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Les effets induits de l’utilisation des produits forestiers dans la prise en charge des maladies à Djiokologo (Commune de Diébougou)

Publié le vendredi 16 juin 2023 à 17h17min

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Résumé

L’impact de la médecine traditionnelle est une réalité au Burkina Faso depuis la période précoloniale. Les produits de cette médecine qui se base sur les savoirs et savoir-faire endogènes, proviennent des plantes et de la faune. Actuellement, on estime que 80% de la population mondiale se soigne en faisant appel aux ressources des flores et des pharmacopées locales ; ceci par choix, mais trop souvent faute d’avoir accès aux services de la médecine moderne pour quelque raison que ce soit.

Introduction

Le recours aux plantes et aux animaux pour le traitement des maladies, est très ancien au Burkina Faso. Fruit de la combinaison de l’instinct, de l’observation, du goût et de l’expérience, la pharmacopée est aussi une réalité maîtrisée par les hommes et les femmes de Djikologo. Ils ont également fait connaissance des combinaisons ou procédés qui donnaient les résultats les plus optimaux. C’est cette connaissance des remèdes dérivés des plantes et des animaux qui s’est développée avec le temps et transmise de bouche à oreille, de génération en génération dans plusieurs régions du Burkina Faso. Le succès de la médecine traditionnelle liée aux limites de la médecine moderne loin d’être une difficulté est plutôt une opportunité aux peuples détenteurs de ces savoirs et savoir-faire à plus d’abnégation afin de ne pas contribuer involontairement à la mort lente d’un pan important des cultures africaines. Les effets socio-économiques de la médecine traditionnelle sont appréciables et alarmants au niveau environnemental. Jusqu’où peut-on considérer la médecine traditionnelle comme un danger pour l’environnement dans le village de Djikologo au sud-ouest du Burkina Faso ? Comment pour sa santé l’homme en vient-il à dégrader l’environnement dans le village de Djikologo au sud-ouest du Burkina Faso ? Quelles sont les implications environnementales de la médecine traditionnelle dans le village de Djikologo au sud-ouest du Burkina Faso ?

Cette étude s’adresse aux autorités politiques et aux acteurs de la médecine traditionnelle afin qu’ils se penchent sur la nécessité de prendre en compte les acteurs de la médecine traditionnelle pour la santé des populations et la protection de l’environnement.

Matériels et méthodes

Dans cette étude, nous avons eu recours, aux enquêtes de terrain et à une bibliographie composée d’ouvrages et d’articles scientifiques sur la question. Les données de ces documents nous ont permis de bâtir notre réflexion autour de deux axes principaux : l’impact socio-économique et culturel, et l’impact environnemental de la médecine traditionnelle.

1.L’impact socio-économique et culturel de la médecine traditionnelle

L’intérêt pour la médecine traditionnelle dans le village de Djikologo a des impacts à la fois économiques et culturels. En effet, chaque année le Burkina Faso alloue d’importantes sommes d’argent pour l’importation des produits pharmaceutiques produits. Et la création d’industries pharmaceutiques est un impératif pour un pays pauvre. En 2008, le total des dépenses s’élevait à 73,845 milliards de francs CFA (Burkina Faso, Ministère de la santé 2004, p. 5). Donc, le succès de la médecine traditionnelle serait une panacée pour l’Etat burkinabé dans la prise en charge des malades et de la lutte contre la pauvreté. En 2000, une étude de la Banque Mondiale révélait que la vente des produits de la médecine traditionnelle rapportait chaque année plus de 10 milliards de F CFA et plus d’un million de tonnes de plantes médicinales sont vendues annuellement et exportées hors du pays selon ( Zerbo, 2011, p.43). La vente des feuilles, des écorces et des racines médicinales génère des revenus substantiels à certaines femmes : « je vends les produits (feuilles, écorces et racines) de la médecine traditionnelle depuis plus d’une décennie. Cela peut me rapporter environ 35 000 F CFA/mois ». Pour ce qui est des raisons culturelles, c’est un moyen pour les Africains aussi de préserver le patrimoine sanitaire du continent. Et l’abandon de la médecine traditionnelle est une forme : « d’abolition de la civilisation et de la culture africaines » pour (Ki-Zerbo, 2016, p.38). Les Burkinabè ont tout intérêt en dépit des critiques négatives plus au moins justifiées sur la médecine traditionnelle de garder ce patrimoine car c’est un moyen pour eux de se mettre à l’abri des effets pervers de la mondialisation. Abandonner la médecine traditionnelle au profit de celle moderne c’est ignorer les principes fondamentaux du développement endogène. L’utilisation des plantes médicinales et autres produits provenant de la nature pour les soins médicaux participent également à la préservation des savoir et savoir-faire des peuples burkinabé. L’argument de la valeur patrimoniale consiste à affirmer que les savoirs locaux représentent un patrimoine, raison pour laquelle ils doivent être préservés. Le patrimoine est l’ensemble des biens transmis en héritage. Pour l’UNESCO (2003), il « est l’héritage du passé dont nous profitons aujourd’hui et que nous transmettons aux générations à venir ». L’intégration des savoir et savoir-faire locaux dans le système sanitaire moderne en dépit de leurs apports rencontre un certain nombre de difficultés en Afrique surtout son caractère supposément « non scientifique ». L’intégration des pays pauvres et leurs valeurs culturelles surtout sur le plan sanitaire au processus mondial de la production des connaissances entraîne, entre autres effets tangibles, la marginalisation des savoirs et savoir-faire anciens, leur étiolement progressif, leur appauvrissement, voire, dans les pires des cas, leur disparition pure et simple, leur refoulement hors du souvenir conscient des peuples selon (Hountondji, 1994, p.11). Or c’est un pan important de leur richesse culturelle en désuétude si rien n’est fait pour sa préservation. Les savoirs locaux sont à préserver parce qu’ils contribuent à la construction du savoir savant. Les savoirs endogènes constituent un réservoir de solutions pour répondre aux problèmes de l’humanité actuelle et future ; ce qui constitue un avantage pour l’humanité dans son ensemble. En effet, si les différents peuples abordent les problèmes qu’ils rencontrent d’une manière qui leur est propre, cela accroit les options disponibles. Dans certains cas la médecine traditionnelle encore pratiquée dans les pays du Sud en est un exemple. Les savoirs locaux offrent des solutions à côté desquelles est passé le savoir savant, justement parce que leur préoccupation première est pratique et locale.

