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Pascaline Tamini, ministre de l’Action sociale et de la Solidarité nationale : “Nous n’allons pas atteindre la tolérance zéro pour l’excision en 2010”

Publié le lundi 13 octobre 2008 à 01h09min

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Le ministre de l’Action sociale et de la Solidarité nationale, Pascaline Tamini : “L’excision est due à la poussée excessive de domination de l’homme sur la femme”.

Le ministre de l’Action sociale et de la Solidarité nationale, Pascaline Tamini dresse le bilan de 15 ans de lutte acharnée contre la pratique de l’excision au Burkina Faso : les stratégies novatrices, l’ampleur du fléau, les structures de lutte les acquis,...Elle explique l’importance de la conférence des Premières dames des pays frontaliers au Burkina Faso dont les activités débutent ce jour 13 octobre 2008.

Sidwaya (S). : Quelle est la situation actuelle des Mutilations génitales féminines (MGF) au Burkina Faso ?

Pascaline Tamini (P.T.). : Les Mutilations génitales féminines (MGF) constituent un fléau qui porte atteinte aux droits humains les plus élémentaires de la femme parmi lesquels le droit à l’intégrité. Il ya plusieurs types de MGF dont l’excision pratiquée au Burkina Faso et dans la plupart des pays de la sous-région. L’excision est une pratique traditionnelle de très longue date qui n’existe cependant pas dans toutes les ethnies. Chez les Gourounsi et une partie des Bissa, par exemple, elle n’est pas pratiquée. Par contre, le phénomène est très répandu dans le Plateau central, vers le Nord et l’Ouest du pays. Le Burkina Faso s’est engagé dans la lutte contre l’excision depuis plus de 15 ans. Mais au moment où nous entamions cette lutte, nous ne connaissions par la situation exacte du problème. On est parti de l’hypothèse que l’excision était pratiquée à 100% c’est-à-dire qu’elle est fortement présente. Par la suite, des études ont été faites sur toute l’étendue du territoire.

Et en 2003, elles ont révélé un taux de prévalence du mal de 77%. Quatre ans plus tard ce taux a chuté d’environ 35%, pour se situer à 49%, preuve que des efforts ont été faits pour amener les gens à abandonner l’excision. Le taux de prévalance, toujours élevé, concerne essentiellement les enfants de zéro à cinq ans. Alors qu’avant c’était les adolescentes qui étaient les victimes de l’excision. D’où les difficultés de contrôle puisque la stratégie de lutte et les mécanismes de surveillance étaient adaptés à la tranche d’âge comprise entre 10 et 15 ans, c’est-à-dire avant l’âge de la puberté. En effet, les stratégies élaborées étaient basées sur le fait que l’excision est une pratique coutumière qui s’opérait selon des rites indiqués et à des moments précis.

Par conséquent, il était possible d’arrêter les exciseuses et leurs complices facilement, pendant les périodes de rites. Ce qui n’est pas le cas lorsque ceux-ci s’en prennent à des bébés. Ils se dissimulent plus facilement. Mais nous gagnons cependant quelque part, du fait que le taux de prévalence ait baissé au niveau des adolescents. L’excision continue de se faire, rien qu’hier, j’ai été informé d’un cas à Barsalogho. Une fillette de 14 ans excisée a été conduite d’urgence au dispensaire de la localité, suite à une complication liée à l’hémorragie provoquée par la mutilation. L’auteur du délit a fui mais a été rattrapé par la gendarmerie.

S. : Qu’est-ce qui explique la persistance de l’excision ?

P.T. : Les gens disent que l’excision est une pratique traditionnelle qui relève des coutumes. Or quand on parle de coutume et de croyance, il est très difficile de changer rapidement les mentalités. Pourtant pour éradiquer cette pratique néfaste, il faut un changement fondamental des mentalités.

Ce processus est enclenché depuis 15 ans à travers des mécanismes de sensibilisation incluant les leaders d’opinion, les chefs coutumiers les notabilités religieuses, etc, pour que la population sache que l’excision n’est indiquée dans aucun code religieux. On ne peut donc pas se prévaloir d’un prétexte religieux pour faire perdurer la pratique. Certains chefs coutumiers nous ont expliqué qu’elle a été importée et transmise de génération en génération. Mais toutes les ethnies ne s’adonnent pas à la pratique comme je l’ai dit plus haut. Il faut mener des études sociologiques pour mieux comprendre les causes du problème. Nous, nous pensons qu’elles découlent de la poussée excessive de domination de l’homme sur la femme. Parce que de nombreuses sociétés sont organisées de telle sorte que la femme soit confinée dans un rôle précis. Cet instinct et de domination ne se manifeste pas uniquement en Afrique, mais dans pratiquement toutes les sociétés du monde.

