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Affaire Issaka Korgo : La légèreté coupable du gouvernement

Publié le jeudi 26 octobre 2006 à 08h24min

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L’Affaire Issaka Korgo. L’une des plus grosses affaires de ce dernier semestre de l’an de grâce 2006. Vraiment, hormis la bombe de l’incorrigible Robert Ménard jetée dans le jardin public et, dans une moindre mesure, cet autre triste feuilleton de 50 briques dans lequel plus d’un observateur est resté dans l’expectative, l’affaire Issaka Korgo aurait mérité, à plus d’un titre, d’être logé dans le livre Guinness des records "made in Burkina" des affaires de l’année.

Il y a un peu plus d’un trimestre, peu de Burkinabè (si ce n’est ses parents de Kaya, ses amis dans les affaires ou autres voisins du quartier) savaient qu’il existait dans l’univers du Centre-Nord un grand opérateur économique prénommé Issaka et ayant pour patronyme Korgo.

C’est vrai que des Issaka ou des Korgo, on en recense à la pelle, mais en trouver un qui brasse autant de milliards de F CFA, l’on ne saurait en dénombrer à profusion.

Ainsi, l’existence même de l’opérateur économique Issaka Korgo sera livrée au grand public le 6 septembre dernier, au cours de la délibération de l’hebdomadaire Conseil des ministres.

Dans ce document plus qu’officiel, il était dit que l’opérateur économique en question avait, entre autres griefs, imité la signature du ministre des Finances de même qu’il avait fabriqué de faux nantissements.

Si imiter la signature de l’argentier du Burkina peut conduire droit à la potence, par contre, le nantissement traité de faux ne relevait aucunement des affaires étatiques, car n’étant autre qu’un contrat entre un banquier et son client.

Dans tous les cas, fût-il ministre des Finances, Jean-Baptiste Compaoré n’a aucune compétence pour signer un nantissement, les rôles étant bien déterminés dans le cas d’espèce. Donc, pour cette question de nantissement, seule la BSIC, la banque qui aurait pu se sentir roulée dans la farine, pouvait ester en justice ; du moins le pensons-nous humblement, le simple journaliste que nous sommes parlant sous le contrôle des "maîtres" de la parole.

Ainsi dit, nous étions à la recherche de l’information juste et saine lorsque le n° 100 du 25 septembre 2006 de l’Evénement tomba. A la Une, cette affaire Issaka Korgo avec pour titre "L’insolence du nouveau riche". S’étant précipité tout de suite sur cet article du reste assez bien conduit, nous l’avons lu et relu. Et plus on le lisait et plus l’amertume, la révolte, le dégoût de l’affairisme rampant suintaient de notre visage.

On se disait bien qu’un tel travail était à notre portée et que n’eût été nos lenteurs personnelles et administratives, nous aurions pu au moins mener une petite enquête à Kaya sur ce nouveau riche qui nargue la République, faute de le rencontrer "himself".

Cet autre tourment qui n’avait cessé de nous habiter est de lire que, rien qu’en 1998, Issaka Korgo était un locataire tartempion, harcelé par quelque ignoble marchand de sommeil. Et en 2005, soit seulement sept ans après, le voilà qui brasse des milliards.

Ce n’est pas vraiment ces milliards engrangés qui finissent de nous ébranler dans nos petites certitudes, mais la rapidité avec laquelle le magot a été collecté. A moins d’avoir des activités plus ou moins douteuses, peu d’opérateurs économiques peuvent en si peu de temps récolter une telle masse d’espèces sonnantes et trébuchantes.

Bref, en lisant cet article de notre confrère Newton Ahmed Barry, notre religion était presque faite : c’en était fini d’Issaka Korgo !

Rarement, de mémoire de journaliste, même n’ayant qu’une décennie d’expérience, nous n’avons vu une telle décision prise en Conseil de ministres à l’encontre d’un opérateur économique.

