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Burkina : « L’Acte fondamental du MPSR est un OCNI (Objet constitutionnel non identifié), car insusceptible de se rattacher à un ordre constitutionnel » (Me Guy Hervé Kam)

Publié le mercredi 9 février 2022 à 23h00min

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Burkina : « L’Acte fondamental du MPSR est un OCNI (Objet constitutionnel non identifié), car insusceptible de se rattacher à un ordre constitutionnel » (Me Guy Hervé Kam)

La situation d’exception que vit le Burkina depuis le 24 janvier 2022 a fait l’objet d’un mini-colloque, organisé le samedi, 5 février 2022 à Ouagadougou par le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD), l’ONG Diakonia et la communauté des enseignants-chercheurs et chercheurs en sciences juridiques et politiques du Burkina Faso (CEJP). Au cours de cette assise de réflexion, plusieurs sous-thèmes ont été développés, en lien avec l’actualité politique nationale. Parmi les communications, celle de Me Guy Hervé Kam, avocat à la Cour, membre-fondateur et ancien porte-parole de l’organisation de la société civile, Balai citoyen. « Quels canevas pour revenir à la légalité constitutionnelle », c’est sous ce sous-thème que le président du Mouvement SENS, organisation politique, Me Guy Hervé Kam, a entretenu l’important public qui a effectué le déplacement de ce mini-colloque. Nous vous proposons les propos liminaires qui ont servi de base d’échanges.

Mesdames et messieurs,

Je me réjouis de pouvoir intervenir à ce colloque que les initiateurs ont modestement appelé mini colloque sur la situation nationale. Le thème central concerne tous les burkinabé et au-delà tous les démocrates ainsi que toutes les personnes qui s’intéressent au constitutionnalisme. C’est à l’honneur de notre peuple et plus particulièrement du CGD qui n’a jamais manqué de discuter des questions cruciales aux moments cruciaux de l’avenir de la démocratie et de l’Etat de droit. C’est aussi à l’honneur de Diakonia et de la communauté des enseignants chercheurs en sciences juridiques et politiques de notre pays.

Pour traiter de la problématique de la rupture de l’ordre constitutionnel, il m’a été demandé d’intervenir sur le thème suivant : « Quel canevas pour le retour à la légalité constitutionnel ».

A la lecture du thème qui m’a été proposé, je me suis demandé si les initiateurs du colloque ne voulaient pas « manger leur piment dans ma bouche ». Car, vous l’avez sans doute relevé, le thème suggère que la situation actuelle de notre pays n’est pas celle de la légalité constitutionnelle, c’est pourquoi il invite à proposer un chemin pour aller vers la légalité constitutionnelle.

Je ne m’y déroberai pas autant.

J’organiserai donc mon intervention autour de deux points essentiels. D’abord il s’agira d’interroger la situation nationale pour savoir si elle relève ou non de la légalité constitutionnelle (I). Si oui, il s’agira ensuite de faire une esquisse de canevas de retour à la légalité constitutionnelle (II).

I. Éléments de rupture de la légalité constitutionnelle

Si la situation actuelle parait d’une illégalité constitutionnelle incontestable (1), il n’en demeure pas moins que cette illégalité est atténuée par une excuse de légitimité (2).

1. Une illégalité constitutionnelle incontestable

En accord avec les initiateurs du colloque, je pense que la situation nationale aujourd’hui me paraît effectivement relever d’une illégalité constitutionnelle depuis le coup d’état du 24 janvier 2022.

Et pour cause !

Qu’est-ce qu’un coup d’Etat ?

Aucune disposition constitutionnelle ou légale ne définit le Coup d’Etat. Tout au plus le code pénal puni le complot et l’attentat à la sureté de l’état qui me paraissent être la déclinaison légale du Coup d’état. Mais pour un besoin de simplification, entendons par Coup d’état « le renversement du pouvoir par une personne investie d’une autorité, de façon illégale ». Ainsi entendu, il est à distinguer du putsch qui est un coup d’état réalisé par la force des armes. Le coup d’état et le putsch sont eux même à distinguer de la révolution qui est un renversement de pouvoir réalisé de façon populaire et non par l’armée. Ce qui fait d’ailleurs que certains burkinabé, n’ont jamais considéré le régime du CNR comme une révolution mais plutôt comme un régime putschiste.

