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Dr Ghislaine Conombo : « Une femme meurt toutes les trois heures... »

Publié le samedi 27 août 2005 à 10h15min

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La situation de la mère et de l’enfant n’est pas du tout reluisante. C’est la conviction de la directrice de la Santé et de la Famille, Dr Ghislaine Conombo. Dans l’entretien accordé à Sidwaya Plus, Dr. Conombo jette un regard sur la mortalité maternelle et infantile, évoque la question de l’accès de tous aux soins de santé et dévoile la feuille de route concoctée par la direction qu’elle dirige pour faire face à la situation.

SIDWAYA Plus (SP) : Quelles sont les attributions de la Direction de la Santé et de la famille et comment fonctionne-t-elle ?

Dr. Ghislaine CONOMBO (Dr. G.C.) : La Direction de la Santé de la famille est une direction technique du ministère de la Santé chargée de concevoir, planifier, coordonner et suivre la mise en œuvre des programmes de santé relatifs à la mère et à l’enfant. Il s’agit des programmes de maternité à moindre risque, de santé des jeunes et adolescents, de prise en charge intégrée des maladies de l’enfant, et de santé des personnes âgées et un autre programme transversal celui de service à base communautaire. Nous avons quatre services, un service santé femme et homme dans lequel il y a le programme maternité à moindre risque, le programme prévention de la transmission mère/enfant du VIH/Sida, le programme de planification familiale et le programme de services à base communautaire. Le deuxième est le service santé de l’enfant et de l’adolescent qui est chargé de gérer le programme santé des jeunes et des adolescents, la stratégie prise en charge intégrée des maladies de l’enfant. Nous avons enfin un service de planification, suivi-évaluation qui coordonne tous ces programmes en termes de suivi des progrès réalisés dans les différents programmes incluant la recherche.

S.P. : Quelle est la situation actuelle de la santé de la mère et de l’enfant au Burkina Faso ?

G.C. : Pour comprendre la situation sanitaire de la femme, il faut se référer à son statut dans notre pays. Malgré les efforts fournis sur le terrain, la situation de la femme reste préoccupante.

En ce sens que le statut de la femme n’a pas tellement évolué. Bien sûr nous avons des textes de lois qui sont votés mais il reste leur mise en application sur le terrain. Par exemple dans le domaine sanitaire, la prise de décision pour une femme pour aller vers les services de santé quand il y a une urgence, ou quand son enfant est malade ne lui incombe pas toujours. Cela provoque des retards dans le recours aux soins. En plus de cela nous avons la pauvreté et des barrières socioculturelles. Sur le plan sanitaire, les indicateurs sont révélateurs avec pour 100 000 naissances vivantes (les chiffres officiels au Burkina Faso), il y a 484 femmes qui meurent. En d’autres termes toutes les trois (3) heures une femme meurt de suite de la grossesse et de l’accouchement ; pendant ce temps (7) nouveau-nés perdent la vie. En terme de mortalité infantile, nous avons un taux de 83 pour 1000 naissances vivantes.

S.P. : Quelles sont les principales causes de mortalité infantile ?

G.C. : Les principales causes de la mortalité infantile sont le paludisme, la diarrhée, la rougeole, les infections respiratoires aiguës et bien sûr la malnutrition.

S.P. :Qu’en est-il de la formation du personnel soignant et partant de la couverture du territoire national en formations sanitaires, leurs équipements ?

G.C. : De 700 formations sanitaires, il y a dix ou 5 ans nous sommes actuellement à 1148 : preuve d’un effort réel d’extension de la couverture sanitaire. Nous avons aussi des antennes chirurgicales (des blocs opératoires) qui prennent en charge les urgences, surtout celles obstétricales (la césarienne ou la rupture d’urgence). De même le pays forme des médecins en chirurgie d’urgence, des infirmiers en aide-opérateurs et anesthésistes pour la gestion de ces antennes. Mais tout le problème est la disponibilité des médicaments d’urgences pour la prise en charge des femmes en cas de situation grave. A ce niveau nous avons certes notre Centrale d’achat de médicaments essentiels génériques (CAMEG) qui offre des médicaments à des coûts accessibles quand bien même le niveau de pauvreté est très grand et cela ne permet pas à la grande majorité d’avoir accès à ces médicaments. Les prix sont sociaux.

En effet depuis 2000 le ministre a décidé d’offrir des soins préventifs gratuits à la femme enceinte et à l’enfant de moins de 5 ans. La vaccination, la consultation des nourrissons sains, la consultation prénatale sont devenues gratuites ainsi que les supports (les fiches les carnets de santé et de vaccination) avec, le fer, la chloroquine, et les seringues. Pour les urgences obstétricales nous avons mis en place des kits opératoires pour pouvoir prendre la femme en urgence au niveau des structures de référence qui sont soit les antennes chirurgicales ou les centres hospitaliers régionaux.

S.P. : Pourquoi la santé de la mère et de l’enfant sont deux notions qui vont ensemble ?

G.C. : Ces deux notions sont intimement liées parce que des études scientifiques ont montré qu’un enfant orphelin de mère a 3 à 10 fois plus de chance de mourir avant son premier anniverssaire. Cela conserne surtout les filles. Perdre une femme dans notre société c’est perdre un trésor car c’est elle qui veille à l’éducation de l’enfant, à son alimentation, à son hygiène et à sa survie. Donc si la femme est malade, l’enfant en pâtira naturellement, il ne pourra pas bénéficier de toute l’affection nécessaire. De plus quand la femme en grossesse a un mauvais état nutritionnel, cela se répercute sur son fœtus qui peut naître soit prématuré soit avec un petit poids. De tels enfants sont très vulnérables aux maladies. Le couple mère/enfant, leur survie dépend l’un de l’autre.

S.P. : Alors concrètement quelle est votre feuille de route pour éviter les décès maternels ?

G.C. : Notre feuille de route se situe à plusieurs niveaux : au niveau du système de santé et au niveau du système hors santé. Pour le système de santé, il nous faut renforcer les capacités, les compétences des agents de santé en terme de formation. Nous n’avons pas assez de gynéco-obstétriciens pour couvrir tout le pays. Ils sont beaucoup plus en ville que dans les structures de référence au niveau périphérique alors qu’il faut une certaine stabilité c’est-à-dire une disponibilité de ce personnel pour qu’en cas d’évacuation d’une femme vers ces structures, qu’on ait la chance de trouver une équipe prête.

Notre souhait est que ce personnel existe dans les structures de référence au niveau décentralisé. Nous devons donc travailler à couvrir ce groupe en personnel qualifié : gynéco-obstétriciens, médecins formés en chirurgie d’urgence et sage-femme. A côté du renforcement des compétences des agents nous devons équiper davantage nos formations sanitaires en “ table d’accouchement ”, en “boite d’accouchement ”. Il faut aussi des tables de réanimation du nouveau-né, des tables-chauffantes pour éviter le refroidissement et les décès des bébés.

En plus du matériel, nous devons avoir des moyens de transport et des ambulances. Les moyens de transport constituent une denrée essentielle pour la survie du couple mère/enfant. Il faut donc créer un système de renouvellement d’ambulances et des ambulances motorisées pour le transport des femmes du village vers les centres de santé. Nous devons travailler avec le secteur des infrastructures et des transports pour améliorer nos pistes rurales, les routes secondaires surtout.

Quand une femme “en travail” est transportée sur des pistes non confortables cela pourrait entraîner des complications pouvant mettre la vie de la femme en danger. Par ailleurs des moyens de communication sont nécessaires comme le téléphone et le RAC pour l’usage des formations sanitaires. Les médias peuvent permettre d’augmenter le niveau de connaissance de la population sur le signe de danger pendant la grossesse et l’accouchement. Le ministère de la Promotion de la femme, le ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale de même que le ministère de la Justice sont sollicités pour nous appuyer afin qu’ensemble on améliore le statut de la femme. Le ministère de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation doit travailler à ce que les femmes puissent être alphabétisées, les filles puissent être scolarisées pour mieux comprendre les messages. La lutte contre la mortalité maternelle et néonatale est donc un domaine multisectoriel.