Pour qui connaît notre environnement socio-économique, où l’Etat et ses démembrements sont les principaux pourvoyeurs de marchés, radier un commerçant des bénéficiaires de tout marché public n’est autre que synonyme d’asphyxie, voire de mort lente, mais certaine pour lui.

Selon les statistiques, ce sont environ six (6) milliards de F CFA par semaine que l’Etat et ses démembrements octroient en termes de marchés sur avis d’appels d’offres aux opérateurs économiques nationaux ou de l’extérieur. Alors quel opérateur économique sérieux manquerait sciemment à ce grand rendez-vous, s’il réunit toutes les conditions de compétition ?

Considéré à tort ou à raison comme un analphabète, Issaka Korgo a compris tout de suite qu’il était dans son bon droit et que, s’il avait un bon avocat, il se serait tiré facilement d’affaire. Et c’est ainsi qu’il s’est attaché les services de Prosper Farama et de Me Dieudonné Bonkoungou, qui ont accepté de se constituer pour le défendre.

Prosper Farama. Il n’est pas encore un gourou du barreau. Il n’est pas non plus de l’ancienne cuvée des avocats burkinabè. Il est jeune avec moins d’une dizaine d’années d’exercice, mais il se révèle déjà comme un "maître de la parole avec lequel il faut désormais compter dans des dossiers difficiles au pays des hommes intègres".

Korgo épaulé par ses deux dynamiques avocats, non seulement fait perdre à l’Etat le procès le 5 octobre, mais aussi et surtout ses conseils entendent attaquer "cet Etat pour la radiation de leur client des marchés publics". Que s’est-il vraiment passé pour que la puissance publique se fourvoie autant face à un individu, fût-il Issaka Korgo ?

Certes Prosper Farama (dans notre édition d’hier) a clairement reconnu que son client a commis un faux ; mais dans ce faux, l’Etat n’y a aucunement subi de préjudice. A-t-on vraiment besoin d’être spécialiste de la chose juridique pour se rendre compte qu’ici l’Etat n’a pas perdu un seul Kopeck ?

Et les faits, les voilà. Issaka Korogo a été attributaire de trois marchés publics dont il a exécuté un premier qui était la livraison de photocopieuses.

À la réception du matériel, sur les quatre signataires, un les a déclarées non conformes et a refusé d’apposer sa signature sur les P.-V. de reception. Ainsi, le matériel a été rejeté pour non- conformité. Et Korgo, qui avait sollicité le concours financier de la BSIC pour exécuter d’autres marchés en cours, a fait usage de faux pour parvenir à ses fins.

Où l’Etat burkinabè peut-il prétendre avoir été floué dans cette affaire ? A la rigueur, sa banque, la banque sahélo-saharienne pour l’industrie et le commerce, aurait pu se plaindre. Mais si elle ne dit rien, pourquoi l’exécutif monte-t-il sur ses grands chevaux pour descendre en flammes cet opérateur économique ?

Selon toute vraisemblance, le nœud de cette équation doit se trouver quelque part dans un bureau du ministère des Finances. Pour des raisons que nous ignorons, des agents dudit ministère auraient sciemment induit en erreur leur ministre qui, à son tour, a induit tout le Conseil en erreur.

Ainsi sur toute la ligne, l’Etat a eu tort face à Issaka Korgo. Et c’est le cas de le dire haut et fort, il y a eu beaucoup de légèreté dans le traitement de cette affaire au niveau de l’exécutif si nous savons un tant soit peu tout le circuit que prennent les dossiers pour aboutir sur le bureau du Conseil des ministres ; et là, aucun doute n’est permis : la légèreté dans le traitement de ce dossier est flagrante et, dans cette affaire, l’Etat déculotté, est Gros-Jean comme devant. Véritablement, si on ne peut plus faire confiance aux décisions prises par le Conseil des ministres, à qui pourrons-nous désormais nous fier ? Dites-le nous, bonnes gens !

Cela nous rappelle cet autre faux numéro du Journal Officiel dans lequel était "reconnue officiellement" une des tendances du PAI.

