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Trafic d’enfants : Un phénomène rampant dans le Mouhoun

Publié le lundi 5 décembre 2005 à 07h29min

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Malgré la mise en place en 2000 des comités de vigilance et de surveillance
(CVS) contre le trafic des enfants, le phénomène va galopant dans bien de
contrées de notre pays. La province du Mouhoun, considérée comme le
carrefour de la région n’y échappe pas. La période des récoltes est le
moment favori pour les trafiquants.

Le directeur provincial de l’Action sociale
et de la solidarité nationale du Mouhoun, Achille Amado Kouanda, que nous
avons rencontré dresse l’état des lieux et prône des stratégies nouvelles de
lutte.

"Le Pays" : Quelle est la situation du trafic d’enfants dans votre province
depuis le début de l’année 2005 ?

Achille Amado Kouanda : Il faut d’abord rappeler que les premiers cas de
trafic d’enfants ont été signalés en 1980 avec 3 enfants de 14 à 16 ans
interceptés en Côte d’Ivoire. Ensuite, il y a eu 49 cas en 1997 à destination de
l’Allemagne, du Nigeria, de la Côte d’Ivoire et du Ghana. Mais ce n’est qu’en
2000 qu’une importance particulière a été accordée à la lutte contre le
phénomène.
Dans notre province, le phénomène prend de plus en plus de l’ampleur.

De
janvier à novembre 2005, nous avons intercepté au total 117 enfants dont 54
filles et 63 garçons. La moyenne d’âge de ces enfants varie entre 6 et 17 ans.
Les enfants sont originaires des provinces de la Boucle du Mouhoun qui sont
des zones pourvoyeuses de filles domestiques.

Leurs destinations sont généralement Bobo Dioulasso, Banfora, Diébougou,
Ouagadougou et le Mali. Nous connaissons habituellement le trafic interne
mais de plus en plus on assiste au trafic externe et transfrontalier. Le mois de
novembre est généralement la période favorite pour les trafiquants.

A titre
illustratif, le 7 novembre, nous avons intercepté 10 enfants, le 11 novembre 2
enfants, le 24 novembre 11 enfants et le 27 novembre 10 enfants, soit au total
33 enfants pour le seul mois de novembre. Nous reconnaissons que le
phénomène est rampant dans notre province. Ces cas rencontrés sont des
preuves palpables. Avec le concours des forces de sécurité, nous avons pu
rappeler à l’ordre les personnes impliquées.

Qu’est-ce qui justifie la montée en puissance du phénomène ?

C’est vrai que les actions de sensibilisation sont accentuées à ce niveau,
mais n’ignorez pas que pendant le dernier trimestre de l’année, les enfants
vont dans les champs de coton et autres pour travailler et préparer les fêtes. A
mon avis, c’est ce qui justifie la montée du phénomène. C’est pendant cette
période que nous aussi, nous engageons la lutte.

Malheureusement, nous
constatons avec amertume l’ignorance des parents. Certains admettent mal
qu’on interdise aux enfants d’aller à l’aventure. D’autres aussi ne savent pas
raison garder, et bafouent les droits de leurs progénitures.

Pour nous, le trafic
constitue un manquement au droit de l’enfant. Ils mettent en avant la pauvreté
qui les oblige à envoyer les enfants en ville pour la recherche du gain, le gain
facile, qui malheureusement les conduit dans la misère. La plupart de ceux
qui ont tenté l’aventure reviennent bredouilles. Nous sommes souvent obligés
de payer leur transport pour leur permettre de regagner leurs familles.

N’y aurait-il pas nécessité de réviser les stratégies de lutte ?

Effectivement, il faut développer d’autres formes, d’autres stratégies de lutte,
surtout en ce qui concerne notre région et notre province en particulier. Nous
pensons également qu’il faut appliquer la loi dans toute sa rigueur. Cela
pourrait contribuer à la réduction du phénomène.

Qu’est-ce qui est fait en faveur des enfants interceptés pour que ceux ci ne
soient pas amenés à reprendre le chemin de l’aventure ?

