matière de protection des ressources forestières. Les domaines classés étaient concentrés entre deux inspections : l’inspection du Mossi et celle de Bobo-Dioulasso. Dans la série des textes qui ont été élaborés pour la préservation du karité, on note l’arrêté de 1928, qui laissait voir la fermeté de l’autorité coloniale dans la gestion des ressources forestières de ses colonies. L’administration coloniale, dans ses politiques de protection de l’environnement avait souvent autorisé d’une manière ou d’une autre une exploitation contrôlée des ressources forestières.

2.Les facteurs favorables à la pression anthropique sur les forêts

La pauvreté est un facteur aggravant de la pression anthropique sur les forêts et à la base d’actions non viables vis-à-vis de celles-ci. La forêt offre, souvent gratuitement, la plupart de ces biens et services. Il apparait, dès lors, un dilemme entre satisfaction des besoins primaires et urgents et préservation des ressources. La plupart des problèmes auxquels sont confrontées la foresterie et par conséquent l’éducation forestière sont symptomatiques de changements sociaux, économiques et technologiques plus généraux, qui semblent s’accélérer rapidement. Cependant, un certain nombre d’activités notamment anthropiques entachent sérieusement le potentiel forestier. Nous avons entre autres le surpâturage, les feux de brousse, la demande croissante en bois de chauffe et le charbon. En plus, il y a aussi la mauvaise exploitation des produits forestiers non ligneux (PFNL). Il existe dans plusieurs régions du pays, des pratiques d’exploitation destructrices et de surexploitation commerciale des produits forestiers non-ligneux (PFNL) dont par exemple : les récoltes de fruits verts de karité (Vitellaria paradoxa), néré (Parkia biglobosa), et liane goïne (Saba senegalensis), la coupe de branches entières pour récolter des feuilles ou des fleurs comestibles de baobab (Adansonia digitata), du dattier du désert (Balanites aegyptiaca) ou du kapokier rouge (Bombax costatum)
En ce qui concerne les causes indirectes du déboisement et de la dégradation des forêts, quelques facteurs ont été identifiés. Il s’agit de :
- l’augmentation constante d’une population rurale pauvre, qui dépend essentiellement de la
terre, des produits agricoles et forestiers pour sa subsistance ;
- la faiblesse des politiques publiques en matière de sécurité foncière et forestière et
notamment l’absence d’outils de planification de l’utilisation des terres ;
- la faible qualité de la gouvernance
L’économie verte dans le secteur des forêts ne peut prétendre à l’éradication de la pauvreté sans intégrer la complexité, la gestion participative, la répartition équitable des bénéfices et l’approche transversale orientée sur le long terme. Une gouvernance soucieuse de respecter les responsabilités et les droits de chacun à tous les niveaux est indispensable pour que l’économie verte soit efficace. Si elle n’est menée que par l’avidité et le court terme, l’économie ne sera jamais verte. La gestion des ressources forestières au Burkina Faso est aux antipodes des recommandations et principes des organisations internationales. La meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation effective de tous les citoyens, car ils sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Donc, ils ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature. Et pour vivre en parfaite harmonie avec son environnement et l’exploiter de façon saine il faut une participation effective de tous les acteurs surtout les populations locales. Or au Burkina Faso, selon les textes la terre appartient à l’Etat. Si la terre est la propriété de l’Etat, il en est de même les ressources qui s’y trouvent. La population se sente léser et exproprier. Et de ce fait considère l’arbre comme étant un bien de l’Etat. C’est pourquoi dans les villages les populations se méfient plus des forêts sacrées que des forêts protégées. Elles veulent défier l’Etat qui s’autoproclame l’unique propriétaire des forêts. Dans une telle situation, c’est la destruction des biens appartenant à l’Etat qui les animent en ce sens qu’elles ne se sentent pas concernées par la protection. Elles ne comprennent pas pourquoi elles doivent protéger un bien qui ne leur appartient pas ou dont elles ne peuvent pas tirer profit. Ce qui explique la non-participation des populations. Pour parvenir à un développement durable, la protection de l’environnement doit être inscrite dans le processus de développement et ne peut être considérée isolément au regard des liens entre l’homme et l’arbre. Les populations locales ou riveraines des forêts participent d’une manière ou d’une autre à la protection de l’environnement (HIEN, 2022, p.794). Un des exemples illustratifs ce sont les reboisements paysans. Ils ont un savoir endogène qui n’est pas suffisamment connu. Le succès des politiques de reboisement repose sur la mutualisation des forces des acteurs en présence : « la réussite d’actions de reboisement ne peut que résulter de l’articulation des deux savoirs sylvicoles : le savoir paysan et le savoir forestier, savoirs complémentaires. Cela implique la reconnaissance du savoir paysan, ce qui ne diminue pas d’autant le savoir forestier ! » (RIBOT, 1990, p.191). La clé de succès d’un reboisement réside dans une meilleure connaissance et reconnaissance des populations locales, en écartant les stéréotypes encore en vigueur à leur sujet. Le pragmatisme dans les actions montre l’utilité multiple des arbres nourriciers, ainsi que du savoir paysan sur ces espèces d’arbres. Pour ainsi dire que les populations connaissent également quelques techniques relatives à la protection des ressources forestières. Or, pour évaluer un reboisement : « il suffit d’apprécier le nombre de plants mis en place par familles paysannes, ou par « groupement », ou par village… et de laisser les calculs en termes de « périmètres, d’hectares reboisés, et de mètres cubes de bois potentiels » ( RIBOT, 1990, p.192). Car « l’accès aux cercles de décision est une ressource politique essentielle qui permet à un acteur social de faire avancer ses intérêts » ( MULLER, 1990, p.54). En plus la gestion durable doit amener les acteurs en présence à se projeter vers un futur commun souhaité. La participation des populations favorise en effet la transparence des décisions, leur légitimité et facilite leur mise en œuvre : « la participation du public dans le processus décisionnel permet […] de bonifier [le] projet et parfois même de dégager un consensus avec tous les intervenants, accroissant par le fait même les chances d’assurer un développement durable » ( DUCHAINE, 2007, au para 3.1.1.3, [en ligne] : La référence droit québécois : EYB2007DEV1312). Et cette participation peut être appréhendée à travers : « l’ensemble des mécanismes permettant aux particuliers d’influer de manière directe mais sans pouvoir décisionnel, sur l’adoption, le contenu et la mise en œuvre des décisions administratives unilatérales » (DELNOY, 2005, p .10). Stella BASTIDAS (2004, p.1) soutient que la participation du public est un préalable pour parvenir au développement durable. L’implication des populations en matière environnementale trouve son ancrage dans les défaillances des politiques publiques postcoloniales dans les pays du Sud