Pour une fois, le gouvernement devrait tirer toutes les conséquences de sa méprise et faire en sorte que de tels spectacles peu reluisants ne se reproduisent plus. Il y va de la crédibilité de nos institutions !

Boureima Diallo


Qui a introduit un faux document en Conseil des ministres ?

Imitation de la signature du ministre des Finances, fabrication de faux nantissements et auto- attribution de faux marchés, etc. On aura tout entendu sur ce dossier qu’il est convenu d’appeler l’affaire Issaka Korgo, du nom de cet opérateur économique que le Conseil des ministres en sa séance du 7 septembre 2006 a radié de la liste des soumissionnaires des marchés publics.

Poursuivi en justice, il a été pourtant relaxé le 5 octobre dernier au grand étonnement de l’opinion. Si l’affaire a déchaîné çà et là des passions et fait couler beaucoup d’encre et de salive, très peu de personnes pourtant savent réellement le fond du dossier. A notre demande, Me Prosper Farama, qui avec Me Dieudonné Bonkoungou a assuré la défense d’Issaka Korgo, a levé pour nous un pan du voile sur cette affaire qui a marqué la rentrée judiciaire 2006-2007.

Vous avez récemment défendu un dossier qui a fait beaucoup de bruit, l’affaire Issaka Korgo, où il était question de faux et usage de faux. Mais en fait, qu’est-ce que le faux et l’usage de faux en droit ?

• Il faut distinguer deux types d’infractions dans la notion même de faux en droit. Parce que c’est deux expressions qui vont souvent de pair. Il y a le faux et l’usage de faux. Mais en fait, ce sont deux infractions différentes.

D’abord, il y a l’infraction de faux, définie à l’article 273 du Code pénal comme « l’altération frauduleuse de la vérité dans un écrit par un des moyens prévus par la loi ». Pour parler en termes plus communs, c’est le fait, dans un document qui a une valeur juridique, de procéder à une falsification quelconque.

Pas par n’importe quels moyens. Les moyens sont limitativement cités par la loi. C’est par exemple la « superposition de personnes ». C’est l’hypothèse où une personne signe en lieu et place d’une autre. Vous mettez par exemple, « monsieur le ministre »...

Et ce n’est pas le ministre qui signe...

• ...Si ce n’est pas lui qui signe, il y a à ce moment « imitation de signature », qui est le fait de signer à la place d’une personne en faisant croire que c’est elle qui a signé le document en question.

Mais, on parle de superposition de personnes si, pour donner une valeur à un acte qui aurait dû être signé par le ministre, vous, vous signez en tant que directeur.

Il y a aussi « l’altération matérielle ». Par exemple, il y a des experts en faux qui peuvent prendre une lame et gratter un document de façon à ce que 28 devienne 8, ou passer de l’encre pour que 33 devienne 88. Voilà des moyens frauduleux d’altérer la vérité dans un document ou de fabriquer purement et simplement un document.

Je peux fabriquer un contrat qui me lie à votre journal et dont vous n’êtes même pas au courant. Sur ce document, je peux signer pour moi-même et pour le directeur de votre journal. Tout ça, c’est des moyens divers de fabrication de faux.

Quelle est la différence entre le faux en écriture publique et le faux en écriture privée ?

• Le faux en écriture privée est, comme son nom l’indique, un faux sur un document d’ordre privé. Par exemple, un contrat qui vous lie à moi. Si j’altère la vérité dans un tel document, il est évident qu’il y a faux. Mais, il s’agit d’un faux en écriture privée qui ne concerne que des particuliers.

Par contre, si j’altère la vérité dans un document public, ça devient un faux en écriture publique. Et l’écriture publique, c’est tous les actes officiels de l’administration étatique.

Quand on parle d’usage de faux, de quoi est-il question ?

• C’est l’infraction subséquente au faux. Si je fabrique un faux que je mets sous mon lit, l’infraction d’établir un faux est constituée. Mais, ce n’est pas la même chose que quelqu’un qui aurait fabriqué le faux et qui l’aurait utilisé. Donc l’infraction d’usage de faux suit la fabrication du faux.

