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Exploitation minière au Burkina : Une activité à repenser ?

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Publié le jeudi 18 avril 2019 à 13h00min

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Exploitation minière au Burkina : Une activité à repenser ?

Voilà environ deux décennies que le Burkina connaît un « boom minier », dit-on. Autant de temps après, tout laisse croire que nombre de Burkinabè ont un regard mitigé sur l’exploitation minière dans leur pays. Ce qui pourrait expliquer ces manifestations enregistrées dans les localités abritant les mines et les interrogations sur leurs retombées nationales. « A l’allure où vont les choses, le Burkina Faso pourrait donc se retrouver avec l’image dévalorisante du mendiant assis sur une mine d’or ! », ironisait notre confrère Bendré dans une parution en mai 2010, analysant l’exploitation minière au Burkina.

Et la preuve encore du sentiment mitigé avec cette sortie des maires des communes abritant des mines. Organisés autour d’un réseau, ces élus ont fini par « rompre le silence pour réclamer ce qui revient aux populations ». C’était à travers une conférence de presse tenue le 12 avril 2019. Les propos de ces responsables locaux sont bien expressifs, sans ambages.

« Depuis l’ouverture des premières mines industrielles, les maires que nous sommes avons vu s’accentuer la pauvreté et la souffrance de nos populations suite à l’implantation des projets miniers dans les communes », ont-ils craché, finalement.

Ils apprennent également que depuis plus d’une décennie, l’or sort de leurs communes, leur laissant des problèmes à gérer. Pourtant, de l’entendement général, l’exploitation minière devrait contribuer à l’amélioration des conditions de vie des populations locales, en particulier. Bien au contraire, l’on a plutôt dénoncé, clairement, une violation des lois, conséquence d’un manque de volonté des sociétés minières et du gouvernement lui-même (les réalisations faites par les sociétés minières dans le cadre de la responsabilité sociale des entreprises, RSE, sont jugées insignifiantes par rapport aux pertes en tous genres des communautés).

Ces maires exigent donc, entre autres, l’opérationnalisation rapide du Fonds minier de développement local, la mise à disposition des ressources de ce fonds et le paiement intégral des sommes dues par chaque société minière soumise à la contribution dudit fonds. Ils rejettent, en outre, toute idée de déduction d’un montant quelconque pour les motifs que les sociétés minières auraient fait des investissements dans les communes dans la période de 2015 à 2019.

La question de l’extraction de l’or, un tabou ?

« Nous avons suggéré de faire le point de l’exploitation de l’or dans notre pays ; qu’est-ce que ça a apporté au pays, quel est son impact réel sur les populations et sur l’environnement, quel est le plan de l’exploitation ? Mais à peine nous n’avons pas reçu de menaces. Allons-nous exploiter sans limites notre sous-sol ? », s’est confié un conseiller municipal, relatant une rencontre entre des élus et des responsables de l’administration burkinabè en charge du secteur.

L’on se souvient également qu’en 2015, sous la Transition, le Conseil national de la transition (CNT) avait fait de cette question, une priorité, avec en ligne de mire, passer d’un code minier attractif à un code minier de développement. A ce jour, c’est avec « regret » que des membres du CNT disent constater que les efforts ont été vains. Tant la question de l’exploitation de l’or reste comme une sorte de chasse gardée d’une certaine catégorie de Burkinabè.

L’anathème ne peut, cependant, être jeté sur les multinationales qui, elles-mêmes, font leurs affaires à travers le monde, estiment certains interlocuteurs qui suivent de près le secteur d’activité. « Il appartient à l’Etat d’être sérieux et de défendre aussi l’intérêt de ses populations et de son peuple. Si en lieu et place, les gens préfèrent troquer ce qui revient à la nation contre des intérêts personnels, ce n’est pas la faute aux multinationales. Certaines de nos mines sont pleines de proches de nos dirigeants », soulève un cadre d’une société minière, déplorant également qu’après plus d’une décennie d’exploitation, le Burkina n’ait pas pu se constituer des ressources humaines conséquentes pour ce secteur en vogue.

De problèmes à gérer, le film documentaire « Pas d’or pour Kalsaka » du jeune réalisateur burkinabè Michel Zongo en parle si bien. Sa réalisation, présentée au dernier FESPACO, met à nu la face cachée de l’exploitation de l’or. Kalaska, du nom de ce village situé au nord du Burkina, a été l’une des premières mines lancées officiellement à travers l’exploitation à ciel ouvert. Après six ans d’exploitation (elle a commencé en 2008), et sur la base de rapports dont certains émanent d’organisations de la société civile, le réalisateur est allé sur ce qui reste de cette richesse pour la localité, notamment sur les plans économique, social, environnemental.

Pour une prévision de 18 tonnes d’or, Kalsaka devra apporter au Trésor public, au titre des impôts, taxes et royalties, 836 millions de francs CFA et améliorer la balance des paiements du Burkina à hauteur de 10 milliards de francs. La commune (Kalsaka), d’une superficie de 600 kilomètres carrés pour une population de plus de 48 700 habitants répartie entre 51 villages, devra également bénéficier de diverses infrastructures socio-économiques et voir les conditions de vie des populations améliorées.

« Ce qui m’a poussé vers ce sujet, c’est lorsque j’ai lu un jour un rapport de l’ONG ORCADE qui faisait un peu le bilan de l’exploitation de l’or. Quand j’ai parcouru le rapport, ça m’a fait froid au dos : le bilan social, économique et surtout environnemental. Ça m’a vraiment choqué et m’a poussé à en savoir davantage. L’or, quand on l’exploite dans une localité, on a tendance à croire qu’à la fin, cela va permettre à la population de la localité concernée de sortir de la pauvreté. Mais on se rend compte que c’est le contraire. Pis encore, l’environnement a été dévasté. Même jusqu’à présent, l’environnement continue de prendre un coup. On a une nappe souterraine qui est touchée par les produits qui ont été utilisés », a révélé le réalisateur via une interview accordée à Lefaso.net sur le sujet, quelques heures après l’ouverture de la 26e édition du FESPACO (23 février au 2 mars 2019).