S. : Quelle est la politique du ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale pour mettre fin à la pratique de l’excision ?

P.T. : Nous sommes engagés dans la lutte contre l’excision depuis plus de 15 ans, ce qui fait beaucoup de temps. On a engrangé des résultats satisfaisants même si nos objectifs n’ont pas été entièrement atteints. Ainsi le taux de prévalence a baissé. Nous avons renforcé nos stratégies de lutte au fil des ans, en fonction des réalités de terrain et pour plus d’efficacité. Au départ nous avons initié la sensibilisation. Mais vu qu’elle avait des insuffisances, on a ajouté la sanction à l’endroit des praticiens, par l’adoption de loi réprimant les MGF. Mais ces deux options ont également montré leurs limites ; ce qui nous a amenés à y adjoindre des mesures économiques.

De fait, vous pouvez réussir à ramener un praticien à la raison, mais s’il n’a pas la possibilité de se défaire de son activité pour divers motifs, il y a problème ! C’est le cas de certaines exciseuses qui vivent de l’excision, elles sont payées et reçoivent des dons. On a estimé qu’il fallait leur trouver d’autres sources de revenus afin qu’elles puissent abandonner ce travail. Des activités génératrices de revenus ont été donc développées pour elles. Sensibilisation, répression, appui économique étaient, en résumé, la stratégie de lutte. Cependant le souci permanent d’efficacité nous a conduits à développer des stratégies novatrices avec une approche beaucoup plus participative. Il nous est apparu nécessaire de faire de l’excision une question d’éducation. Dans cette optique, des programmes sur l’excision ont été conçus avec l’appui de nos partenaires et sont appliqués dans certaines écoles primaires.

Ce qui permettra aux futurs parents que sont les enfants de connaître les méfaits de l’excision et de ni s’adonner à cela, ni la pratiquer sur leurs progénitures. L’introduction de l’excision dans les nouveaux curricula de l’école primaire fait partie des approches novatrices que nous projetterons d’ailleurs vers le secondaire. Un autre c’est la lutte transfrontalière ; pourquoi ? Le Burkina Faso a été l’un des pionniers dans le combat contre l’excision. Il a adopté une loi réprimant les MGF pour dissuader les gens. Mais on s’est rendu compte que les exciseuses immigraient vers les pays voisins où la pratique n’est pas interdite pour exercer leurs activités. Et les clients les y rejoignent. Elles bénéficient non seulement de la clientèle locale mais également de celle de leur pays d’origine. Pour entamer cette stratégie, on a initié la lutte transfrontalière. C’est dans ce cadre justement que se tient du 13 au 15 octobre 2008 à Ouagadougou, la conférence des Premières dames du Burkina et de ces pays frontaliers. Elles veulent trouver des stratégies appropriées à même de venir à bout de l’excision

S. : Que peut-on attendre de cette conférence ?

P.T. : D’abord, il faut s’accorder sur l’importance de la lutte contre l’excision et son impact négatif sur l’épanouissement de la femme d’une façon générale, épanouissement à court et moyen terme. Les conséquences immédiates sont les décès. A moyen terme, on note le traumatisme et autres problèmes psychologiques qui empêchent les excisées de vivre pleinement leur sexualité.

La mutilation peut être à l’origine des fistules obstétricales ; conséquence des accouchements difficiles et prolongés. Les fistules, des problèmes d’incontinence portent atteinte à la dignité des femmes porteuses qui sont marginalisées dans leur milieu de vie. La conférence vise à une prise de conscience collective, surtout des femmes à un certain niveau qui peuvent influencer positivement la lutte. Les Premières dames, épouses des premiers responsables de leur pays ont une voix beaucoup plus porteuse que tout autre voix, puisqu’elles peuvent, de par leur leadership, influencer les politiques nationales en faveur de l’abandon de la pratique de l’excision. Nous attendons d’elles, qu’elles s’accordent sur l’importance de la lutte contre le fléau de l’excision et qu’elles adoptent une feuille de route à mettre en œuvre dans leur pays afin qu’une évaluation puisse se faire au bout d’une année.

C’est une conférence que nous voulons opérationnelle parce que devant aboutir sur des conclusions et des recommandations immédiatement applicables sur le terrain avec des résultats attendus aux plans qualitatif et quantitatif. Les esperts qui se réuniront le 13 octobre 2008 pourront utiliser les conclusions des travaux. Les ministres en charge de la question de l’excision se réuniront un jour avant le sommet des femmes pour étudier le problème et proposer des solutions. Si celles-ci sont acceptées par les épouses des chefs d’Etat, ils auront de fait leur aval pour les appliquer dans leur pays. Nous nourrissons beaucoup d’espoir quant aux retombées de la conférence qui permettra d’engranger des victoires dans la lutte contre l’excision et atteindre la tolérance zéro. Le comité interafricain de lutte contre l’excision s’est fixé en 2003 à Dakar l’échéance 2010 pour vaincre le mal : la tolérance zéro.