Je peux ne pas être l’auteur du faux, mais être auteur de son usage pourvu que je sois conscient et que j’aie eu connaissance que le document que j’ai utilisé était faux.

D’ailleurs, dans les cas de faux bac et de faux diplômes en général, on ne poursuit pas celui qui a utilisé le diplôme pour faux, mais pour usage de faux parce qu’en général, il a recours à un « spécialiste » qui lui fabrique le faux.

C’est ce « spécialiste » qui sera poursuivi pour faux en écriture et non pour usage de faux. L’utilisateur du faux ne peut être poursuivi que pour usage de faux et non pour faux.

Est-ce les mêmes peines qui s’appliquent aux deux infractions ?

• C’est les mêmes peines. Elles varient selon qu’il s’agisse de faux en écriture privée ou publique. En général, les peines varient de 5 à 10 ans lorsqu’il s’agit d’un faux en écriture privée, et de 10 à 20 ans lorsqu’il s’agit d’un faux en écriture publique.

Evidemment, ce sont là les peines données de façon générale parce qu’en fonction des circonstances, les peines peuvent diminuer.

Pourquoi les peines sont si sévères ? Ces infractions sont-elles si graves que ça ?

• C’est évidemment grave. On est tous d’accord que le faux, en fonction des circonstances dans lesquelles il est commis, peut être une infraction très grave. Si l’objectif de l’infraction est de décrédibiliser le document aussi bien public que privé, c’est grave.

Si on n’a plus confiance aux diplômes qui sont délivrés, si on permet à tout le monde de les falsifier, il y a un risque que les documents soient décrédibilisés. Maintenant, la justice tient compte des circonstances et de la nature des faux qui sont établis pour prononcer les peines.

Quelle juridiction a compétence pour connaître des faits de faux et d’usage de faux ?

• Ça dépend. Quand il s’agit de faux en écriture publique et que le juge estime qu’il remplit toutes les circonstances de gravité extrême, le faux doit répondre de la Chambre criminelle, parce que ça devient un crime. Il en est de même lorsqu’il s’agit de faux en écriture privée et que les circonstances sont extrêmement graves.

Mais l’appréciation de la gravité de l’infraction ne se fait pas de façon mécanique. Supposons qu’une personne écrive une lettre d’amour à une autre en imitant la signature d’autrui, c’est bien un faux. Tout de même, on ne peut pas demander de condamner cette personne à 5 ou 10 ans d’emprisonnement ferme.

Donc, en tenant compte de la nature et des circonstances de l’infraction, il est permis aux juridictions de « correctionnaliser », c’est-à-dire qu’au lieu d’amener l’affaire devant une chambre criminelle, elles ont la possibilité de l’amener devant une chambre correctionnelle.

En général, les faux en écriture privée sont appelés presque systématiquement devant le tribunal correctionnel et les faux en écriture publique, selon la gravité, sont portés devant la chambre criminelle.

Comment est-ce qu’on fait la preuve d’un faux ?

• La preuve d’un faux se fait généralement par voie d’expertise, si on veut être rigoureux jusqu’au bout. Lorsqu’on dit que quelqu’un a imité la signature d’un autre, si l’accusé conteste l’imitation de signature, il n’y a qu’un graphologue qui puisse dire qui des deux personnes est l’auteur réel de la signature.

Si la personne avoue et qu’il n’y a pas de contestation, on va dire que la preuve est établie. Mais, la rigueur juridique commande le recours à une expertise.

Est-ce que la justice, selon vous, connaît beaucoup de cas de faux et d’usage de faux ?

• Beaucoup, c’est trop dire. Je pense que c’est relatif, et ces cas sont très loin derrière les infractions de vol, qui sont les plus nombreuses.

Mais, ces dernières années, on a quand même connu beaucoup de faux avec, excusez-moi, l’arrivée en nombre pléthorique de certaines nationalités qui excellent dans l’établissement de faux documents aussi bien publics que privés.

