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Urbanisation : Ouagadougou a son « Marcoussis »

Publié le mardi 11 juillet 2006 à 06h56min

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« Marcoussis » ! Ainsi appelle-t-on un quartier de Ouagadougou situé dans l’arrondissement de Sig-Noghin. Le « Marcoussis », version burkinabè, est un village en pleine urbanisation où vivent des hommes et des femmes qui œuvrent au quotidien pour transformer positivement leur habitat.

Des espèces ligneuses, des arbustes sauvages, des ouvrages en pleine construction, des villas, voire des « châteaux », telle se présente aux visiteurs la cité de « Marcoussis ». « Marcoussis », ce n’est pas cette ville de l’Hexagone connue pour les pourparlers entre protagonistes de la crise ivoirienne qui a abouti aux accords, dits de Marcoussis censés trouver une solution à la crise ivoirienne en janvier 2003.

Le « Marcoussis » de Ouagadougou est un quartier nouvellement loti de Bissighin, un village rattaché à l’arrondissement de Sig-Noghin. Situé à droite sur l’axe Ouagadougou-Yako, « Marcoussis » s’étend de Kilwin (secteur n°21) jusqu’au village de Yagma,( lieu de pèlerinage national des catholiques au Burkina). Suite à l’inondation d’une partie de ce village , les autorités procèdent au lotissement précipité de la zone. « Il fallait parer au plus urgent ». Il fallait faire vite et bien afin que les sinistrés puissent rapidement se trouver un logis. A cette période, la crise ivoirienne connaissait son paroxysme. Les protagonistes s’étaient invités en France, précisément à Linas-Marcoussis, pour trouver des solutions à la crise.

Comme dans les années 70-80 où après la guerre de Katanga on en était arrivé à coller à toute situation cocasse le nom de cette ville minière de l’ex-Zaïre. Marcoussis pour le rôle qu’il a joué dans la résolution de la crise ivoirienne passe maintenant pour être une solution d’urgence dans l’acceptation populaire. Ainsi, pendant que les négociations se menaient à Linas-Marcoussis, la commission d’attribution de parcelles était également à pied d’œuvre au secteur n°21 de Ouagadougou. Ce jour-là, un homme à qui on a attribué une parcelle s’est écrié : ça, c’est « Marcoussis ».

Ce qui a déclenché un rire fou. A travers l’expression « Marcoussis », l’homme voulait dire que c’est corser. Car le terrain qu’on venait de lui attribuer était accidenté et demandait de gros investissements. Depuis, le temps s’est écoulé. « Marcoussis » version burkinabè présente le visage d’un vaste chantier. Des villas, des « châteaux » poussent comme des champignons narguant les taudis d’à- côté.

Mercredi 21 juin 2006, il est 10h GMT et la température avoisine les 35° à l’ombre. Les habitants de « Marcoussis » vaquent à leurs occupations. Les hommes sont plutôt rares. « Ils sont allés en ville pour leurs travaux quotidiens », confie une habitante. Les femmes, la plupart ménagères, sont par contre là. Mme Véronique Sawadogo est assise sous son auvent dans une villa. « Mon mari n’est pas là. Il est parti très tôt en ville et ne rentre qu’à 18h », signifie-t-elle. Résidente de « Marcoussis » depuis deux ans, son ménage compte une dizaine de personnes . « Avec une batterie, nous éclairons notre cour. Ici on est dans un calme olympien, pas de bruit », raconte cette jeune dame assise, un enfant sur ses genoux.

A côté, sa coépouse fait la lessive. Entre deux rires, elle dit ceci : « Marcoussis est bon. Nous avons nos maris avec nous . Une fois qu’ils descendent du boulot, ils ne ressortent plus. Ici ce n’est pas comme avant où ils rentraient à des heures indues ». Mme Sawadogo dit sa joie d’avoir un chez soi. « Nous sommes à l’abri des bailleurs qui, à chaque fin de mois, se présentent pour réclamer les frais de location. Malheur à vous si vous cumulez des retards de loyers. Ils vous demandent sans pitié de libérer leur maison ». Quartier-chantier, « Marcoussis » offre du boulot aux ouvriers.

