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Ousseini Touré : “De nos jours, nous sommes à 50 tonnes de drogue saisies par an”

Publié le jeudi 23 octobre 2008 à 00h59min

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Ousseini Touré, président-fondateur de l’ONG Sagle-Taaba

Le Burkina Faso, situé au cœur de l’Afrique de l’Ouest, est de plus en plus confronté au problème crucial de l’abus de la drogue. L’Etat et la société civile s’investissent pour limiter les dégâts causés par l’abus de la drogue. Dans cet entretien, M. Ousseini Touré, président- fondateur de l’ONG Sagle-Taaba et coordonnateur d’un réseau d’une vingtaine d’associations, retient le partenariat international comme voie de solution. Il se prononce aussi sur l’urgence qu’il y a à trouver des solutions appropriées pour faire face au problème de la drogue au Burkina Faso.

SIdwaya (S). : Quel est l’état des lieux de l’abus de la drogue au Burkina Faso ?

Ousseini Touré (O.T). : La drogue est devenue plus préoccupante pour les populations du Burkina Faso. Il y a plusieurs approches qui définissent l’état des lieux de l’abus de la drogue au Burkina. On utilise les statistiques pour connaître l’ampleur d’un fléau. Mais vu la modicité de nos moyens en Afrique, il n’y a pas encore de statistiques. Cependant, une lecture du phénomène montre qu’il prend de l’ampleur.

Aux abords des grands marchés et des artères des grandes villes, il y a la vente des médicaments de la rue. Ce sont des circuits de vente des amphétamines aux jeunes. Avec ces amphétamines, ils se droguent et vous constatez dans la presse, la recrudescence des crimes, due aux effets des drogues. Le Burkina Faso, autrefois pays de transit, est devenu aujourd’hui un pays de consommation. Cela devient d’autant plus préoccupant, puisque depuis 1996 que nous participons aux destructions de la drogue saisie ; on en brûlait chaque année 3 tonnes. De nos jours, nous sommes entre 40 et 50 tonnes de drogue saisies par la douane, la police. La drogue prend vraiment de l’ampleur et devient une préoccupation.

S. : La lutte contre ces maux a commencé depuis belle lurette au Burkina Faso. A-t-elle atteint les résultats escomptés ?

O.T. : Au niveau des décideurs, la volonté est manifeste depuis la création du Comité national de lutte contre la drogue. Ils ont invité les différents acteurs à collaborer et à appuyer l’Etat dans la mise en œuvre de sa politique de lutte contre la drogue. L’Etat a marqué sa vive préoccupation pour les questions de drogue au Burkina Faso. Mais pour le moment, les moyens n’ont pas suivi la politique de l’Etat au niveau de l’encadrement des acteurs et de leur appui à la mise en œuvre des projets et programmes pour une lutte efficace. C’est pourquoi elle n’est pas encore probante.

S. : Comment se passe la prise en charge des toxicomanes ?

O.T. : Pour le moment, l’Etat burkinabè ne s’implique pas beaucoup dans la prise en charge des toxicomanes. Le secrétaire permanent du Comité national de lutte contre la drogue a eu à le révéler au ministre de la Sécurité. Cependant, nous ne perdons pas espoir car nous sommes convaincus qu’avec le travail que nous menons, le problème connaîtra une solution dans les années à venir.

S. : Existe-t-il une prise en charge des toxicomanes au Burkina ?

O.T. : Pour le moment, il n’y a pas de prise en charge officielle. Les cas que nous détectons, nous les dirigeons vers des spécialistes à l’hôpital Yalgado Ouédraogo de Ouagadougou ou à Bobo-Dioulasso. Et rarement vers le Ghana ou d’autres pays limitrophes qui ont de l’expérience dans le domaine.

S. : Quelle est la tranche d’âge qui s’adonne le plus à la drogue au Burkina ?

O.T. : C’est dommage, mais c’est la tranche la plus jeune. Elle se situe entre 15 et 40 ans. Ce sont des sources policières. Sinon pour le moment, nous, nous avons fait une étude sommaire financée par l’Office des Nations unies contre la drogue basé à Dakar au Sénégal. Cette étude a révélé que la tranche d’âge est beaucoup jeune.

S. : Quels types de drogue sont beaucoup prisés des jeunes ?

O.T. : La plus consommée est le cannabis, parce qu’il est moins cher et facile à produire et à avoir. Mais pour ce qui est des drogues dures, nous étions depuis quelques années, un pays de transit vers l’Europe compte tenu de nos moyens de lutte. Mais aujourd’hui, nous pouvons affirmer avec preuves à l’appui, que de pays de transit, nous sommes devenu un pays de consommation.