3. La situation forestière au Burkina Faso : le résultat du monopole étatique ?

Avec l’inventaire forestier national réalisé par l’organisation des Nations Unies pour l’agriculture (FAO) en 1983, les formations forestières naturelles du Burkina Faso étaient estimées à 16 620 000 ha réparties comme suit : 28,6 % de savanes arborées et de forêts claires, 37,14 % de savanes arbustives, 1,41 % de fourrés tigrés et 0,99 % de forêts-galeries (Burkina Faso, Ministère de l’environnement et du cadre de vie, Rapport national sur la gestion durable des forêts au Burkina Faso, novembre 2004, p. 4, [en ligne]). On estimait à 8 790 000 ha, soit 32 % du territoire national, les formations d’origine anthropique (jachère, parcs agroforestiers, plantations) (Burkina Faso, Ministère de l’environnement et du cadre de vie, Rapport national sur la gestion durable des forêts au Burkina Faso, novembre 2004, p. 4, [en ligne]). Les formations d’origine anthropique (jachère, parcs agroforestiers, plantations) sont estimées à 8 790 000 ha soit 32% du territoire national ( OUEDRAOGO, 2001, p.1). Les forêts du domaine protégé, dont la superficie était estimée en 1980 à 11 565 000 ha soit 42 % du territoire national, constituent l’essentiel des formations forestières du pays (Burkina Faso, Ministère de l’environnement et du cadre de vie, 2004, p. 3). Selon les statistiques de la FAO, les superficies des formations forestières auraient régressé de 1,26 million d’hectares entre 1980 et 1992, passant de 15,42 millions d’hectares en 1980 à 14,16 millions d’hectares en 1992. Le défi à relever est énorme pour la gouvernance des forêts au Burkina Faso.

Conclusion

Le Burkina Faso a hérité des politiques forestières de la colonisation, qui prévoient l’exclusion totale des populations riveraines couronnée par une gestion centralisée. Ces politiques forestières centralisées et répressives vont vite révéler leurs insuffisances pour la sauvegarde et l’exploitation durable des ressources forestières. Ainsi, les besoins des populations locales en produits forestiers seront affectés. Car elles n’étaient ni prises en compte, ni consultées, ni informées, mais bien réquisitionnées pour les besoins de main d’œuvre dans le cadre de l’exploitation des forêts. Et cela engendra des conflits entre les différentes parties (Etat et populations riveraines). Ces échecs dans la gestion des ressources forestières vont contraindre les autorités publiques à repenser les politiques forestières, en adoptant ainsi de nouvelles approches socioculturelles basées sur la participation active et volontaire des populations locales comme facteur central de démarrage d’une exploitation soutenue de ces ressources.

Dr HIEN Sourbar Justin Wenceslas
HISTORIEN
Chargé de Recherche à l’INSS/CNRST

Éléments de bibliographie
- DELNOY Michel, 2005, « Définition, notions de base, raison d’être et sources juridiques des procédures de participation du public », dans Benoît Jadot, (dir.), La participation du public au processus de décision en matière d’environnement et d’urbanisme, actes du colloque du 27 mai 2004 organisé par le CEDRE, Bruylant, p. 10.
- DUCHAINE Charles, 2007, « Les recours visant le respect des lois environnementales à la portée des citoyens : l’émergence d’une autorité de contrôle sociétale », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements récents en droit de l’environnement, Yvon Blais, vol. 270, 2007, au para 3.1.1.3, [en ligne] : La référence droit québécois : EYB2007DEV1312
- HIEN Sourbar Justin Wenceslas, 2022, « La gouvernance des forêts au Burkina Faso, du conseil des anciens au parlement : les enjeux environnementaux et socio-économiques » in Actes du Colloque international « La prospective de la gouvernance des territoires en Afrique face aux enjeux de développement durable » (CUAPTD), Université Alassane Ouattara (Bouaké - Côte d’Ivoire), ISSN : 2073-9303, pp.789-799.

- KOUAMEKAN J. Koffi, 2013, « Gestion participative, capabilités et résilience dans les forêts classées de Côte d’Ivoire », in Éthique et économique/Ethics and Economics, 10 (1), Université de Bouaké, Côte d’Ivoire, pp.119-152.
- MULLER Pierre, 1990, Les politiques publiques, Paris, PUF, 127 p.
- RIBOT Jesse, 1990, « Fonctionnement réel de la filière du charbon de bois et implications en matière d’environnement », in BERGERET (A.) et al., L’arbre nourricier en pays sahélien, Paris, Editions de la maison des Sciences de l’Homme, pp.167-192.
- VUILLET Jean, 1911, Le karité et ses produits, Paris, Emile Larose, 150 p

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