Nous sommes à deux ans de cette date et le taux moyen de prévalence en Afrique de l’Ouest est de 45%. Notre pays, lui, a un taux de 49%. Si nous voulons atteindre la tolérance zéro, nous devons régresser d’au moins 25% à partir de 2009. Pourtant ont est à un taux de régression moyen de 5%. Multiplier ce chiffre par cinq en deux ans n’est pas chose aisée. Nous sommes pratiquement convaincus que nous n’allons pas atteindre l’objectif tolérance zéro en 2010. Mais avec les différentes stratégies combinées, nous y parviendront en 2015 qui coïncide avec la fin des Objectifs du millénaire pour le développement. Nous devons respecter ce délai parce que l’éradication de l’excision fait partie de ces objectifs, en l’occurrence dans son volet droit de la femme. L’ambition de 2010 n’aura pas été réalisée mais le taux de prévalence a diminué de façon drastique.

S. : Le Burkina Faso jouera-t-il un rôle particulier à cette occasion ?

P.T. : Nous sommes le pays organisateur et pionnier en matière de lutte engagée contre l’excision. Nous avons à notre actif plusieurs actions. La Première dame Mme Chantal Compaoré est présidente d’honneur du Comité national de lutte contre l’excision, ambassadrice de bonne volonté de l’Union économique et monétaire Ouest-africaine (UEMOA) contre cette pratique, et membre du comité interafricaine de lutte contre l’excision. Toute chose qui indique que le Burkina Faso a une riche expérience à partager avec les autres pays : les stratégies mises en œuvre, les textes de loi adoptés, etc. Nous sommes actuellement engagés dans un processus de programmation et de planification de nos actions en matière de lutte contre la pratique de l’excision parce que toute action pour atteindre les résultats escomptés doit être bien l’organiser, de telle sorte qu’elle ne puisse pas manquer de ressources tant financières, matérielles qu’humaines.

Nous avons fait l’évaluation qui a permis de savoir le taux de prévalence et d’élaborer un plan quinquennal. Actuellement nous sommes en train d’évaluer les capacités institutionnelles du secrétariat permanent du CNLPE afin de lui donner les moyens de s’intégrer dans les nouvelles stratégies que nous sommes en train de mettre en œuvre. Cette expérience pourra servir aux autres pays qui n’ont pas encore de structures nationales qui coordonnent l’ensemble des activités relatives à la lutte contre l’excision. Nous avons beaucoup de choses à donner aux autres pays. C’est aussi l’occasion pour nous d’apprendre d’eux et élaborer ensemble un agenda commun qui va nous permettre d’évoluer de façon efficace ensemble.

S. : D’aucuns estiment que les principaux acteurs à même de jouer sur les changements de mentalité ne sont pas pris en compte dans les grandes rencontres. Que répondez-vous ?

P.T. : Notre stratégie de lutte est menée de concert avec les leaders d’opinion que sont les chefs coutumiers, religieux, certaines associations de femmes de la société civile. Les anciennes exciseuses qui avaient été répérées, sanctionnées et sensibilitées sont prises en compter dans nos activités.
Certaines ont bénéficié d’appui afin qu’elles puissent développer des activités génératrices de revenus. Le ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale, ne peut pas à lui seul faire le travail de sensibilisation, il faut la contribution des leaders d’opinion pour toucher les populations. C’est pourquoi nous avons développé avec l’ensemble des radios communautaires du pays, un programme avec l’appui de l’UNICEF pour sensibiliser les gens. Celles-ci ont d’ailleurs été conviées à la conférence des Premières dames.

S. : L’espoir est-il permis quant à l’éradication totale de l’excision ?

P.T. : L’espoir est grandement permis. Nous pensons qu’avec les stratégies novatrices, à un moment donné il n’y aura plus de candidat à l’excision. L’exciseuse existe parce qu’il y a une demande. Si l’offre existe et qu’il n’ya pas de répondant, alors elle va finir par ne plus exister. Nous travaillons au Burkina Faso à cela. Comment ? L’éducation, la base de tout développement pourrait aider à cet effet. Si nous arrivons à atteindre un taux de scolarisation de 100% au niveau le plus élevé, le phénomène pourra être enrayé. Nous sommes sur la bonne voie pour atteindre la tolérance zéro.

Interview réalisée par Séraphine Somé (serasome@yahoo.fr)

Sidwaya

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