2 L’impact environnemental

Au Burkina Faso, l’insuffisance de l’offre des services de santé moderne, la pauvreté des bénéficiaires et le succès plus ou moins avéré des savoirs et savoir-faire locaux en matière de santé ont contribué à l’émergence de la médicine traditionnelle à Djikologo ( Hien et al, 2022, pp.198-199). Et cela constitue une pression sur les ressources fauniques et floristiques. Les populations exploitent les produits forestiers ligneux et les produits forestiers non ligneux des arbres pour se soigner. Et l’exploitation des plantes surtout les racines et les écorces pour les usages médicinaux ne se fait pas sans porter préjudice aux plantes. En matière de santé traditionnelle, les usages courant des produits de la nature à des fins thérapeutiques impactent sérieusement l’environnement. Ces impacts sont aussi bien liés aux ressources forestières qu’à celles animales. Certains acteurs de la médecine traditionnelle, après avoir extrait partiellement ou abusivement les racines des arbres concernés ne remettent plus la terre au pied de l’arbre et cela peut réduire sa croissance ou encore précipiter la mort de l’arbre. Or la disparition de certaines espèces végétales peut entrainer un déséquilibre écologique. Car la chaine de dépendance est rompue. Il en est de même l’exploitation des écorces qui exposent l’arbre à la sécheresse, aux feux de brousse et les parasites. Autant de difficultés qui nuisent à la bonne croissance des plantes médicinales dans la nature. Pour certains défenseurs des forêts, leur destruction se résume essentiellement à l’exploitation des produits forestiers ligneux. Les feuilles sont majoritairement utilisées (31 %) ; ensuite viennent l’écorce du tronc (25 %), la racine (23 %) et les fruits (10 %) selon (Zerbo 2011, p.48). De nos jours, l’exploitation des produits forestiers des plantes médicinales de façon abusive contribue également à la dégradation des forêts. Car l’exploitation de ces produits ne se résume pas à l’autoconsommation mais à des fins commerciales. Or la commercialisation conduit généralement à la surexploitation afin de satisfaire la demande de plus en plus croissante. Une préoccupation croissante chez les défenseurs de l’environnement et qui est visible sur le terrain. Il s’agit de la croissance du marché de la médecine traditionnelle qui constitue un danger pour la biodiversité à cause de la surexploitation des plantes médicinales ou d’un usage accru d’une certaine catégorie d’animaux menacés de disparition comme les tigres, les lions, les rhinocéros, les éléphants, les porcs épics, les reptiles (le boa, le crocodile). Chaque animal a une spécificité pour le traitement des maladies. Il s’agit généralement de : la peau de l’éléphant, la graisse du boa, les épines du porc épics, les os du lion. Toutes ces parties animales, leur accès est tributaire de la mort de l’animal. Ces produits issus des animaux ne sont pas seulement utilisés à Djikologo, ils sont vendus dans les centres urbains. Généralement ce sont les populations des campagnes qui approvisionnement les acteurs de la médecine traditionnelle installés dans les villes du Burkina Faso et hors du pays. Le rythme d’exploitation de la faune pour les besoins alimentaires et sanitaires ne rime pas avec les potentialités fauniques de la zone d’étude. Et cela a pour conséquence une baisse voire une raréfaction de certaines espèces animales. Par exemple les éléphants, le boa leurs populations ont beaucoup diminué.

Conclusion

La présente étude permet d’appréhender la perception qu’ont les populations de Djikologo du monde végétal et faunique et les effets induits de leurs actions de soins ou thérapeutiques. Elles utilisent les produits forestiers et fauniques pour se soigner. Les opérations d’extraction qui touchent plus spécifiquement les racines et les écorces des plantes menacent parfois celles-ci de disparition. Ces résultats révèlent l’absence des bonnes pratiques de gestion des ressources fauniques et floristique.

Dr HIEN Sourbar Justin Wenceslas
HISTORIEN
Chargé de Recherche à l’INSS/CNRST

Éléments de bibliographie

- HIEN Sourbar Justin Wenceslas et ZABSONRE Moussa, 2022, « Les implications socio-économiques et environnementales de la prise en charge des malades par les savoirs endogènes dans le sud-ouest du Burkina Faso : le cas de djikologo » in Recherches et Regards d’Afrique, Collection semestrielle publiée chez EFUA (Editions Francophones Universitaires d’Afrique), Lomé-Togo, ISBN : 978-2-493659-02-6, pp.179-206.
- Hountondji P.J. 1994, Démarginaliser ». Les savoirs endogènes. Pistes pour une recherche Paris, Karthala, p.1-34.
- Ki-Zerbo J., 2016, A quand l’Afrique ? Entretien avec René Holenstein, Suisse, Editons d’en bas, 238 p.
- Ministère de la santé, 2004, Burkina Faso : profil pharmaceutique du pays, Ouagadougou/Burkina Faso,
- Zerbo P., 2011, « Plantes médicinales et pratiques médicales au Burkina Faso : cas des Sana », in Bois et tropiques, N°307, Vol 1, p.41-53

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