LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine.” Montaigne

Mais que font les Maliens alors que tout le monde est au chevet de leur pays ? (1/3)

Publié le vendredi 13 juillet 2012 à 12h21min

PARTAGER :                          

Quel est donc le nom des habitants de ce pays, le Mali, qui est devenu un sujet de débat en Afrique de l’Ouest et dans le monde « occidental » ? Voilà quelques mois, au début de l’année 2012, alors qu’était déclenchée la « guerre » contre Bamako, les journaux étaient pleins de commentaires sur l’Azawad, cet Atlantide du désert, que les Touareg voulaient ériger en Etat indépendant. Il n’y en avait que pour le MNLA, un mouvement de rébellion qui se disait irréversible.

Et puis sont apparus Ansar Eddine, Boko Haram, des nébuleuses qualifiées « d’islamistes radicaux » voire de « terroristes ». Dans ce grand bazar que devenait ce que l’on avait connu comme étant la République du Mali, un tocard quelque peu toqué, s’est emparé d’un pouvoir auquel rêvaient des dizaines de personnalités appartenant, nous disait-on, à « l’élite politique » de ce pays. Depuis, alors que d’Alger à Abidjan et de Nouakchott à Niamey, sans oublier Paris, Bruxelles et New York, les réunions succèdent aux réunions, on n’entend plus guère parler des… Maliens, comme si ce pays avait été vidé de ses ressortissants pour n’être plus qu’un territoire occupé par on ne sait trop qui ni pourquoi.

La « guerre » a été déclenchée le 17 janvier 2012 mais quid aujourd’hui du MNLA qui en a revendiqué la paternité ? Le 7 juin 2012, le MNLA avait mis en place un Conseil transitoire de l’Etat de l’Azawad (CTEA), composé de 28 membres, et présidé par Bilal Ag Acherif. On n’entend plus parler de ce beau monde. Et son dernier communiqué, en date du 9 juillet 2012, particulièrement abscons, ne manque pas de nous préoccuper quant à la capacité du MNLA – parcouru de multiples « courants » parfois contraires – à s’inscrire dans le cadre d’une négociation structurante. Il faut nécessairement prendre en compte, dans cette négociation, la « question touarègue » qui est un des aspects majeurs de la « crise malo-malienne », encore conviendrait-il que les représentants de ce mouvement aient les moyens humains de leurs ambitions politiques. Et, à l’heure actuelle, ils n’en n’ont pas fait, encore, la démonstration.

Il est vrai que l’impéritie du MNLA n’a rien à envier à celle de l’ancien président du Mali, Amadou Toumani Touré, ni à celle de son « tombeur », le capitaine Amadou Haya Sanogo. Le 21 mars 2012 débutait la mutinerie qui allait, dès le lendemain, porter au pouvoir Sanogo. Sans que, pour autant, au cours de ce « vrai-faux » coup d’Etat, ATT ne soit capturé. Le 19 avril 2012, ATT, son épouse, ses filles, ses gendres et ses petits-enfants ont débarqué à Dakar et se sont installés à la « Résidence Pasteur » pour hôtes de marque. Soins à… Monaco, suivi de l’Euro 2012 à la télé, visite des personnalités politiques maliennes qui, elles aussi, ont trouvé refuge dans la capitale sénégalaise. Cool. Pas une déclaration, pas un mot. Voici près de trois mois qu’il est « réfugié » à Dakar et semble totalement indifférent à ce qui se passe dans son pays alors que sa responsabilité dans la « crise malo-malienne » est totale : c’est lui qui était au pouvoir depuis dix ans ! Il laisse donc la parole libre à celui qui se présente comme son « ancien conseiller français » (2002-2011), en charge du programme de renforcement des projets de développement du Nord Mali (eh oui, ça existe) : Dimitri Brelière. Interrogé par Sarah Halifa Legrand (Le Nouvel Observateur du 3 juillet 2012), Brelière s’empresse, quant à lui, de dénoncer une « communauté internationale » qui « fait le pari insensé de ne rien faire ».

Brelière sort du bois pour porter la parole d’ATT. 1 – Tout cela c’est la faute de l’Algérie qui, via l’Algérien Saïd Djinnit*, représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest, à « convaincu les Nations unies […] pour que le projet de recours à la force soit reporté au profit d’une solution négociée ». 2 – C’est la faute, aussi, d’Oumar Mariko** qui se trouve « derrière le coup d’Etat du 22 mars qui a évincé ATT » et a « su instrumentaliser les revers subis par l’armée malienne au Nord pour distiller un sentiment de haine contre le régime d’ATT auprès d’une partie de la population et des soldats ». Conclusion de Brelière : « On a reproché à Amadou Toumani Touré (ATT) de ne pas avoir combattu AQMI comme il fallait et maintenant on irait discuter avec les terroristes ? ». Il prône donc une intervention « de toute urgence » au Nord et l’envoi d’une « force extérieure » au Sud pour « sécuriser les institutions ».