Lorsque noue interceptons des enfants, ils sont d’abord internés dans un
centre de transit. A ce niveau, leur restauration et leurs soins médicaux sont
assurés. Nous nous entretenons avec eux sur les dangers de l’aventure,
avant de les aider à rejoindre leurs familles d’origine. Nous essayons par la
suite de placer ces enfants dans des ateliers afin qu’ils apprennent un métier
d’avenir, qui le plus souvent est soit la mécanique, la soudure, la menuiserie
ou la couture.

Mais il faut avouer qu’à ce niveau aussi, les mesures
d’accompagnement ne suivent pas toujours, si bien que nous avons du mal à
contenir ces enfants. Les familles d’accueil, les chefs d’ateliers, devraient
bénéficier d’un soutien financier du projet. Nous espérons que le plan
d’action 2006 pourra nous aider à mieux peaufiner la lutte.

Quelles sont les difficultés que la CVS du Mouhoun rencontre ?

Les difficultés sont multiples et multiformes. Lorsque nous interceptons un
enfant par exemple, le retour en famille ne se fait pas à dos d’âne ou à moto,
parce que ce sont souvent des groupes d’enfants. Donc il faut forcément un
car de transport, il faut assurer la restauration et les soins. Nos structures
n’ont pas les moyens pour faire face à toutes ces charges. Lorsque les
enfants repartent par nos soins, nous n’avons plus de moyens pour leur suivi.
Ce qui fait que ces enfants par d’autres canaux reprennent le chemin de
l’aventure.

Un coup de coeur, Des doléances...

Un enfant n’appartient pas seulement à sa famille. Tout le monde devrait
contribuer à son éducation. Lorsque les enfants sont convoyés en ville, ils
sont livrés à des travaux domestiques très pénibles. Certains sont victimes
d’abus sexuels. Ces enfants ne reçoivent pas une formation qualifiée qui
puisse les aider. En tout cas nous continuons à mener la lutte jusqu’à ce que
ceux qui n’ont pas encore compris puissent comprendre.

Pensez-vous qu’on peut éradiquer un jour le phénomène ?

Je ne pense pas que ce sera chose aisée. Le trafic d’enfants est un
phénomène ancien. Nous pensons sincèrement que nous pouvons
contribuer à réduire le phénomène grâce à l’appui de tous nos partenaires.

Propos recueillis par Serge COULIBALY

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 6 décembre 2005 à 14:19, par Michel-Esther En réponse à : > Trafic d’enfants : Un phénomène rampant dans le Mouhoun

    j’ai lu avec un intérêt particulier votre dossier sur les enfants victimes de trafic et j’avoue que je suis un peu inquiète sur les proposition de solutions , du moins les stratégies car travaillant moi même dans un projet sur le trafic d’enfants, je ne suis pas convaincu que la rigueur des lois soit une solution au problème.
    en effet, comme vous l’avez si bien souligné, c’est un phénomène très ancien, qui tend à prendre des formes de plus en plus variées
    je crois que les lois c’est bien mais il serai mieux de mettre en place un système communautaire de protection qui permet une tracabilité, un lien des enfants avec leur milieu d’origine.
    cela me parait d’autant plus justifié que les mesures actuelles ne couvrent même pas la partie immergé de l’iceberg
    il ne faut pas non plus oublier des effets pervers de l’assistance auxquels on assiste de plus en plus
    si nous prenons le cas de l’ONG "AVOCH" financée par le BIT au Togo dans la région des plateaux, on s’est rendu compte à la fin du projet (1an d’exécution) qu’il y avait plus d’enfants trafiqués et à risque dans la région qu’au début du projet. La raision est toute simple : les familles arrivent à scolariser ou à mettre en apprentissage les enfants victimes à travers les projets de protection contre le trafic !
    les exemples sont nombreux et il nous faut mener une reflexion sur des actions à court terme, faciles, facilement acceptable, abordables et susceptible de nous conduire à une éradication totale du phénomène par l’éducation et les autres actions qui sont actuellement menées

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