LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Affaire Hissen Habré : la justice sénégalaise veut-elle sauver la mise au "Pinochet africain" ?

Publié le lundi 28 novembre 2005 à 07h47min

PARTAGER :                          

Dans la salle d’audience de la Cour d’Appel de Dakar, il y avait du beau monde pour écouter la décision qui devait être prise par cette juridiction par rapport à la demande d’extradition par la Belgique d’Hissène Habré, réfugié au Sénégal depuis 15 ans.

Lorsque la décision est tombée comme un couperet : " incompétence ", la salle a été envahie par des manifestations de joie de la part des partisans d’Hissène Habré accourus en masse pour soutenir l’ancien homme fort de N’Djaména pendant que des visages de glace, meurtris par la déception, se voyaient aussi en aussi grand nombre dans la maison de justice.

Mais la polémique autour de l’extradition d’Hissène Habré n’est pas prête de mourir ainsi de sa belle mort. Le débat a repris de plus belle.

Du côté " habréiste ", on célèbre la décision de la Cour d’Appel comme étant une décision de dignité, d’indépendance. Il n’est pas admissible qu’un Etat souverain subisse des pressions d’un ancien pays colonisateur. Un organe public sénégalais ira jusqu’à qualifier de " harcèlement belge " de justice raciste, cette " chasse à la courre dans la savane " contre Hissène Habré par des " chasseurs blancs ".Pour les avocats de l’ancien président, il ne sert à rien de parler de violation de traités internationaux notamment de la Convention de 1984 sur la torture puisque cette convention n’ayant pas été intégrée dans le droit sénégalais, ne peut s’appliquer à Hissène Habré.

L’organe de presse Walfadjiri du 26/11/2005 rapporte pour sa part : " ...à en croire les avocats de la défense qui tenaient un point de presse hier après-midi, la Chambre d’accusation, appréciant sa compétence, a décidé ’qu’un président de la République à qui on reproche des faits qui ont eu lieu au cours de son mandat de président de la République ne peut pas être poursuivi et ne peut pas être jugé avec des procédures de droit commun’. En pratique, cela donne ceci : ’la Belgique a donné un dossier à un juge d’instruction et, ce juge d’instruction est un juge de droit commun qui peut aussi bien poursuivre les voleurs de canards, les tueurs d’animaux que les tueurs d’êtres humains’. Mais, à les en croire, cette compétence ne saurait être admise à l’encontre de l’ancien homme fort de Ndjaména du fait du statut de chef d’Etat dont jouissait celui-ci au moment de la commission des faits. Et à qui des procédures de droit commun ne peuvent s’appliquer ".

Evidemment, du côté des anti-Habré, le son de cloche est totalement différent. La FIDH estime qu’en refusant de juger et d’extrader Hissène Habré, le Sénégal ne fait rien moins que consacrer l’impunité de l’ancien dictateur. Pour Sidiki Kaba, président de la FIDH, la justice sénégalaise, qui avait déjà refusé de juger Hissène Habré lors d’une procédure précédente, a une attitude contraire aux règles de l’ONU puisqu’elle viole ses obligations internationales.

Au Tchad, on n’en revient pas : on dit être choqué par cette justice qui a préféré juger en fonction des sentiments des Sénégalais, sentiments travaillés au corps pour faire croire que Habré est un nationaliste, que sur cette terre d’hospitalité on ne peut extrader un réfugié quel qu’il soit, oubliant les faits monstrueux commis pendant des années par l’ancien président au Tchad. Tchad-Forum dans son numéro du 25/11/2005, souligne en effet : "Un autre discours qui nous a été servi abondamment ces derniers jours, veut que l’extradition vers la Belgique de HH soit une atteinte grave à la souveraineté de l’Afrique. Quelle escroquerie ! Le mal dans tout cela est qu’il existe malheureusement des esprits fragiles pour croire à de telles balivernes. HH est un sanguinaire qui a toujours été prêt à tuer des communautés entières lorsqu’il s’agit de protéger son pouvoir et sa fortune. C’est pourquoi, honorer ce criminel d’un titre aussi respectable, comme le font actuellement certains intellectuels Sénégalais, signifie ni plus ni moins une insulte aux Tchadiens ".

Pour sa part, Reed Brody, Directeur adjoint de l’ONG Human Rights Watch, et qui défend les victimes du régime Habré, dira : " Pour nous, cette décision n’enterre pas la demande d’extradition. La Cour se déclare incompétente et elle ne rejette nullement la demande ". Brody poursuit : " C’est maintenant au Parquet et au Président Abdoulaye Wade de donner suite à la demande d’extradition ". C’est le même point de vue que soutient le patron de la FIDH : " La décision appartient au président Abdoulaye Wade " qui est, dit-il, le seul habilité à signer le décret d’extradition. Mais il n’est pas loin de rejoindre le point de vue de ceux qui estiment qu’il ne faut pas se bercer d’illusion en pensant que le président sénégalais peut violer l’ " omerta " qui sévit au sein du " syndicat " des chefs d’Etat africains.

Une chose est : les dictateurs ne sont pas faciles à alpaguer. Pinochet au Chili, âgé tout juste de 90 ans, mène la vie dure à tous les limiers qu’on a lancé à sa poursuite pour l’embastiller. Voilà des années que les procédures engagées contre lui sont les unes après les autres battues en brèche. En Afrique, Charles Taylor est un autre cas de gros "poisson " de la délinquance d’Etat, difficile à ferrailler. Retranché dans son " bunker " nigérian, les Etats ont beau demander l’ extradition du " Rouquin de Monrovia ", l’Union Européenne, les Nations Unies ont beau exhorter le gouvernement libérien à demander son transfert devant le juge pénal sierra léonais, rien n’y fait. Taylor coule toujours des jours heureux à Calabar. Tout indique que Hissène Habré sera logé à la même enseigne.

C’est d’une tristesse profonde d’abord que le Sénégal avait forcé l’admiration africaine et internationale par sa soumission inflexible à la primauté du droit, à son attachement à exercer le leadership en matière de défense des droits de l’homme et de la démocratie. C’est d’une tristesse profonde également quand on sait qu’une telle attitude n’est possible que parce que la communauté internationale, par désintérêt ou par calcul, préfère que l’Afrique reste comme une zone de non-droit.

San Finna

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique