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Compromis et société : Si l’enfer, c’est l’autre, c’est aussi nous

Publié le mercredi 11 juillet 2007 à 07h58min

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"L’enfer, c’est les autres", a-t-on coutume de dire. Nous n’avons pas obtenu de bonnes récoltes à la fin de la saison des pluies ? c’est la faute du frère ou du voisin qui a jeté un sort sur nos champs ; nous avons été limogé de notre position administrative ? c’est dû aux intrigues d’un de nos collègues ou de nos subordonnés ; nous avons eu un accident de la circulation routière ? c’est lié aux capacités de nuisance de quelqu’un de notre entourage... Les exemples pourraient être légion.

En Afrique et surtout au Burkina, cela est un dogme, une vérité absolue, et gare à vous si vous vous hasardez à vouloir faire entendre raison à certains de nos compatriotes (la majorité en fait) qui en sont convaincus.

Certes, il est naturellement prouvé que l’instinct de conservation d’autrui peut l’amener à être un vrai loup pour son prochain.

Du reste, dans la lutte pour la survie, il est inconcevable qu’on ne soit pas victime de nos relations avec l’autre. Ensuite, dans un contexte de libéralisme économique et politique qui responsabilise l’individu et le met au centre de nombre de préoccupations, c’est compréhensible.

En outre, peut-être ne faut-il pas oublier que les produits de la société traditionnelle africaine que nous sommes sont, en tant qu’individus, relégués au dernier rang.

En d’autres termes, l’individu compte moins que le groupe social auquel il appartient : "C’est au bovin égaré de beugler pour rechercher le reste du troupeau".

Tant et si bien que ceux qui font preuve de liberté vis-à-vis du groupe peuvent se retrouver marginalisés : soit en subissant un ostracisme de la part du groupe, soit en étant accusés de tous les pêchés dont celui de nuire inutilement à autrui.

Une telle place de l’individu dans l’Afrique ancestrale pouvait se comprendre d’autant plus aisément que la société traditionnelle avait pour souci principal le fait de se reproduire identique à elle-même.

Or, si elle autorise certains de ses membres à prendre des libertés, le risque est grand qu’une déstructuration du tissu social survienne. La preuve que ce risque était réel est donnée par les conséquences du choc culturel entre l’Occident et l’Afrique.

Ni défendable, ni justifiable

Cependant, si tous les aspects développés plus haut permettent de comprendre, au moins en partie, le pourquoi de ce type de comportement, ils restent tout à fait muets sur sa justesse. Autrement dit, il est plus aisé d’expliquer que de justifier ce "dogme".

En réalité, il n’est ni défendable, ni justifiable, car si l’enfer, c’est l’autre, l’enfer, c’est aussi nous, puisque pour l’autre, l’autre, c’est nous. Du coup, tout le monde devient un enfer pour tout le monde.

C’est pourquoi, si, dans une certaine mesure, on peut être d’accord avec le philosophe que "Le moi se pose en s’opposant au non-moi", il y a lieu de relever qu’il n’y a point de société s’il n’y a pas de compromis entre le moi et le non-moi.

Ah ! que cela est vrai, car si nous nous résolvons à nous remémorer chaque matin (en nous mirant) les torts que nous avons causés à autrui la veille et pensons un tant soit peu à ce que nous pouvons lui faire subir pendant la journée qui commence, nous aurons compris que le sadisme que nous prêtons à l’autre est déjà tapi en nous.

Même si cela peut participer du rêve (y a-t-il d’ailleurs de l’humanité sans rêve ?), il faut se rendre à l’évidence : c’est seulement à partir du moment où nous arriverons à nous juger le moins subjectivement possible que nous pourrons juger autrui le plus objectivement possible. Sinon...

Tous capables d’introspection

C’est là tout le sens de la vie en société, parce que c’est l’expression du compromis existentiel avec nous-mêmes et avec les autres et nous. Cela est-il possible ? nous demandera-t-on. Oh que oui ! car l’être humain au sens social et psychologique du terme renferme toutes les potentialités, toutes les forces et toute la détermination nécessaires pour y parvenir.

En effet, le fait que les sociétés humaines existent et qu’elles se reproduisent (malgré les comportements "asociaux" de certains de leurs membres et malgré les inconduites conjoncturelles des gens dits normaux) est la preuve que ces qualités font partie de notre essence. Reste à en faire un credo et à les promouvoir.

Nous restons persuadé que sans compromis, il n’y a ni équilibre dans l’univers, ni règne animal, ni monde faunique, ni sociétés humaines. A l’échelle de la société humaine, les constitutions sont-elles autre chose que la codification de ce compromis. Le compromis ne peut se réaliser dans les extrêmes.

Il est consubstantiel au centre. C’est pourquoi procéder à une introspection pour faire la part des choses entre ce que nous faisons de bon et ce que nous faisons de mauvais prépare indubitablement notre subjectivité et notre esprit à accepter et même à promouvoir le compromis, qui n’est pas à confondre avec le masochisme, le laxisme et la mal gouvernance.

Sans compromis, pas de salut

La notion d’Etat-nation est intimement liée à celle de compromis. La seule différence, c’est qu’elle a été conceptualisée sous la forme du contrat social par Jean-Jacques Rousseau.

Au Burkina, la pénurie ambiante et la survivance de visions du monde relevant des traditions font que le type de croyance selon lequel c’est l’autre qui est la source de nos malheurs a encore de beaux jours devant lui en dépit de ce que nous enseignent les religions du Livre.

C’est donc à un véritable challenge que nous avons tous affaire. Mieux, ce challenge est titanesque. Mais que vaudrait-elle en fait, la vie, s’il n’y avait de défis qu’on s’emploie à relever, même si ce n’est pas du tout sûr qu’on y parvienne. En tout état de cause, ce ne serait pas faute d’avoir essayé.

Z.K.

L’Observateur

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