Mais là n’est pas le débat. Il me semble d’ailleurs que le constituant dérivé burkinabé n’a pas voulu lui aussi rentrer dans ces distinctions puisqu’en 2015, il a supprimé le putsch de la nomenclature des modes d’accession illégaux au pouvoir pour ne garder que le Coup d’état.

L’article 167 nouveau de la Constitution dispose en effet en ses deux premiers alinéas que :

« La source de toute légitimité découle de la présente Constitution.

Tout pouvoir qui ne tire pas sa source de cette constitution, notamment celui issu d’un coup d’Etat est illégal. »

Conformément à l’article 37 de cette même constitution, la source du pouvoir au BF découle du suffrage universel. Or, si je ne trompe pas, il n’y a pas eu d’élection le 24 janvier 2022. Au contraire, ce jour-là, à 17 heure 30 mn, ce qui était encore présenté la veille comme une mutinerie sous contrôle, s’est avéré être un renversement du pouvoir établi par des militaires. En effet, à la télévision nationale un groupe d’officiers a proclamé dans un communiqué n° 1 qu’il met fin au régime « au régime du Président Roch Marc Christian Kaboré » et dans un communiqué n°2, que le gouvernement et l’Assemblée sont dissouts.

Se trouvaient dès lors réunies toutes les conditions d’application de l’article 167 alinéa 2 de la Constitution (Tout pouvoir qui ne tire pas sa source de cette constitution, notamment celui issu d’un coup d’Etat est illégal) à savoir l’avènement d’un régime en marge de la légalité constitutionnelle.

Cela n’est pas sans rappeler le contexte de 2014. A ce propos, l’on se souviendra qu’après l’insurrection de 2014, le Pr Abdoulaye Soma disait que « Sur le plan juridique, la phase pré-transitionnelle est clairement caractérisée par une inconstitutionnalité et une illégalité généralisées. Le fait a pris le pas sur le droit. » (In Revue Cames).

Si le régime du MPSR porte le défaut des conditions de sa naissance, à savoir l’illégalité constitutionnelle, il n’en demeure pas moins qu’il peut bénéficier d’une excuse quasi absolutoire de légitimité.

2. Une illégalité constitutionnelle atténuée par l’excuse de la légitimité

Au regard de l’alinéa 3 de l’article 167 de la Constitution, la sanction du Coup d’Etat est la désobéissance civile. En cas de Coup d’état, « la désobéissance civile est reconnu à tous les citoyens », nous enseigne cette disposition.

Or, malgré le fait qu’ils en ont une expérience encore fraiche dans les mémoires, ni le peuple, ni aucune fraction du peuple, ni même les forces vives (partis politiques, syndicats, OSC, institutions républicaines) n’ont entendu utiliser le droit à la désobéissance civile. Au contraire, le Coup d’Etat du 24 janvier 2022 a été au pire des cas, simplement condamné, la plupart des réactions ayant seulement consisté à en prendre acte ou à le soutenir.

Cette situation d’acceptation populaire doublée de l’allégeance des autorités déchues, permet d’accorder une certaine légitimité à l’action du 24 janvier 2022. La meilleure preuve est l’allégeance publique de l’ex-Président de l’Assemblée nationale, qui ont le sait, aurait pu revendiquer la succession du Président KABORE, démissionnaire. Qui ne sait pas qu’en cas de démission du Président du Faso, ses fonctions sont assurées par le Président de l’Assemblée nationale.

Pour autant, cette légitimité ne suffit pas à faire entrer le régime du MPSR dans la légalité constitutionnelle. Il faudra pour cela sceller le mariage entre la légitimité et la légalité.

