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Décès du Ouidi Naaba Karfo : Sa nièce livre un émouvant témoignage

Publié le mercredi 2 février 2022 à 15h17min

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Décès du Ouidi Naaba Karfo : Sa nièce livre un émouvant témoignage

Le Ouidi Naaba Karfo, chef de la cavalerie du Mogho Naaba, est décédé le jeudi 27 janvier 2022 à l’âge de 86 ans. Doyen des ministres de la cour du Mogho Naaba Boango, il totalisait 54 ans de règne. Désormais, celui qui est le premier chirurgien-dentiste du Burkina repose dans la cour de son palais où il a été inhumé le 29 janvier. Un hommage lui a été rendu le mardi 1er février 2022 à son domicile à Ouagadougou par ses proches, amis et parents, à travers des témoignages. Dans les lignes qui suivent, sa nièce, Dr Lydia Rouamba, lui rend hommage à travers ce témoignage émouvant.

« Mot d’hommage à mon oncle, son Excellence le Ouidi Naaba Karfo décédé le jeudi 27 janvier 2022.

Je voudrais tout d’abord demander à sa majesté Mogho Naaba Baongo, et aux dignitaires de sa cour ainsi qu’aux chefs coutumiers de Ouidi, aux notables, à mes pères et mères, l’autorisation pour dire un mot à l’endroit du Ouidi Naaba Karfo, mon père.

Ce n’est pas facile de parler du Ouidi comme on l’appelait affectueusement. Le Ouidi est le grand-frère de mon père qui, lui, est décédé en 1975. Il faudrait des jours et des jours pour parler du Ouidi.

Mais disons qu’avec sa haute stature imposante et rassurante, son pas lent, mais ferme, le Ouidi avait comme un don d’ubiquité. Il était partout à la fois. Les habitants du quartier le voyaient marcher, faire le tour du palais, de jour, comme de nuit. Dans le palais, il semblait être partout, veillant sur celui-ci. Tout le monde était informé que si pour une quelconque raison, une personne devait se retrouver à marcher la nuit très tard dans le palais, cette personne devait répondre rapidement à la question qui est-ce, sinon, elle risquait de se faire descendre.

Quand dans le quartier des femmes, nous étions en discussion avec les grand-mères et que tout d’un coup, il y avait silence radio, c’est qu’il y avait une présence. Et cette présence, on avait l’impression qu’elle n’était point humaine. Elle était plus forte que celle d’un être humain ordinaire. Car, un être humain aurait, par exemple, parlé, mais cette présence, souvent, sans mot dire, repartait comme elle était venue, et c’est ainsi que la causerie pouvait, à nouveau, reprendre.

De même à la maison, chez ma mère, juste à côté du palais du Ouidi naaba, nous ne savions jamais à quel moment le chef franchissait le portail, ni pénétrait dans la maison, mais il était souvent là pour veiller sur nous.

Nous avions fini par créer un code à savoir « la blancheur », « pelese », car il portait souvent du blanc. Ainsi, quand l’une d’entre nous lançait « pelese », nous comprenions que le chef était dans les environs et nous nous tenions tout sages.

Notons en passant que ma sœur cadette et moi étions très soulagées quand il a autorisé notre mère à signer nos cahiers de composition. C’était en effet une grosse épreuve pour nous d’aller remettre nos cahiers de composition pour qu’il les signe. Le Ouidi, en effet, était craint.

Travailleur, le Ouidi l’était. Je le revois encore quand une fois il a emmené, d’un pas alerte, Napoko et moi dans un de ses champs de riz, habillé en tenue de sport et portant des bottes.

Homme de culture, homme de lettres, écrivain, il lisait, lisait et écrivait. J’ose espérer que les projets d’ouvrages qu’il a entrepris avec quelques personnes verront le jour.

Ces dernières années et particulièrement ces derniers mois, j’étais proche de papi Naaba comme l’appellent les enfants. Et nous avions des discussions très chaudes car nous n’avions pas les mêmes points de vue sur certaines questions. Quand il était fatigué de m’écouter et surtout, n’arrivait pas à me faire changer de point de vue, il m’ordonnait, bien sûr, affectueusement, de partir. Ce que je refusais de faire et la causerie reprenait de plus belle. Ainsi, quelques visiteurs qui arrivaient se demandaient qui est la femme qui discutait ainsi avec le chef, ou mieux, qui osait discuter ainsi avec le chef. Cette femme, c’est moi, sa fille.

Car, j’avais découvert, sur le tard il le faut le dire, que derrière cet homme d’un tempérament dur, voire agressif, se cachait un homme aimable, doux. C’est ainsi que j’ai eu à lui dire un soir : « Naaba, j’ai compris votre personnalité. Vous jouez au dur alors que vous ne l’êtes pas. Il faut seulement qu’on réussisse à percer votre cœur. » Et c’est ce à quoi je m’y attelais.