Me Farama, parlons maintenant de l’actualité avec le dossier impliquant l’homme d’affaires Issaka Korgo. Dans ce dossier, on a parlé d’imitation de signature du ministre des Finances, et finalement le prévenu est relaxé et c’est l’Etat qui est condamné. L’opinion hurle que la justice est pourrie. Quel est le fond réel de ce dossier ?

• Disons les choses telles qu’elles sont. Je suis le conseil de M. Korgo, mais je ne dirais jamais qu’il n’a pas commis de faux. Il a commis un faux et il le reconnaît d’ailleurs.

Par contre, ce qui n’est pas clairement expliqué à l’opinion publique dans cette affaire, c’est exactement le faux que M. Korgo a commis. Je veux que la presse en fasse une investigation plus approfondie.

Voilà les faits, M. Korgo a été attributaire de trois marchés publics dont il a exécuté un premier qui était la livraison de photocopieurs. Mais, lorsque les photocopieurs sont arrivés, il semble que l’administration les a déclarés non conformes.

Selon la version de M. Korgo, trois personnes sur quatre auraient accusé réception du matériel. La quatrième et dernière personne aurait refusé de signer. Ce refus suffisait amplement pour qu’on rejette le matériel pour non-conformité.

Pendant ce temps, M. Korgo avait demandé le concours financier de son banquier pour pouvoir exécuter d’autres marchés en cours. Mais, le banquier posait des conditions et voulait savoir l’état d’exécution du marché des photocopieurs avant tout nouvel engagement. Il va tenter alors de calmer son banquier en faisant croire qu’il n’y a aucun problème avec le marché des photocopieurs ...

...En quoi faisant ?

• Il prend les P.-V. avec les trois signatures, il masque le nom de la quatrième personne qui figure sur le P.-V., cette dernière ayant refusé de signer ; puis il photocopie le document. Ce qui laisse croire qu’il y a trois signatures et non quatre, le banquier n’étant pas censé savoir qu’il faut quatre signatures.

Il transmet le document à sa banque comme pour dire : "J’ai exécuté le marché et j’attends paiement, donc vous pouvez me financer pour la suite". Voilà le faux qu’il a commis. Par la suite, on s’est rendu compte que ce n’était pas vrai, parce que l’Etat a résilié les marchés.

Evidemment, pour l’Etat, il y avait un faux, mais soyons précis : le faux et usage de faux a été utilisé avec la banque pour un but bien précis. Ce faux-là, M. Korgo est prêt à en assumer les responsabilités.

Mais, ce n’est pas du tout ce que l’opinion croyait savoir sur cette affaire...

• En effet ! Voyez ce qui a été dit dans la presse. On a dit que M. Korgo a fabriqué des faux nantissements, ce qui n’est pas possible. Le nantissement est un contrat entre le banquier et son client. Le ministre ne signe pas de nantissements. On met au défi quiconque de nous montrer un contrat de nantissement signé par un ministre. Ça n’existe pas.

Deuxièmement, on dit qu’il aurait imité la signature du ministre. Mais, sur quel document ? Personne ne le sait. Jusqu’aujourd’hui, nous n’avons pas connaissance de ce document. Il n’est même pas dans le dossier. Or, c’est écrit et c’est passé en Conseil des ministres qu’il a imité la signature du ministre. Ce qui est un fait gravissime si c’est avéré. Mais, on met au défi quiconque de sortir le document censé être signé par le ministre.

On dit même dans la presse qu’il aurait fabriqué de faux marchés. Ce n’est pas compliqué. Qu’on sorte les preuves et suite à cela on le condamne ; on n’aura rien à y redire. Cela dit, nous comprenons l’opinion parce qu’il y a l’aspect moral des actes qu’un homme pose. Le procès porte sur des faux P.-V., et le faux et l’usage de faux ne sont pas des choses à encourager.

Il y a tout de même un faux dans cette affaire, que le tribunal aurait pu sanctionner...

