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Me Ibrahim Sory Zerbo : "La Justice n’a pas le monopole de la corruption"

Publié le lundi 6 novembre 2006 à 13h09min

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A force d’être sous les feux de la rampe, les magistrats sont perçus comme les seuls acteurs, animateurs de la Justice. Pourtant, ils sont épaulés dans leur tâche par ceux que l’on appelle auxiliaires de justice. Au nombre de ceux-ci, il y a les greffiers dont l’image qui reste dans l’opinion est celle d’hommes (ou de femmes) qui passent le temps à écrire lors des audiences.

Est-ce cela uniquement le travail de greffier ? Pour découvrir cet auxillaire, nous avons rencontré Me Ibrahima Sory Zerbo, greffier en chef du Conseil constitutionnel, secrétaire général du Syndicat national des agents de la Justice (SYNAJ), secrétaire aux relations extérieures de l’Union des greffiers du Burkina, et également chargé de cours (déontologie des greffiers, secrétaires et du personnel des greffes et parquets) à l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (ENAM). Au-delà de la profession de greffier, nous avons également interrogé Me Zerbo sur des sujets comme la corruption au sein de la Justice.

"Le Pays" : Qu’entend-on par greffier ?

Me Ibrahim Sory Zerbo : L’écriture, dit-on, est la mémoire des hommes. Et à la Justice, celui qui est chargé de l’écriture est le greffier que certains qualifient à tort ou à raison de gros secrétaire. Le métier de greffier est peu connu sinon méconnu non seulement des citoyens, de certains professionnels du droit mais aussi et surtout de collaborateurs directs du greffier notamment les magistrats et les avocats. Pour tout dire, le greffier est le notaire de l’événement judiciaire. En fait, il est la personne qui prépare les travaux du juge, assiste aux audiences, dresse procès-verbal du déroulement des affaires judiciaires et des jugements, prend acte des diverses formalités dont l’exécution doit être constatée et en certifie l’authenticité. Le greffier est aussi celui qui établit les dossiers de la procédure et, dans le cadre de sa compétence, contrôle l’observation de la réglementation en la matière. Il est celui-là encore qui conserve les minutes (originaux de jugement), les registres et tous les actes du tribunal et en remet des expéditions, des extraits ou des copies. Le greffier est également un officier public qui accomplit des tâches proprement dites de greffe notamment des missions juridictionnelles que lui confie directement le législateur. Il est aussi un agent public de l’Etat qui rend, entre autres, le greffe accessible au public, passe des actes de greffe, conserve les documents judiciaires de même que les valeurs et les objets déposés. Le greffier est le collaborateur privilégié de l’appareil judiciaire ou du magistrat judiciaire proprement dit connu sous le nom de magistrat assis, de tribunal ou de juge. Il est le troisième élément à côté du juge et du ministère public avec lesquels il monte à l’audience. Le greffe est, d’une part, un service public autonome animé par les greffiers, les secrétaires de greffes et parquets et, d’autre part, il est l’endroit où le greffier accomplit des fonctions judiciaires relatives à l’organisation judiciaire et à la procédure et où sont conservés les actes judiciaires. Tout cela a amené le Sénégalais Mansour Tall à dire que "le greffe est et doit rester une pièce maîtresse de la justice. La raison profonde est qu’aucun juge ne peut se passer du greffier et qu’aucune juridiction ne peut se défaire du concours du greffe (...)".

Comment le greffier procède-t-il pour les prises de notes lors des audiences ?

Un greffier doit être très attentif à l’audience, il doit avoir l’esprit de synthèse car ce n’est pas tout ce que les parties disent qui peuvent être notées. Il doit savoir par exemple que lorsqu’un avocat plaide, il finit toujours par se résumer. Dans ce cas, il est préférable d’attendre le résumé pour commencer à prendre des notes sans toutefois oublier de noter les faits importants ou jugés tels par le greffier. Aussi, si le président du tribunal juge qu’une partie est en train de faire une déclaration qui pourrait l’aider dans la rédaction de son jugement, il peut demander au greffier de la consigner dans son plumitif (registre d’audience). Ce que l’on voit souvent dans certaines séries télévisées où un président de tribunal ordonne au greffier de noter ceci ou cela est loin de la réalité. Le greffier écrit ce qu’il a vu et entendu. Même un président de tribunal ne peut rien enlever de ce qu’il a écrit ; à la limite il peut ajouter quelque chose. Et ce nouvel élément n’engage pas le greffier. C’est pourquoi lorsque le président demande à l’audience de consigner quelque chose, le greffier doit préciser que c’est à la demande de ce dernier.

A propos toujours de la prise de notes, y a-t-il une formation, des techniques particulières qui sont enseignées ?

Cela n’existe pas dans la formation, d’où les disparités de prises de notes chez les greffiers. Le greffier doit toujours se remettre en cause, se former continuellement. Mais pour le B.A-BA, il faut savoir par exemple qu’il ne doit pas y avoir d’abréviations dans la prise de notes ; les mots doivent être écrits intégralement. Cela requiert quand même un certain niveau d’éducation, un certain esprit de synthèse.

Peut-on être greffier si on écrit mal, si on n’a pas une belle écriture ?

Non parce que l’on sera un très mauvais greffier. Le greffier en chef, qui organise le greffe, n’affectera pas ce genre de greffier aux audiences. Il lui confiera d’autres tâches parce qu’il faut bien écrire et l’écriture ne doit pas porter équivoque.

Un greffier sorti de l’école peut-il immédiatement monter à l’audience ?

Oui et non. Oui, parce qu’au moment du stage pratique les greffiers en formation montent à l’audience aux côtés d’anciens greffiers pour voir comment se font les prises de notes. Non, parce qu’à leur sortie de l’école les greffiers doivent prêter serment avant de pouvoir exercer leur fonction.

Le greffier en chef monte-t-il à toutes les audiences ou à certaines d’entre elles suivant par exemple qu’il y a un dossier sensible ou complexe au rôle ?

Le greffier en chef peut assurer toutes les audiences. Mais il peut organiser le greffe de manière à mettre les autres à contribution pour ne pas avoir à monter tout temps en audience. Toutefois, cela n’est possible qu’à Ouaga et à Bobo car dans les petites juridictions le greffier en chef se retrouve pratiquement seul et est donc obligé d’assurer toutes les audiences.

Vous êtes greffier en chef et secrétaire général du Syndicat national des agents de la justice. Que recouvre cette appellation ?

Par agents de la justice, il faut comprendre les greffiers employés au sens juridique et qui comprennent les greffiers en chef, les greffiers et les secrétaires de greffes et parquets. Il faut aussi comprendre les gardes de sécurité pénitentiaire (NDLR : GSP), les interprètes, les agents de liaison.

Pourquoi n’avez-vous pas créé un syndicat spécifique de greffiers ? Est-ce parce que vous n’êtes pas nombreux pour le faire ?

Si, il existe un syndicat de greffiers créé par des jeunes. De notre côté, depuis 1989, date de création du SYNAJ, nous avons engrangé beaucoup d’acquis avec les GSP à telle enseigne que nous nous sommes dit qu’il serait malsain de se séparer de ces derniers surtout qu’ils n’ont pas droit à la grève. Créer un syndicat spécifique de greffiers reviendrait pour nous à disloquer nos forces, à nous subdiviser parce que si les greffiers ont leur syndicat, les greffiers en chef, les secrétaires de greffes et parquets seront peut-être tentés d’avoir les leurs. Toutefois, nous avons créé l’Union des greffiers du Burkina dans la perspective d’affilier l’Union des greffiers d’Afrique en projet et, plus tard, l’Union mondiale des greffiers.

Quelles sont vos relations avec les magistrats, les auxiliaires de justice comme les avocats, les huissiers ?

Il y a une incompréhension entre certains greffiers et certains magistrats. Or, la justice est une chaîne et chacun joue sa partition comme l’a dit une fois le ministre de la Justice dans un discours. Il est vrai que le magistrat est au coeur de la Justice, c’est lui qui décide, et le greffier l’assiste. La notion d’assistance n’est pas passive et ne veut pas dire que le greffier est un secrétaire. Elle veut dire que le greffier aide le magistrat à réaliser pleinement sa mission et c’est pourquoi il prépare tout, lui remet afin qu’il décide. Tant que le greffier n’accomplit pas un certain nombre de tâches, la décision du juge est nulle et non avenue. C’est pour vous dire qu’il y a des magistrats qui pensent que les greffiers sont leurs agents ; il y en a qui les appellent petits agents, d’autres des secrétaires. C’est dommage et il y a un travail à faire auprès de certains de nos collaborateurs afin qu’ils mettent le greffier à sa juste place.

La Justice burkinabè est perçue par l’opinion comme un milieu où règne la corruption. En tant qu’auxiliaire de justice, qu’est-ce que vous ressentez quand vous entendez pareille chose ?

A priori, cela ne me surprend pas parce qu’aucun peuple n’est entièrement satisfait de sa Justice. Les maux qui minent les institutions judiciaires du monde sont presque similaires. A propos de la corruption, je ne peux m’asseoir dans son bureau et dire qu’elle n’existe pas comme je ne peux pas dire qu’elle existe. Mais on la sent intuitivement dans tous les secteurs de la vie sociale et pas seulement à la Justice. Très souvent, les preuves sont très difficiles à apporter. Le ministère de la Justice a mis en place une commission pour traiter du phénomène et celle-ci a déposé son rapport. Il y a des efforts qui sont faits donc pour lutter contre la corruption. Mais ce qu’il faut, par-dessus tout, c’est la sensibilisation car j’ai l’impression que le phénomène de la corruption est presqu’un fait culturel. Depuis la nuit des temps, il y a certains actes, certains gestes qui s’apparentent un peu à de la corruption. Par exemple, vous rendez un service à une personne et en retour elle vous donne quelque chose en signe de reconnaissance.

Si, comme on peut l’imaginer, la corruption d’un juge peut consister à lui donner quelque chose pour qu’il ne dise pas le droit, comment peut-on corrompre un greffier qui n’a pas de pouvoir de décision comme le juge ?

Un bon greffier est toujours un complice du juge. La corruption ne concerne pas seulement les magistrats, elle peut aussi exister chez les greffiers avec par exemple des facilités dans l’octroi à des personnes, moyennant bien sûr quelque chose, de casiers judiciaires, de certificats de nationalité.

Je vous ai dit que le greffier et le juge sont des complices, ils forment un tandem. Dans cette situation, si le juge se laisse corrompre par une partie afin qu’elle lui donne raison, comment va-t-il motiver sa décision car une chose est de rendre une décision et une autre est de la rédiger ? C’est vous dire que cette décision ne sera pas rédigée parce qu’il y a des pièces qui accompagnent et s’il y a appel, la décision sera cassée. Aujourd’hui, il faut circonscrire la corruption. J’entends par corruption un marchandage consistant à dire à une personne de vous donnez quelque chose pour que vous lui rendiez service.

J’évoquais tantôt le fait culturel avec un cadeau que quelqu’un vous donne sans que vous ne lui demandez pour un service rendu. Il y a des personnes qui assimilent cela à de la corruption. Et elles n’ont pas tort car selon la déontologie on ne doit pas recevoir quelque chose en retour pour un travail pour lequel on a été recruté et aussi pour lequel on est payé à la fin du mois. Il faut également éviter de recevoir des cadeaux de certaines personnes qui sont des justiciables potentiels parce que l’on se sentirait obligé quelque part de leur rendre service un jour.

Vous êtes greffier en chef du Conseil constitutionnel. Exécutez-vous les mêmes tâches au sein de cette institution que vos collègues des juridictions classiques de droit commun ?

Au Burkina, jusque-là il n’y a pas de spécialisation au niveau des greffiers. Autrement dit, les greffiers doivent être organisés comme les magistrats en ce qui concerne la spécialisation. Quand vous prenez les tribunaux de grande instance, il y a les chambres correctionnelle, sociale, civile et commerciale, etc. Chaque chambre devrait avoir des greffiers spécialisés.

Au Conseil constitutionnel, le travail de greffier diffère de celui des juridictions classiques de droit commun. Les élections sont une matière très sensible et délicate.

Comment êtes-vous organisé ?

Nous sommes trois au niveau du greffe. J’ai deux greffières avec moi. Quand je ne suis pas là, c’est la greffière la plus ancienne qui me remplace.

Quel est le travail au quotidien ?

Nous sommes souvent sollicités par les premiers responsables de l’institution. Nous prêtons souvent main forte au secrétariat général du Conseil constitutionnel.

Quel est le travail supplémentaire que vous faites en période électorale ?

Au moins deux à un mois avant une élection, moi et les deux autres collègues nous nous retrouvons pour préparer les imprimés des accusés de réception des procès-verbaux de la CENI, des notifications, etc. Nous établissons également nos besoins par exemple en fournitures de bureau qui sont communiqués au directeur administratif et financier du Conseil constitutionnel.

Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontés ?

Les difficultés sont celles inhérentes à la fonction de greffier. Jusque-là nous n’exécutons que les tâches que nous a confiées la loi.

Tout baigne alors !

Tout ne peut pas baigner dans la vie d’un homme. Peut-on aller au-delà des textes ? Nous nous conformons aux dispositions réglementaires.

Propos recueillis par Séni DABO

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