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Transformation des produits agricoles locaux : Un investissement à grande valeur ajoutée

Publié le mardi 7 janvier 2020 à 13h03min

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Transformation des produits agricoles locaux : Un investissement à grande valeur ajoutée

La polémique née autour de « Faso Attiéké », nom commercial protégé (mais non encore labellisé) par sa promotrice Florence BATIONO, et présente au 5e Salon international de l’agriculture et des ressources animales d’Abidjan (SARA) en novembre 2019, pour recevoir son prix Pierre Castel, traduit tout l’enjeu actuel des produits agricoles locaux transformés dans nos pays. Et suscite en nous une cruciale nécessité d’évoquer toute l’importance que nous devons accorder à la transformation de nos produits locaux, singulièrement nos produits agricoles, secteur créateur de valeur ajoutée et capable d’assurer la transformation structurelle de nos économies.

Le secteur, hautement valorisant pour ses premiers acteurs, les transformateurs/trices, mais aussi pour toutes les chaînes de valeur agricoles, de l’amont à l’aval, et tout l’écosystème agricole national, est créateur de richesses, de croissance, de bien-être et de résilience pour les populations d’un pays comme le nôtre. Et pour cela, nous nous devons de mettre nos intelligences, nos efforts, nos énergies et nos politiques de développement agricole à son service ; et de façon systémique, régulée, concertée et durable. Car de sa promotion et de son développement durable dépend le développement des micro, petites et moyennes entreprises capables de porter l’autonomisation économique et sociale des exploitants agricoles familiaux, l’employabilité des femmes et des jeunes, l’assurance d’une contribution conséquente à la création durable d’une richesse nationale.

Pour bien appréhender l’enjeu actuel, il nous semble pertinent, sans être exhaustif, d’esquisser un état des lieux de la transformation des produits agricoles locaux, et de ce constat, tenter d’entrevoir des voies possibles de promotion et de développement.

Par-delà le fort potentiel agricole de près de 9 millions ha de terres arables, l’existence d’environ 1 200 plans d’eau (barrages, lacs, mares), l’important potentiel en eaux de surface (10 milliards de m3) et en eaux souterraines (113 milliards de m3), l’importante variabilité génétique au sein des espèces végétales locales cultivées, la grande diversité de Produits forestiers non ligneux, l’existence d’un cheptel important et très diversifié et d’une population agricole jeune, dynamique, entreprenante et réputée travailleuse, notre agriculture tarde à créer de la valeur.

Malgré les efforts faits par les pouvoirs publics dans la mise en œuvre de politiques et stratégies de développement des filières agricoles, depuis les années de la grande sécheresse (1973 notamment), les acquis indéniables des Organismes régionaux de développement (ORD), jusqu’aux cadres juridiques et réformes actuels de promotion des investissements dans le développement des chaînes de valeur agricoles (SDR, PNSR, BADF, fonds, agropoles, etc.) et l’implication des organismes internationaux de développement, les retombées sont encore faibles, notamment dans l’offre de produits agricoles locaux transformés.

Par ailleurs, la situation infrastructurelle faiblement structurante dans la production ne permet pas encore de disponibiliser des produits agricoles suffisants pouvant satisfaire les besoins de transformation, au-delà de la consommation. Et le faible accès des transformateurs/trices aux équipements, aux technologies adaptées, au financement et aux marchés est davantage problématique. Encore que les services publics à l’agriculture n’ont pas encore impacté le secteur agricole. Et cela joue sur la productivité agricole dans son ensemble et ne permet pas un réel développement des micro, petites et moyennes entreprises de transformation et de commercialisation et laissent les consommateurs sous l’emprise de produits importés, à faibles coûts, facilement disponibles sur les marchés nationaux et accessibles à leurs revenus.

L’une des situations les plus préoccupantes et récurrentes est celle de la question foncière qui jusque-là ne trouve pas de solution adéquate, malgré les différentes réformes, et handicape grandement le développement du secteur. Et cela l’est encore davantage pour les femmes et les jeunes.

Depuis plusieurs années, les efforts de structuration et d’organisation des filières agricoles, avec des avancées indéniables, n’ont pas encore donné les fruits escomptés, notamment en termes de capacités de pilotage, de gouvernance de ces filières par les acteurs eux-mêmes, et pouvant participer de la création de valeur ajoutée.

En effet, le constat actuel est que des avancées notables sont perceptibles dans la production, avec une augmentation des produits agricoles, mais la question de leur transformation reste encore un défi de tout premier plan. Les produits agricoles locaux sont commercialisés au niveau national et à l’export à l’état brut. Toutes choses qui limitent la création de richesses, car de peu de valeur ajoutée. Et en plus, ils nous reviennent de l’extérieur, sous forme transformés, dans des conditions phytosanitaires, sanitaires et nutritives non maîtrisées et créant ainsi une perturbation des marchés nationaux et annihilant presque tous les efforts faits par les acteurs nationaux.

Mais, depuis quelques années, les marchés nationaux sont de plus en plus pénétrés par des produits locaux transformés (produits surtout par des femmes et des jeunes) et de plus en plus prisés par les consommateurs. En effet, dans les boutiques, les supermarchés, les manifestations commerciales et les réseaux sociaux l’on peut voir des produits transformés de riz, de fonio, de karité, d’anacarde, de moringa, de manioc, de viande, de chitoumou, de légumes, de fruits, etc., sous forme de sirop, de confiture, de poudre, séchée, de biscuits, de croquettes, etc. Et le consommateur est agréablement surpris par des emballages de plus en plus attrayants et des produits de qualité. Et cela dénote des capacités entrepreneuriales, de créativité, d’innovation des transformateurs/trices et singulièrement des entrepreneurs femmes et jeunes, qui osent prendre des risques et qui ont foi en la capacité de création de richesses des entreprises de transformation de nos produits agricoles locaux.