« Allo, maman bobo ! ». C’est ne pas vouloir reconnaître que ce qui devait être fait par ATT aux plans politique (président de la République) et militaire (chef des armées et officier général), ne l’a pas été quand cela était possible. ATT, otage d’une classe politique - plus précisément d’une caste politico-affairiste - ne s’est exprimé ni avant, ni pendant, ni après la crise. On n’a pas entendu le chef de l’Etat, mais pas plus ceux qui grenouillaient depuis des années dans la perspective de la présidentielle 2012. Tétanisés, sans doute, par la hantise d’être dépouillés de leurs « biens mal acquis » ? « Grandes gueules », pourtant, les « élites » maliennes quand elles peuvent s’exprimer sans risque ! Où sont-ils passés tous ces « hommes politiques » maliens qui ne cessent de prôner l’alternance dès lors qu’elle doit leur permettre de s’installer au pouvoir ? Et cette autre « grande gueule » de Sanogo qui pose complaisamment pour les photographes devant ses « diplômes » et son « écran plat ».

Sanogo qui a passé plus de temps à « penser » le logo du CNRDRE qu’à réfléchir à savoir ce qu’il allait faire de son « pouvoir ». Sanogo mort de trouille y compris au sein de « sa » capitale (« Je suis la cible privilégiée des adversaires du changement que j’incarne »). Sanogo qui dit tout et le contraire de tout et surtout n’importe quoi à commencer par le fait que « la restauration de notre intégrité territoriale serait une affaire de semaines, voire de jours » si on donnait à l’armée malienne « les moyens et les équipements adéquats » (entretien avec Cherif Ouazani – Jeune Afrique du 3 juin 2012). Sanogo dont on nous dit (Jeune Afrique du 8 juillet 2012) qu’il est « en train de se faire construire une résidence dans l’enceinte du camp de Kati, dont la junte a fait son QG. Le bâtiment, dont la construction a commencé mi-mai, sera plus sécurisé et ressemble déjà à « un petit palais présidentiel », selon ceux qui l’ont vu ».

Avec ATT confortablement installé à Dakar avec femme, enfants et petits-enfants, et Sanogo – qui se voyait déjà président de la République « très fier de son armée », « redresseur de la démocratie » et « restaurateur de l’Etat » - replié au cœur du camp de Kati transformé en forteresse, les deux acteurs majeurs de la « malo-malienne » donnent une image pitoyable du Mali. Ils ne sont pas les seuls, hélas.

* C’est un mauvais procès d’intention, Saïd Djinnit, à l’instar des Nations unies, n’a jamais cessé de dénoncer le risque d’extension vers le Sud de la « zone grise » au sein de laquelle AQMI et quelques groupuscules mafieux ont développé leurs activités. A l’issue de la XIXème réunion de concertation de haut niveau des chefs de Missions de paix des Nations unies en Afrique de l’Ouest (Dakar – septembre 2010), il avait souligné que « les Nations unies restent attentives à ce qui peut être fait contre la menace terroriste dans le Sahel d’autant plus qu’elle risque de se propager en Afrique de l’Ouest compte tenu de la pauvreté et des problèmes de gouvernance ». Les « problèmes de gouvernance » concernent, bien sûr, ATT.

** Oumar Mariko s’est illustré en octobre 1990 lorsqu’il a créé l’Association des élèves et étudiants maliens (AEEM) qui lui permettra de siéger au sein du Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP) d’ATT. En 1996, devenu le docteur (en médecine) Mariko, il va créer le parti SADI (Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance) qui revendiquera son appartenance à la gauche révolutionnaire. Il sera candidat à la présidentielle en 2002 et en 2007. Mariko a condamné l’agression contre Dioncounda Traoré et a nié la participation du SADI à cette affaire dont on dit qu’il a été l’instigateur. Il a soutenu, par le passé, avant d’en dénoncer les dérives, l’action des Forces Nouvelles en Côte d’Ivoire ; il est souvent comparé à Charles Blé Goudé qui s’est illustré en Côte d’Ivoire comme un agitateur populiste. Le 9 février 2012, le SADI avait réclamé la démission d’ATT considérant que le Mali n’était pas en mesure d’organiser les élections alors que le territoire était occupé par la rébellion. Du même coup, il soutiendra le coup d’Etat du 22 mars 2012 et affirmera vouloir investir le capitaine Sanogo comme président.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              

Vos réactions (5)

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Attentat à Bamako : La réaction du gouvernement malien