Les uns confectionnent des briques qu’ils vendent comme des petits pains. « Nous vendons la brique à 150 francs CFA. La barrique d’eau coûte entre 400 et 500 francs CFA. C’est cher. Et cela réduit notre marge bénéficiaire », précise M. Émile Kiendrébeogo. Les autres, constitués en groupe de charretiers transportent des cailloux sauvages : « nous cherchons notre pain quotidien », lance l’un d’entre eux.

Dans l’espace « Marcoussis », beaucoup de maisons restent pour le moment inoccupées. Selon l’imam des lieux, Salif Guigma, l’un des premiers habitants du village de Bissighin, « les gens construisent mais ils n’y emménagent pas. Peut-être attendent -ils la viabilisation de la zone. Ceux qui y résident sont des autochtones qui n’ont pas vendu leur terrain ». Les habitants de « Marcoussis » étaient, en majorité ou presque, tous des agriculteurs.

Où cultiver désormais ?

Avec le lotissement, les agriculteurs ont été dépossédés de leurs champs. Certains autochtones n’ont pas pu s’adapter à ce nouveau mode de vie. De ce fait, ils ont vendu leur parcelle, pour aller un peu plus loin créer un nouveau village. Les résidents font l’apprentissage d’autres activités de la vie urbaine. L’imam se réjouit de sa nouvelle vie, lui qui vivait dans cette localité « avant que le premier président du Burkina, Maurice Yaméogo ne soit à la tête de la Haute Volta d’hier dans les années 1960 ». Le lotissement était notre rêve de tous les jours. Nos enfants hériteront des parcelles », lance l’imam. Selon ce septuagénaire, pour les autochtones, la vie à « Marcoussis » se déroule toujours comme par le passé, tout le monde se connaît et s’entend.

Cependant les jeunes attendent un changement qualitatif. « Nous manquons de tout. L’eau courante, les infrastructures socio-sanitaires, les lieux de loisirs font défaut. Les voies ne sont pas encore tracées », souligne le jeune Moussa Nabolé. Les habitants ont du mal à s’approvisionner en eau potable. Quelques fontaines existent mais la plupart des « Marcoussiens » se ravitaillent en eau dans le quartier voisin de Kilwin au secteur n°21.

Quant aux infrastructures scolaires, trois écoles privées initient tant bien que mal les enfants aux savoirs du Blanc. L’école primaire privée de Bissighin (cinq classes), construite en banco est en état de délabrement. Son fondateur, Bruno Dabo, attend des autorités municipales un terrain pour mieux construire son école afin d’augmenter sa capacité d’accueil à plus de 280 élèves. A environ un kilomètre de ces lieux, l’école « des Bontés de l’Éternel » présente un standing plus proche des normes autorisées. Inachevée(il reste des travaux de finition), elle a un effectif de 73 élèves.

Pour le directeur de cette école, le pasteur Félix Ouédraogo, grâce à son établissement , beaucoup de gens sont venus s’installer dans ce quartier avec moins de crainte pour la scolarisation de leurs enfants. « Comme il y a une école à côté, je vais aménager » entend-t-il souvent dire dans la zone. Du point de vue comportement, les habitants traînent toujours des survivances rurales. La plupart des parents d’élèves sont des ouvriers ou des ex-cultivateurs, souligne M. Ouédraogo.

Dans leurs comportements, relève le pasteur, on sent toujours le rural. « On se croirait toujours au village », affirme-t-il en l’occurrence. Le changement viendra à n’en pas douter car des « allogènes » sont appelés à s’y installer, l’urbanisation approche à grands pas. Ceux-ci introduiront et diffuseront un mode de vie urbain au sein de la population. En ce moment-là, de nombreux « Marcoussiens » de Ouagadougou auront la nostalgie du passé rural et tranquille de leur quartier.

Boureima Sanga (bsanga2003@yahoo.fr)

Sidwaya

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