S.P. : Ne croyez-vous pas que le coût de la santé est tellement élevé au Burkina que lorsqu’on a un problème de santé on est réticent pour se rendre dans une formation sanitaire ?

G.C. : Ce que vous dites est vrai. Les prestations cliniques sont chères pour une population très pauvre. Si une femme doit débourser 100 F pour des soins, ce n’est pas toujours facile. Mais la santé a un coût et si le bénéficiaire ne paie pas quelqu’un doit le faire à sa place : L’Etat, les organisations communautaires ou autres donateurs. Nous sommes également en train de travailler pour que les coûts de prestations soient moindres pour les bénéficiaires. Nous avons élaboré une stratégie de subvention des accouchements et des soins obstétricaux et néonatals d’urgence. L’exemple type est le cas du district sanitaire du secteur n° 30 où dans le cadre du projet Aquasou les comités de gestion, les préfectures, la mairie et l’arrondissement de Bogodogo se sont organisés et ont cotisé pour qu’au niveau de l’antenne chirurgicale du secteur n° 30, la césarienne ne coûte que 25 000 F CFA quelle que soit la durée du séjour de la parturiente. Ce sont ces types d’alternatives de paiement que nous voulons promouvoir. Avant le district du secteur n° 30 ce système était mis en œuvre à Diapaga, à Bogandé, à Koupèla et au fur et à mésure d’autres districts commencent à développer ce système de solidarité.

Des politiques favorables sont initiées ; reste leur mise en application. Cela est un défi : permettre aux bénéficiaires d’accéder aux ressources mises à leur disposition.

S.P. : La ville de Ouagadougou et d’autre ville vivent une épidémie de choléra, quelle lecture faites-vous de cette situation ?

G.C. : Le choléra est (quelque part) un problème d’hygiène et de comportement. Il faut que la population comprenne la relation qui existe entre la maladie et leur état de salubrité. Ce n’est malheureusement pas le cas pour beaucoup et un travail d’éducation et de sensibilisation doit être mené. Quand on dit qu’il faut se laver les mains avant de manger et après être allé aux selles, de couvrir les aliments contre les mouches, éviter de laisser les latrines non couvertes et les tenir propres tout ceci sont des règles d’hygiène que dans une société, dans toutes les cours en particulier, on doit pouvoir pratiquer. Mais vous voyez que dans nos quartiers à côté des concessions il y a des tas d’immondices, de même que dans nos marchés. Cet environnement qui est devenu le leur parce qu’ils y passent la majeure partie de leur temps n’est pas entretenu. Un travail d’éducation et de responsabilité doit être fait car la population a tendance à croire que tout doit venir de l’Etat. La lecture que je fais de cette situation est que la population devrait savoir qu’elle est responsable de sa santé, elle peut l’améliorer, mieux se porter et mener ses activités de développement. Si on respecte les règles d’hygiène, on viendra à bout du choléra.

S.P.:Parlez-nous de votre parcours professionnel ?

G.C. : Je suis médecin de santé publique, j’ai fini mes études en 1990 et j’ai travaillé un an à l’hôpital Yalgado en pneumo phtisiologie. Ensuite à la Direction provinciale de la santé du Kadiogo, plus précisément au centre médical de Wemtenga où j’étais le médecin-chef de zone Saint Camille-Wemtenga de 1992 à 1995. En 1995 j’ai été nommée médecin-chef du district sanitaire du secteur n°30 jusqu’en 1997, date à laquelle je suis allée à Rabat (Maroc) pour une formation en population et développement durable. De 1998 à 2000, j’ai été nommée coordonnatrice des districts urbains (au nombre de 4) à la direction régionale de la Santé de Ouagadougou qui en son temps comptait 11 districts sanitaires, dont 7 districts ruraux et 4 districts urbains. En 2000 j’ai été nommée directrice régionale de la Santé de Tenkodogo où j’ai juste fait 7 mois à l’issue desquels je me suis rendue en Belgique pour ma spécialisation en santé publique depuis 2001 je suis directrice de la Santé de la famille.