II. Eléments pour un retour à la légalité constitutionnelle

Conscient de la rupture de l’ordre constitutionnelle, le MPSR a dans son communiqué N° 2 suspendu la Constitution. Dès lors, il a consacré un état d’exception auquel il a entendu mettre fin par un acte fondamental. Cette tentative de retour à la légalité constitutionnelle mérite que l’on s’y attarde avant d’examiner la voie royale pour un retour à la légalité constitutionnelle rompue.

1. L’acte fondamental du 1er février 2022, un retour douteux à la légalité constitutionnelle

Signé le 29 janvier et publié par voie de presse le 1er février 2022, l’Acte fondamental du MPSR a rétabli la Constitution. Nul doute que par cette démarche, la volonté de ses auteurs était de faire entrer le MPSR dans la légalité constitutionnelle. Deux règles contenues dans son article 36 caractérisent cette volonté. La première dispose que « les dispositions du présent acte fondent le pouvoir du MPSR » et la seconde prévoit que « Dès sa signature, l’Acte fondamental lève la suspension de la Constitution du 02 juin 1991 qui s’applique à l’exception de ses dispositions incompatibles avec le présent Acte. »

Il ne s’agit pas ici d’inviter au débat le contenu de l’Acte fondamental. La tentation est bien grande tant il y a des choses à dire, mais je propose en lieu et place, de questionner l’Acte fondamental du 1er février 2020 sur sa capacité juridique à produire des effets dans l’ordre constitutionnel.

En rappel, de façon substantielle, l’acte fondamental ne s’est pas contenté de lever la suspension de la Constitution. Elle a, en outre, modifié ladite constitution principalement en ces dispositions relatives au Président du Faso et a créé un organe politique sui generis, le MPSR. Celui-ci a reçu la mission d’assurer la continuité de l’Etat « en attendant la mise en place des organes de Transition. » (article 26 alinéa 2).

Ayant remis la constitution en selle pour autant que sa suspension eut produit des effets, la MPSR a lui-même crée les conditions de l’inefficacité de l’Acte fondamental. Les deux exemples suivants confirment cette proposition. En premier lieu, l’Acte fondamental proclame le Président du MPSR Président du Faso alors que la vacance du pouvoir n’a pas été constatée. En rappel, seul le Conseil constitutionnel est apte à constater la vacance de la présidence du Faso. Cette institution existe, est bien en place et ne l’a pas fait. En second lieu, l’Acte fondamental se situe lui-même au-dessus de la Constitution contrairement à son frère siamois du Mali qui revendique clairement un rang constitutionnel. En effet, l’article 41 de l’Acte fondamental n° 1 du CNSP (Mali) dispose que : « Avant l’adoption d’une charte pour la transition, les dispositions du présent Acte qui s’appliquent comme dispositions constitutionnelles, complètent, modifient ou suppléent celle de la Constitution du 25 février 1992. » L’Acte fondamentale du MPSR, ne contient pas pareille disposition. L’on ne peut dès lors que constater que les chirurgiens qui ont procédé à l’opération des frères siamois ont mal travaillé puisque des parties vitales du bébé burkinabé sont restées avec le bébé malien.

En conséquence, l’Acte fondamental du MPSR ne peut pas entrer dans le bloc de constitutionnalité ; il ne revendique même pas un tel statut. En effet, si l’on considère la Constitution comme « un ensemble de normes placées au sommet de la hiérarchie juridique. », l’Acte fondamental du MPSR est un OCNI (Objet Constitutionnel Non Identifié), car insusceptible de se rattacher à un ordre constitutionnel.

Mais ce n’est pas tout. Dans le constitutionnalisme de crise, un élément fondamental doit être pris en compte pour juger si oui ou non une norme peut revêtir le statut constitutionnel. Il s’agit du processus de production de la norme. Ainsi, en situation de crise, une norme pourra sans aucune difficulté prétendre au statut de norme constitutionnelle si elle a été adoptée à la suite d’une large concertation et d’un consensus. Ce qui n’a pas été le cas de l’Acte fondamental du MPSR.

Que ceux qui ont participé à son élaboration lèvent la main....

En droit privé, on dira d’un tel acte qu’il s’agit d’un acte unilatéral.