« Je souhaite que les décideurs se rendent compte que la richesse de notre sous-sol et notre sol appartiennent aux Burkinabè et non à des multinationales. C’est aux Burkinabè que revient le dernier mot. J’ai l’impression que nos dirigeants ne perçoivent pas les choses ainsi. Nos dirigeants mordent à l’appât, versent dans la corruption et ce sont tous les Burkinabè qui en pâtissent ; l’avenir du pays est mis en jeu. Pourtant, si on a des dirigeants qui sont intransigeants, inflexibles sur les intérêts du pays, quelles que soient les manœuvres des autres, on s’en sortira. Il faut que nos Etats se rendent compte que l’exploitation de l’or par les multinationales, ce n’est pas de la coopération, c’est du business. On n’est pas contraint de brader notre or », s’appesantit Michel Zongo.

« Le vrai problème, c’est notre Etat »

Mieux, le réalisateur pose, comme bien de Burkinabè, la question de la planification dans l’exploitation des ressources. « Voyez-vous, au Burkina, ce n’est pas maintenant qu’on a su qu’on avait de l’or. Depuis les premiers dirigeants, c’était su. Quand vous prenez Kalsaka, dans le film, il est ressorti qu’il y a plus de cinq générations avant, on savait qu’il y avait de l’or. Donc, ceux qui sont venus lancer le « boom minier », qu’ils ne pensent pas que ce sont eux qui ont découvert l’or, non ! Les générations passées avaient des raisons de ne pas l’exploiter ; c’est parce qu’elles avaient le souci de l’intérêt de tous les Burkinabè. Elles savaient que si elles l’exploitaient en ce moment, le pays n’allait pas gagner.

D’autres ont estimé qu’il fallait d’abord former la ressource humaine qui allait l’exploiter. C’était ambitieux, c’était de la vision. Les devanciers ont donc eu le souci de le laisser pour un moment où on aura plus d’ingénieurs, de juristes spécialisés, de techniciens de mine, etc., afin que son exploitation soit la plus bénéfique possible au pays. Maintenant, les gens viennent et pensent que l’or, il faut trouver des gens pour l’enlever et pour nous donner juste quelque chose », s’est étalé le cinéaste, regrettant que l’on brade les richesses nationales.

« Le vrai problème, c’est notre Etat. C’est lui qui a permis plusieurs choses, par le manque de rigueur et de compétences et surtout par la corruption sur toute la chaîne (du plus haut niveau jusqu’au maire de la commune). Chacun pense et préfère envoyer son enfant dans une société minière et le reste, il s’en fout. Ils préfèrent empocher quelques millions, les autres n’ont qu’à se débrouiller. Donc, il faut vraiment une prise de conscience. C’est même au-delà des lois, il faut avoir le souci du devenir du pays, de nos enfants et petits-enfants, bref, du devenir même du Burkina. Il faut une éducation, se poser la question et se dire que des gens viendront après nous, et ce que nous allons leur laisser. L’or est tarissable, la preuve en est qu’à Kalsaka, ils ont extrait la quantité qu’ils voulaient et ils sont partis. Maintenant, qu’est-ce qu’on fait avec les conséquences ? Il faut répondre à cette question avant de poursuivre. Les conséquences sont graves, au même moment on assiste à l’exploitation de l’or partout. Quand je vois l’exemple de Kalsaka, si les autres mines sont comme cela (ce qui est évident ; puisque c’est à ciel ouvert), c’est vraiment grave. Dans 30 ans, on se demande ce que le Burkina va être. Kalsaka me fait froid au dos. C’est vraiment une vraie catastrophe. Et c’est très grave », interpelle le réalisateur Michel Zongo.

Cette sortie des maires, ajoutée aux commentaires et questionnements autour de l’exploitation minière de l’or au Burkina pourraient impliquer une nécessité de repenser cette activité économique. Car l’expression qui se dégage est qu’il y a un hiatus entre les statistiques et les projections de réalisations au profit des populations.

Dans son rapport 2016 par exemple, le secrétariat permanent de l’Initiative pour la transparence des industries extractives du Burkina Faso (ITIE-BF) a fait ressortir que les exportations de l’or ont connu une augmentation en 2016 ; faisant passer la valeur de 794, 580 milliards en 2015 contre 929, 74 milliards de francs CFA en 2016. Lors d’un atelier d’information tenu en juin 2018 dans des communes (Bana et de Pompoï) de la province du Mouhoun, l’ITIE-BF indiquait qu’en 2016, 391 permis de recherche, 19 permis d’exploitation industrielle, 31 permis d’exploitation semi-mécanisée, 68 autorisations d’exploitation artisanale traditionnelle et 60 autorisations d’exploitation de carrières ont été attribués. A ce jour, cette carte a sans doute évolué, considérablement.

A contrario, pour des populations des communes minières surtout, cette évolution ne se ressent pas autour d’elles (manque/précarité d’infrastructures sociales de base : routes, centres de santé, écoles, etc.). Mauvaise appréciation ou pas de la part des populations…, ce sujet qui engage l’avenir du pays mérite un minimum de regard commun des Burkinabè, car la cohésion sociale et la stabilité passent aussi par là.

Oumar L. Ouédraogo
(oumarpro226@gmail.com)
Lefaso.net

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