• Juridiquement, à l’encontre de l’Etat, ce faux-là n’est pas constitutif d’une infraction et c’est ce que nous avons démontré à la barre. C’est vrai que le faux est un acte répréhensible, mais pour que vous puissiez être condamné, il faut que le faux établi ait une valeur. C’est-à-dire qu’il faut que ça puisse causer un préjudice à quelqu’un.

Mais, il faut dire que le document fabriqué par M. Korgo n’a aucune valeur, puisque tout le monde sait que dans l’administration, un P.-V. de réception d’un marché de ce genre comporte quatre signatures. Il suffit qu’une seule signature manque et le document n’a plus de valeur.

Prenons, par exemple, le cas d’une pièce d’identité signée par Me Farama. C’est évidemment une fausse pièce d’identité parce qu’on sait qu’un avocat ne signe pas de pièces d’identité. Mais, on ne peut pas vous condamner pour ce faux-là, car on ne condamne que parce qu’il y a une conséquence juridique ; or, ce faux-là n’a pas de valeur.

Si tous les faux devaient être condamnés systématiquement, il faudrait condamner même le simple mensonge parce que le faux est un mensonge à l’écrit. Mais, la loi ne condamne pas le mensonge.

A l’audience, nous avons posé à l’Etat la question de savoir s’il avait subi un préjudice dans le cas des faux P.-V. de Korgo ? On nous a répondu que non, parce que le P.-V. avec trois signatures n’engageait pas l’Etat. De plus, le banquier non plus n’a subi aucun préjudice, puisqu’il n’était pas tenu par le P.-V. de donner de l’argent à M. Korgo.

C’est d’ailleurs pour ça que la banque (NDLR : la BSIC) n’a jamais déposé une plainte contre Korgo, car il a d’autres garanties suffisantes pour couvrir tout ce qu’il lui devait. En l’absence de préjudice, la justice n’a pas requis de condamnation. Le parquet en était conscient d’ailleurs, puisqu’il a demandé une condamnation avec sursis.

Il n’y avait aucun argument pour demander sa condamnation. Pis, on nous dit que même si l’Etat n’a pas subi de préjudices matériels, il a quand même subi un préjudice moral. Nous avons produit des notes de jurisprudence en France, où il est dit clairement qu’un Etat ne peut pas subir de préjudice moral.

On veut nous faire croire par A + B que l’Etat du Burkina peut subir un préjudice moral. Quelle est la moralité d’un Etat, quand on sait qu’il ne s’agit pas d’une personne physique ? On reconnaît quand même que s’il n’est pas condamnable aux yeux de la loi, M. Korgo a commis un acte suffisamment grave. Mais nous ne sommes pas d’accord avec la façon dont les choses ont été présentées jusque-là.

Mais qu’en est-il de l’infraction d’imitation de la signature du ministre ?

• Il a été démontré, depuis le procès, qu’il n’y a pas eu d’imitation de signature, mais au Conseil des ministres on a introduit un document pour dire que Korgo a imité la signature du ministre. Ça veut dire que quelqu’un a menti quelque part et qu’un faux document a donc été introduit en Conseil des ministres. Korgo a fait un faux document ; pour cela, des gens réclament sa tête.

Mais, quelqu’un a introduit un faux document en Conseil des ministres et ça, personne n’en parle. Quel est donc cet Etat où on permet à des individus d’introduire un faux document en Conseil des ministres et qui aboutit à la radiation d’un opérateur économique de la liste des soumissionnaires de marchés publics ?

On est tous d’accord que Korgo a commis une faute. Si la loi dit qu’il doit être condamné, il faut le condamner. Mais, il serait injuste qu’on s’arrête à Korgo, si on ne s’attaque pas à ceux qui ont introduit un faux document en Conseil des ministres. Nous, nous les connaissons, mais c’est à ceux qui disent qu’ils veulent la vérité, de fouiller et de tout ressortir.

Nous sommes mal placés pour en parler parce qu’on dira que c’est parce qu’on est acculés que, pour nous défendre, nous accusons. Si on avait pu montrer au juge et à tout le monde le document sur lequel Korgo a imité la signature du ministre, la justice ne pouvait que le sanctionner.