S. : L’Afrique de l’Ouest constitue aujourd’hui la plaque tournante du trafic de la drogue au niveau du continent. Comment se manifeste ce nouveau trafic illicite ?

O.T. : D’une façon générale, la consommation de la drogue se développe avec certaines crises. Comme les guerres sous-régionales, ethniques, l’éclatement de la famille, le développement en général. Les braqueurs et les grands bandits utilisent aussi la drogue. Ses chemins sont le Cap-Vert, la Guinée, le Sénégal, le Mali et le Burkina. Nous avons saisi de la cocaïne à plusieurs reprises à la frontière du Mali et à l’aéroport où des Nigérians essaient de partir en Europe avec. C’est aujourd’hui un phénomène préoccupant. Au niveau même de la CEDEAO, on est en train de voir comment y mettre un frein.

S. : D’où proviennent ces drogues dures ?

O.T. : Il y a des pays qui sont reconnus comme producteurs. Il y a l’Afghanistan, la Birmanie, le Laos, la Thaïlande etc. Mais comme les pays européens sont très vigilants dans la lutte, les organisations de trafic contournent les barrières et passent par les pays africains. Là, elles trouvent des personnes porteuses, des “avaleurs” de la drogue pour regagner l’Europe. Le mot “avaleur” de la drogue est péjoratif. C’est pour dire que les trafiquants sont prêts à tout pour arriver à leur fin, même au péril de leur vie humaine. Car ceux qui avalent les capsules de cocaïne, ces sachets conditionnés, risquent gros leur vie. Car en Afrique, avec les faiblesses des moyens de lutte, les trafiquants considèrent le continent comme une zone d’éclatement afin de rejoindre l’Europe et l’Amérique (USA).

S. : En quoi les produits de la drogue sont des causes de criminalité transfrontalière ?

O.T. : De par leur toxicité, elles ont une influence sur le système nerveux central et amènent l’individu à faire des choses fort peu recommandables. Le phénomène de la drogue engendre beaucoup de mouvements de capitaux. Et beaucoup de jeunes avides de gain facile et pressés de s’enrichir se jettent dans le trafic de la drogue.

S. : Vous avez participé en Europe à des rencontres sur l’harmonisation des outils concernant la lutte contre ces fléaux. Quelles ont été les principales conclusions ?

O.T. : En tant que membre fondateur de la première association à marquer sa détermination à lutter contre la drogue au Burkina, j’ai eu l’opportunité de voir ce qui se passe du côté de nos partenaires qui ont une longue tradition de lutte contre ce fléau.
Ce qui m’a amené à Bruxelles en Belgique et à Paris en France. J’ai rencontré plusieurs responsables d’ONG, et nous avons convenu de mettre en place un système d’échange sur la prise en charge et de prévention des toxicomanes. La question de la drogue est internationale. Ces ONG sont des bibliothèques et leurs expériences peuvent nous servir.

S. : Concrètement, qu’avez-vous défini comme axes de lutte ?

O.T. : Nous avons défini plusieurs axes. Le premier est que chacun doit travailler à son niveau à faire en sorte que les pouvoirs publics s’intéressent davantage à cette question. Car au niveau de l’Afrique, le phénomène de la drogue n’est pas une priorité. Il ne préoccupe pas non plus les politiques de développement. Nous devons proposer aux bailleurs des solutions à même d’éradiquer ce fléau. Le deuxième axe est d’organiser des structures au niveau de chaque pays et sous-région pour qu’elles intègrent les plans et programmes de lutte contre la drogue dans leurs actions. Aussi, nous en tant qu’acteurs civils de lutte contre le fléau, que nous puissions créer les voies et moyens pour échanger avec l’Etat et partager nos expériences.

S. : Au vu de ce qui se passe à travers le monde et au Burkina Faso, y a-t-il une lueur d’espoir de voir la lutte aboutir ?

O.T. : En tant qu’acteur civil et impliqué dans l’organisation de la répression, il faut dire qu’il y a une lueur d’espoir. Mais, le premier point à gagner, c’est de mettre le problème à nu, pour que les gens voient son ampleur et sa complexité.
Il faut que les gens sachent quel est l’effet de la toxicité de la drogue et les problèmes qu’il peut causer à l’individu et à la société. Au vu de ce que nous avons mis en marche sur le terrain et au vu des acteurs que nous encadrons depuis une dizaine d’années, nous sommes convaincus que nous arriverons à un bon résultat tôt ou tard.

Entretien réalisé par Charles OUEDRAOGO et Jonathan YAMEOGO

Sidwaya

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