Mais cela reste encore embryonnaire et encore sur des marchés de niches, car ne permettant pas une commercialisation à grande échelle sur des marchés de masse, plus rentable et n’impactant durablement et significativement le secteur. Même si d’énormes efforts sont faits sur la disponibilisation et l’accessibilité de ces dérivés transformés sur les marchés, la qualité, l’emballage, le prix, la promotion, la sensibilisation des consommateurs, etc.

Par ailleurs, le financement des filières agricoles est toujours le ventre mou de l’appui du secteur, en dépit du foisonnement d’institutions de microfinance et de banques (et récemment de la BADF) qui ne proposent d’ailleurs pas encore des services financiers adaptés aux besoins des acteurs de l’agriculture familiale.

En outre, malgré l’envolée importante de l’entrepreneuriat rural de nos jours, du fait notamment des femmes et jeunes entrepreneurs, il ne dispose toujours pas encore de l’encadrement nécessaire et adapté pour enclencher le développement souhaité, même si des incubateurs et pépinières tentent actuellement de répondre à ce souci majeur. En plus, les questions fiscales sont des plus prégnantes et encore non incitatives pour un décollage des micro, petites et moyennes entreprises, notamment en phase de démarrage et/ou de consolidation, dans le secteur agricole.

Face à ce constat, quels peuvent être les défis actuels de l’agriculture créatrice de valeur, notamment le maillon de la transformation des produits agricoles locaux ?
Il nous semble que les voies possibles résident d’abord dans la prise en compte de plusieurs paramètres, dans une approche globale, concertée et durable de la question.

En effet, pour poser les bases d’un développement réel de la transformation des produits agricoles locaux, il nous paraît nécessaire d’avoir une vision de développement de toute la chaîne de valeur agricole. C’est-à-dire, faire le choix de modèles économiques capables de profiter à chaque acteur des différents maillons des filières, de l’amont à l’aval. Une transformation des produits agricoles ne peut se faire sans une réelle disponibilité en quantité et en qualité de matières premières (produits agricoles bruts).

Par conséquent, il est crucial de poser les conditions structurantes pour réaliser des infrastructures critiques dans la production. C’est-à-dire l’aménagement de périmètres irrigués avec maîtrise partielle ou totale d’eau, de systèmes d’irrigation économe en eau, de bas-fonds, surtout que le potentiel en eaux n’est plus à démontrer. Et en veillant particulièrement à une gestion rationnelle et équitable de l’accès au foncier par les femmes et les jeunes, bras armé dans le secteur de la transformation.

Il faut aussi songer à doter les exploitants agricoles familiaux de magasins de stockage, pour renforcer leurs capacités de conservation des produits et de gestion de la volatilité des prix agricoles. Et aussi décourager les achats bord champs, nuisibles aux producteurs, par la mise en place de comptoirs d’achat. Enfin, quelque soient les efforts fournis pour créer ces conditions, il sera vain d’essayer d’améliorer la commercialisation des produits agricoles, tant que nos zones de production seront enclavées. Cela montre la nécessité de réaliser des voies de déserte dans les zones de production et vers les zones de commercialisation.

Ces bases sont nécessaires pour permettre aux transformateurs/trices de pouvoir s’approvisionner en matières premières nécessaires, en quantité et en qualité, à des coûts accessibles, facilement et durablement et, ainsi être plus aptes à transformer, à des coûts de revient permettant d’avoir des marges substantielles et d’être compétitifs sur les marchés notamment par rapport aux produits importés et sur les marchés sous-régionaux et internationaux, demandeurs de nos produits agricoles transformés de qualité.

Des mesures transversales dans les chaînes de valeur agricoles telles que le développement des affaires, l’appui-conseil ciblé à l’amélioration du potentiel entrepreneurial, de gestion, l’accompagnement à la création et au développement de business models (modèles d’affaires) entre les acteurs des chaînes de valeur agricoles, l’agriculture contractuelle, l’assurance agricole et/ou environnementale sont nécessaires de nos jours pour dynamiser des MPME de transformation plus viables, plus inclusives et plus durables.

Le printemps actuel des femmes et jeunes entrepreneurs dans l’agroalimentaire au regard des initiatives privées développées et avec des résultats encourageants dans la disponibilisation et l’amélioration constante de la qualité des produits transformés locaux montrent qu’avec un peu plus d’efforts l’on peut réaliser des avancées importantes.

Encore faut-il que la question du financement endogène des filières par des mesures de prélèvement sur les exportations et les importations pour l’autonomisation financière des interprofessions soit une réalité afin qu’elles pilotent et gouvernent mieux le développement des filières, de façon concertée et durable. Et que la question de la transformation des produits agricoles soit le point central du développement de notre agriculture. Du développement du Burkina tout entier.


NB : SDR : Stratégie de Développement Rural ; PNSR : Programme Nationale du Secteur Rural ; BADF : Banque Agricole du Burkina Faso
Nombamba Ousmane Sidpassamdé OUEDRAOGO
Spécialiste en développement de chaînes de valeur agricoles
et en Business Development Services (BDS)
o_ousmane@hotmail.com

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