Pensez-vous vraiment que l’Etat peut être dans un procès et permettre qu’on relaxe un prévenu alors que les preuves de l’infraction sont réunies ? Si c’est vraiment comme ça, le Conseil supérieur de la magistrature doit prononcer des sanctions. Si les sanctions ne tombent pas, alors, on n’est plus dans un Etat de droit.

Par contre, si l’imitation de la signature du ministre n’existe pas, on doit sanctionner celui qui a monté et introduit le faux document en Conseil des ministres, peu importe si c’est le ministre ou ses proches collaborateurs.

Pour vous, il faut donc chercher et sanctionner celui qui aurait introduit ce faux document en Conseil des ministres ?

• Tout à fait. Ça ne peut pas rester impuni. Il n’y a qu’au Burkina qu’on peut voir ça : introduire un document mensonger en Conseil des ministres présidé par le Président du Faso sans que ça dérange personne. Ce qui dérange Korgo, c’est qu’on le sanctionne, lui, sur des faits imaginaires.

Que vous a dit M. Korgo pour que vous acceptiez d’être son conseil ?

• Je dois vous avouer que lorsque M. Korgo m’a approché pour que je sois son avocat, je lui ai dit que s’il avait vraiment imité la signature du ministre, moi je n’allais pas m’engager dans cette affaire parce que je ne voyais pas ce qu’on allait plaider, car juridiquement, on ne pouvait pas vraiment se défendre.

Il m’a juré par tous les saints qu’il n’a pas imité la signature du ministre. Je lui ai dit que dans ce cas, le dossier m’intéresse. Puis, je me suis rendu compte que le morceau était gros, puisque je ne pouvais pas m’imaginer les dessous de l’affaire quand il m’a tout expliqué. On y reviendra sans doute.

En attendant, la question est de savoir qui a fait croire que M. Korgo a imité la signature du ministre, qu’il a fabriqué de faux marchés, de faux nantissements et pourquoi.

Maintenant que le jugement en première instance relaxe Korgo, allez-vous ester pour faire lever sa radiation de la liste des soumissionnaires de marchés publics ?

• Nous allons attaquer l’Etat pour la radiation, mais certainement on ne s’en tiendra pas à cela. Il faut qu’on situe toutes les responsabilités et que celui ou ceux qui ont monté des faux documents pour faire croire que M. Korgo a imité la signature du ministre répondent de leurs actes.

Quelle est la procédure à suivre pour lever la radiation ?

• En principe, c’est devant le tribunal administratif. Nous allons montrer devant ce tribunal qu’avec ou sans condamnation, la radiation doit être levée si on veut vraiment appliquer le droit. C’est sur la base d’un rapport que sa radiation a été prononcée par le gouvernement, et cela, sur des faits bien précis dont le plus grave est l’imitation de la signature du ministre.

Mais au tribunal, on a vu que le faux dont il était question n’avait rien à voir avec l’Etat, en réalité. C’est tout juste un document pour calmer un banquier, qui a été ressorti par on ne sait qui maintenant. Pour le moment, on n’en parle pas. Des gens sont allés fouiner pour ressortir ce document et le ramener au niveau de l’Etat pour pouvoir aboutir à cette radiation.

Avez-vous espoir que votre client sera rétabli ?

• Oui, puisqu’il s’avère que M. Korgo n’a pas imité de signature alors que c’est sur la base de cette infraction supposée qu’il a été radié. Il y a ce qu’on appelle en droit un excès de pouvoir. Le reproche que nous faisons au Conseil des ministres, c’est d’avoir radié M. Korgo sans attendre la décision de la justice.

Si on avait pris le soin d’attendre la décision de la justice rien qu’en le suspendant des marchés, c’était la meilleure façon d’agir à notre sens. Mais non, on le radie, parce qu’il y a des suspicions qui pèsent sur lui et cela sans attendre le verdict de la justice.