S.P. : Comment arrivez-vous à concilier cette fonction avec votre vie de foyer ? N’est ce pas difficile ?

G.C. : J’ignore si c’est difficile. J’ai eu la chance d’avoir un époux qui me comprend et qui me soutient. Le mariage, les enfants pendant les études n’ont jamais été un obstacle. Mon époux a toujours été présent et a toujours su me remplacer auprès des enfants quand j’étais de garde ou en stage, en mission ou encore aux études.

J’aime la perfection quand je ne réussis pas à réaliser quelque chose je me sens quelque peu mal à l’aise. Je pense que c’est ce qui me conforte à aller plus loin. Je me dis toujours qu’on peut y arriver avec un peu de volonté. Au-delà de mon époux, j’ai eu un père qui a su nous éduquer (nous sommes trois garçons et sept filles). Il nous disait toujours qu’il n’y a pas de différence entre un homme et une femme, si un homme peut réussir dans ses études, une femme aussi peut l’être. Il faut savoir travailler. Mon père reste la seule référence dans ma vie. Il n’est plus, paix à son âme, mais pour moi il est toujours vivant dans mon cœur. Ses paroles me propulsent toujours à affronter de nouveaux défis. Pour une femme, il est difficile d’évoluer dans un milieu où il y a beaucoup d’hommes. Au ministère de la Santé, nous ne sommes que deux femmes au niveau central : Dr. Sanou Arlette à la direction générale de la tutelle des hôpitaux publics et du sous-secteur sanitaire privé et moi. Ce n’est pas facile, il faut se battre dans le travail pour montrer qu’on est à la hauteur des attentes. Par ailleurs quand je suis arrivée à la DSF j’ai trouvé une équipe solide, décidée à travailler . Nous sommes sept médecins qui se consultent régulièrement pour les prises de décisions. Certains sont des assistants à l’Université mais ils m’ont toujours respectée. Je pense que l’esprit d’équipe est très important dans une structure. Tout cela m’a permis de réussir ma mission. En tant que femme, mère et responsable d’une direction je dois m’occuper de ma famille et de mon service qui a beaucoup de partenaires où chacun a son agenda à respecter. Mes enfants sont assez grands. Cela me permet de me focaliser beaucoup plus sur mon travail.

S.P. : En tant qu’épouse, mère, médecin, faites-vous de la politique ?

G.C. On ne peut pas dire qu’on ne fait pas de la politique, on a toujours une coloration politique. Il faut savoir faire la politique. Mon père m’a toujours dit qu’il y a un âge pour tout : un âge pour se réaliser soi-même et un autre pour se lancer dans d’autres activités. Je pense que je suis à un âge où la politique n’est pas au premier plan, je m’intéresse beaucoup aux idées politiques. J’apporte ma pierre à la construction de la Nation et je pense qu’au moment opportun je pourrai m’occuper peut-être de la politique, ou peut-être d’autre chose.

S.P. : Avez-vous le temps de vous consacrer à vous-même, de vous distraire ?

G.C. : Ma distraction c’est la littérature, mon époux est de la culture et le meilleur cadeau qu’il m’offre est un livre surtout les œuvres africaines. Je lis beaucoup d’auteurs africains. Je fais aussi du sport, de la gymnastique. Etant médecin je sais ce que cela apporte comme bénéfice à l’organisme.

Ce sont mes deux distractions et quand je suis à la maison, je suis devant le petit écran. En conclusion, je dirais que la réduction de la mortalité maternelle et infantile passe par une meilleure allocation de ressources aux programmes de santé maternelle et infantile (SMI). En d’autres termes la part du budget de la santé dans le budget national devra atteindre les 15 % d’ici à 2010, le budget des programmes de SMI augmenté d’au moins 25 %.

Entretien réalisé par S.Nadoun COULIBALY (coulibalynadoun2002 yahoo fr)
Aoua COULIBALY (stagiaire)

Sidwaya

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