Au regard de ces défaillances, il ne me paraît pas exagéré de dire que l’Acte fondamental n’a pas pu opérer le retour à légalité constitutionnelle. Mais alors que faut-il faire ?

2. Pour un retour à la légalité constitutionnel

Le retour à la légalité constitutionnelle en ce temps de crise n’est pas impossible. La Constitution burkinabé et l’histoire politique de notre pays en montrent la voie, telle qu’il sera exposé ci-dessous.

a) La constatation de la vacance des fonctions de Président du Faso et la reconnaissance du LCL DAMIBA Paul Henri Sandaogo en qualité de Président du Faso

Il me semble qu’on ne peut pas faire l’impasse sur ce passage constitutionnel. D’ailleurs tout porte à croire que les auteurs du Coup d’état en avait conscience le 24 janvier 2022. C’est du moins, pour moi, le fait justificatif de la démission du Président du Faso. Si la volonté n’était pas d’invoquer et de faire constater la démission du Président déchu, quelle raison y avait-il d’obtenir sa démission formelle. Aucune.

La constatation de la démission du Président déchu par le Constitutionnel est loin d’être un confort, c’est une exigence juridique et politique.

- Les fondements juridiques

Quelques dispositions d’ordre constitutionnel fondent la nécessité de l’intervention du Conseil constitutionnel pour « légaliser » le processus de transition :

- Le Conseil constitutionnel est le régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics (RI du Conseil) ;

- Il est l’institution compétente en matière constitutionnelle (art 152) ;

- Il peut se saisir de toute question relevant de sa compétence (article 157) ;

- L’intermédiation de l’article 167 alinéa 3 pour reconnaître le Lcl Damiba en qualité de Président.

Ces dispositions autorisent le Conseil constitutionnel à s’autosaisir de la situation pour constater la vacance de la Présidence du Faso et reconnaître le Lcl Damiba en qualité de chef de l’Etat. L’expérience de 2014 est significative à cet égard.

- L’Expérience de 2014

En 2014, le Conseil constitutionnel a pris trois décisions majeures pour ramener le pays dans la légalité constitutionnelle.

- Décision n° 2014-001/CC/Transition portant constatation de la vacance officielle de la Présidence du Faso : Le Conseil a pris acte de la démission du PF (15 novembre)

- Décision n° 2014-002/CC/Transition portant dévolution à titre transitoire des fonctions de Président du Faso. Le Conseil a constaté que les conditions de dévolution des fonctions de PF ne sont pas réunies et a invité les forces vives à se concerter pour désigner une personnalité consensuelle en qualité de PF (16 novembre)

- Décision n° 2014-003/CC/Transition portant validation de la désignation du Président du Faso (17 novembre)

Cette intervention a été acceptée par le peuple burkinabé, la communauté scientifique et la communauté internationale. En tout cas, sauf erreur ou omission de ma part, je n’ai ni vu, ni entendu des voix discordantes. Cet exemple n’est pas dépassé et peut encore servir aujourd’hui.

b) L’élaboration et l’adoption d’une charte de la Transition

- Pourquoi une charte

Ce qui transforme le fait en droit, c’est la capacité des forces détentrices du pouvoir à faire accepter leur ordre nouveau par l’ensemble des sujets de cet ordre (Carl Schmitt : Théorie de la Constitution).

Ces donc une exigence politique du MPSR d’adopter une charte pour doter le pays d’organes de transition afin de combler le vide institutionnel dans la conduite des affaires publiques.

- Comment une charte

L’histoire politique de notre pays est faite de dialogue et de compromis. Cette tradition bien établie se montre toujours utile et même nécessaire en période de crise, comme c’est le cas actuellement.

Plus que son contenu donc, la force juridique qui sera attachée à cette charte sera fonction de son niveau d’acceptation par le peuple. Peu importe donc le schéma utilisé, la charte sera viable si le processus de son adoption est inclusif et consensuel.

Je n’en dirai pas davantage...

Tels sont les propos que j’ai voulus soumettre à nos échanges. Je me garde de conclure pour laisser le débat ouvert.

Je vous remercie !

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