En procédant ainsi, c’est comme si le gouvernement avait voulu, ici, forcer la main de la justice. Mais voilà, le Conseil des ministres a radié quelqu’un et la justice l’a relaxé. Il n’y a pas de contradictions. C’est la façon de faire au Burkina qui fait que c’est une contradiction.

Ailleurs, on l’aurait suspendu, on aurait attendu que la justice tranche. Et même là encore, on a la possibilité de faire appel. Sinon, à supposer qu’il y ait imitation de signature, comment le ministère des Finances peut-il être juge et partie ? Qui dit que Korgo ne conteste pas les accusations d’imitation de signature ?

S’il conteste, pourquoi c’est l’autre partie qui prend la décision. Le bon sens voudrait même qu’ils soient départagés par une tierce personne. Si on avait attendu la décision de la justice, Korgo ne serait probablement pas radié par le Conseil des ministres. Mais non, on prend une décision, et on demande à la justice de l’entériner.

Allez-vous attendre le délai de 15 jours imparti pour l’appel avant d’entreprendre les démarches pour la levée de la radiation ?

• Le parquet a déjà fait appel, nous sommes au courant. Nous pouvons déjà, si nous le jugeons utile, entreprendre les démarches pour la levée de la radiation. Même une condamnation de Korgo ne justifiait pas la radiation.

Ce n’est pas la radiation qui l’intéresse, il veut être « blanchi » pour ce qu’il n’a pas fait, en l’occurrence, l’imitation de signature. Il n’a pas envie de se précipiter. Probablement, on attendra d’aller en appel pour que la justice tranche en toute indépendance, sans pressions, parce qu’il y a l’Etat ou les ministres derrière.

Même pour le P.-V., sauf à tordre le cou à la loi, il ne peut pas être condamné, c’est démontré clairement. Dans cette affaire, on a fait croire aux gens que c’est quelqu’un qui a fabriqué de faux documents, imité des signatures et par finir, la justice l’a relaxé. Tout le monde a fait semblant pour ne pas aller droit à l’essentiel.

Les gens laissent et entretiennent le flou exprès comme si au palais, on avait sorti la fausse signature du ministre, les faux marchés. Si l’opinion avait suivi ce procès, elle serait scandalisée. Si on regarde le fossé entre ce qui a été dit en public et ce qui est dans le dossier, c’est écœurant.

Le parquet a donc interjeté appel. Etes-vous toujours sereins ?

• Sur le pur terrain du droit, concernant les P.V., Korgo poursuivi par l’Etat ne peut pas être condamné. Nous souhaitons que cette audience à la cour d’appel se tienne vite et qu’elle soit publique. Ainsi, chacun pourra apprécier.

Nous voulons les faits, parce que tout ce qui est dit jusque-là est contre Korgo, alors qu’il n’y a aucune preuve. C’est à cause de la pression publique que le parquet a demandé une condamnation, sinon pourquoi demander un sursis pour des accusations aussi graves ?

Mais dites-nous, Me Farama, qui est la quatrième personne qui devrait signer le P.-V. et ne l’a pas fait ?

• C’est l’informaticien. C’est lui qui a dit que le matériel n’était pas conforme. Les autres personnes qui ont signé ne sont pas des techniciens mais des chefs de service. Le laxisme dans l’administration, c’est connu, il y en a qui signent sans avoir vu le matériel.

Mais le technicien, a relevé la non-conformité car les photocopieuses devraient être autoreverse. Voilà pourquoi il n’a pas signé.

Au finish, vous comptez vraiment attaquer en justice celui qui a manigancé et distillé l’infraction d’imitation de signature contre Korgo ?

• Absolument. Nous n’attendons que l’autorisation de notre client. Korgo est quelqu’un qui est très discret. La preuve, avant cette affaire, peu de gens savaient qu’il y avait un certain Korgo Issaka aussi riche. Jusque-là, il refuse de parler parce qu’il pense que c’est le meilleur moyen ; mais si les autres continuent de l’acculer, il n’aura pas d’autre choix que de contre-attaquer.

Entretien réalisé par San Evariste Barro

Observateur Paalga

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