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Avortements clandestins à Ouagadougou : lumière sur une pratique honteuse et dangereuse

Publié le jeudi 22 janvier 2004 à 06h40min

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L’Unité d’Enseignement et de Recherche en Démographie (UERD) de l’Université de Ouagadougou a organisé le 21 janvier 2004 un atelier de restitution de résultats d’une recherche innovatrice sur les avortements clandestins à Ouagadougou. Cette étude est le fruit d’une collaboration entre l’UERD, l’Institut National d’Etude Démographique (INED) de Paris et l’Unité de Formation et de Recherches en Sciences de la Santé de l’Université de Ouagadougou.

L’avortement provoqué est condamné par la loi au Burkina Faso, sauf dans certaines circonstances restreintes : cas où la vie de la mère est en danger, cas de viol, d’inceste ou de malformation du fœuts.

L’équipe de recherche a sondé l’opinion de la population de Ouagadougou sur la question de l’avortement, en interrogeant 963 femmes et 417 hommes en 2001 (échantillon représentatif de la population de Ouagadougou). Les résultats montrent que l’avortement est une pratique fortement désapprouvée socialement.

Seuls la moitié des Ouagalais (54% des hommes et 54% des femmes) sont d’accord pour que l’on pratique un avortement lorsque la vie de la femme est en danger. Outre les raisons de santé, l’avortement est parfois toléré dans les situations où il s’agit de sauver l’honneur de la famille. Ainsi, en cas d’adultère, 1 homme sur 7, et 1 femme sur 4 acceptent un avortement. L’avortement est fortement condamné dans toutes les autres circonstances (manque de moyens, pour que la femme puisse poursuivre ses activités).

Confidences autour d’une pratique illégale

Dans un tel contexte d’illégalité et de condamnation morale, la pratique de l’avortement clandestin est difficile à documenter. Les enquêtes où l’on aborde le sujet directement auprès des répondantes (personnes interogées) donnent des résultats médiocres. Les patientes admises après un avortement dans les structures sanitaires sont une autre source d’information possible sur le phénomène. Mais les hospitalisations pour avortement ne représentent que la pointe de l’iceberg de tous les avortements ;

L’équipe de l’UERD a mené une pré-enquête pour cerner les caractéristiques du processus de recours à l’avortement à Ouagadougou. Elle a mené 30 entretiens informels dans deux zones de Ouagadougou (un quartier loti et un quartier non loti). Ces données montrent qu’il y a le plus souvent plusieurs tentatives d’avortement. La femme ou le couple essaye d’abord les méthodes les plus faciles d’accès avant de tenter des méthodes plus difficiles à obtenir en cas d’échec des premières. Des tierces personnes sont mises à contribution pour trouver les services d’avortement, et plus il y a de tentatives, plus il y a de personnes impliquées. La femme ou le couple sollicite des pairs, des amis proches, des confidents plutôt du sexe féminin, quoique les hommes contribuent également souvent, surtout si l’affaire se complique.

Ces résultats ont permis de développer une nouvelle méthode de collecte d’information quantitative sur l’avortement clandestin, la méthode des confidentes. Le principe de cette nouvelle méthode est le suivant : les enquêteurs interrogent les répondants d’une enquête en population générale sur les éventuels avortements des femmes qui leurs sont proches. Il est ensuite demandé aux répondants de faire une liste de leurs amies et femmes qui leur sont proches, puis pour chacune d’elle, il est aussi demandé si elle a eu un avortement dans les 5 ans avant l’enquête, et nous récoltons des informations sur les avortements ainsi déclarés.

C’est cette méthode des confidentes qui a été appliquée dans une enquête en population générale à Ouagadougou, en novembre 2001. 936 femmes représentatives de la population féminine de Ouagadougou. Ces 963 femmes ont déclaré avoir 1050 femmes avec lesquelles elles ont une relation proche. Ces 1050 amies ont eu 168 avortements : les estimations présentées sont calculées à partir de ces cas.

Une pratique en extension, un danger pour la santé des femmes

Cette nouvelle méthode permet d’estimer qu’il y a 40 avortements provoqués pour 1000 femmes par an à Ouagadougou, soit environ 1 avortement par femme et par vie. Dans ces conditions, on estime à 7800 le nombre d’avortements clandestins par an à Ouagadougou. On voit par ailleurs que plus les femmes sont jeunes, plus elles ont des avortements. Les adolescentes sont particulièrement vulnérables face à l’avortement non seulement elles ont plus d’avortements, mais elles font aussi plus souvent l’avortement elles-mêmes, ce qui est la méthode la plus dangereuse.

Les agents de la santé ou assimilés sont les auteurs de 61% des cas d’avortements ; les femmes font elles-mêmes leurs avortements dans 26% des cas, et les tradipraticiens sont les auteurs de 13% des cas d’avortements. Ces derniers utilisent surtout surtout des infusions de plantes. Les femmes qui provoquent leurs avortements elles-mêmes utilisent surtout des fortes doses de médicaments usuels. Les agents de santé, quant à eux, utilisent surtout l’injection et le curetage. En tout 1 avortement sur 3 à Ouagadougou est fait par injection, 1 sur 5 par curetage, et 1 sur 8 par absorption de fortes doses de médicaments usuels.

60% des avortements sont suivis d’effets négatifs pour la santé des femmes, ce chiffre est plus élevé (80%) lorsque les femmes font leurs avortements elles-mêmes. L’étude estime que par an 4545 avortement clandestins nécessitent des soins après avortement à Ouagadougou. Par ailleurs, 33% de l’ensemble des avortements provoqués finissent dans un centre de santé de la ville, et 14% sont admis pour soins après avortement dans un des 5 centres de référence qui ont fait partie de cette étude. D’après ces estimations 1112 avortements provoqués sont hospitalisés par an dans ces 5 structures. Enfin, l’étude estime que 28 femmes meurent chaque année des suites d’un avortement provoqué à Ouagadougou, ce qui représente environ 5% de la mortalité maternelle dans cette ville.

Dans quelle mesure ces résultats, estimés avec la méthode des confidentes, sont-ils fiables ? Pour répondre à cette question, l’équipe de l’UERD a collecté des données sur toutes les patientes admises dans 5 centres de référence de la ville pendant 4 mois en 2001. D’après ces données, ces 5 centres reçoivent 948 avortements provoqués par an pour soins après avortement. Ce chiffre est proche des 1112 estimés par la méthode des confidentes. De plus, l’âge des patientes observées dans les centres sanitaires de référence correspond à ce qui est estimé par la méthode des confidentes. Cette nouvelle méthode semble donc donner des résultats fiables.

Sibiri Sanou (sannousibi@hotmail.com )
Sidwaya

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