Naaba, en réponse, vous m’aviez fait observer que si je perçais votre cœur, le sang allait couler. Nous avions alors ri et j’ai dit qu’on soignera le cœur. Nos discussions se passaient relativement tard en soirée, c’est ainsi que les fois où vous m’avez raccompagnée, j’ai été gratifiée de vos gestes affectueux. Vous aviez jusque-là observé la sacrée sainte réserve (distance physique) imposée aux chefs.

Oui, le Ouidi, homme avec des principes rigides, voire trop rigides, refusant de s’inféoder dans certaines conditions, homme qui tient à de hautes valeurs, même si quelques-unes n’étaient plus -à mon humble avis- très en phase avec l’évolution de la société, était, en réalité, un homme doux.

Souvent incompris, le Ouidi était, en réalité, d’une bonne écoute. J’ai pu le constater quand il m’a relancée sur certaines de mes idées alors que nos discussions sur ces points avaient été très chaudes. Et je dois rappeler que ces discussions ont eu lieu parce que j’ai tenu.
Or, ce qui se passait dans ses rapports avec les autres, c’est que dès qu’il tonnait, ses différents interlocuteurs et interlocutrices abdiquaient le débat. Nous n’avons, malheureusement, pas eu le temps d’aller de l’avant avec ces idées.

Naaba, vous m’aviez pourtant rassurée au téléphone que vous alliez mieux et j’ai pensé naïvement que nous allions nous revoir. Mais non, ça ne sera pas le cas. Tout s’est arrêté ce jeudi 27 février 2022. Malgré notre douleur, je remercie le bon Dieu de vous avoir gardé 86 ans sur terre, de vous avoir offert 54 ans de règne. Le vide que vous avez laissé est beaucoup trop grand. Oui, le Ouidi s’en est allé physiquement pour toujours. Un baobab est tombé, mais votre souvenir restera gravé dans nos cœurs.

Reposez-vous bien papa et que la terre du Burkina vous soit légère ! »

Lydia

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Vos commentaires

  • Le 2 février 2022 à 16:21, par Eric En réponse à : Décès du Ouidi Naaba Karfo : Sa nièce livre un émouvant témoignage

    Témoignage émouvant et vrai. C’était un ami de mon père et mon dentiste très tôt dans ma vie. Au début j’vais très peur mais avec le temps il a su me mettre à l’aise et j’ai eu des difficultés pour aller ailleurs quand il a cessé d’exercer. Reposez en paix Naaba. Homme digne au grand cœur

  • Le 2 février 2022 à 20:24, par Richa En réponse à : Décès du Ouidi Naaba Karfo : Sa nièce livre un émouvant témoignage

    Merci Dr Lydia Rouamba pour cet hommage émouvant à notre papa le Ouidi Naba Carfo que j’ai eu l’honneur de connaître et d’approcher parce que c’était un ami de mes parents.
    En effet, comme tu as su si bien le dire Lydia, derrière la carapace stricte et imposante du chef, se cachait un homme très intelligent, très cultivé, humble, affectueux et accessible avec des valeurs nobles comme sa personne. Je me souviens aussi qu’il fut un très bon ministre de la santé de la Haute-Volta. La belle époque.
    Le Mogho-Naba perd un soutien précieux. Merci pour vos bons soins, papy Naba et reposez en paix sur la terre de vos ancêtres.

  • Le 2 février 2022 à 22:22, par broo En réponse à : Décès du Ouidi Naaba Karfo : Sa nièce livre un émouvant témoignage

    que Dieu l’accepte dans son royaume celeste
    MES CONDOLEANCES A LA GRANDE FAMILLE MOAGA
    NABA, QUE LA PAIX VOUS SOIT LEGERE CHER ESCLAVE,

  • Le 3 février 2022 à 20:24, par Lompo En réponse à : Décès du Ouidi Naaba Karfo : Sa nièce livre un émouvant témoignage

    Ah oui. Ce monsieur avait une très forte personnalité.
    je me rappelle quand on était gamin dans les années 70, mes parents habitaient à Ouidi. Le ouidi naaba avait un véhicule de marque citroên appelé à l’époque "babi" qu’il conduisait souvent pour aller à son verger (certains disait que c’était la voiture de son défunt père). J’avoue que même à son passage, bien qu’étant dans sa voiture, on sentait qu’un chef passe. Il faisait effet sur tout le monde et dès qu’on apercevait sa voiture, chacun se débouillait pour paraitre le plus sage du monde. Et si je ne me pas trompe, il avait aussi un vélo de course qu’il montait pour venir à son verger.
    RIP

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