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Refugiés politiques au Burkina : Les hommes chéris de la République !

Publié le mercredi 5 juillet 2006 à 06h15min

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B. Compaoré et Laurent Gbagbo, ancien refugié politique au Burkina

Il existe une catégorie spécifique de réfugiés dans le pays d’accueil et de réinstallation du Burkina Faso. Dans les quartiers résidentiels de la ville de Ouagadougou vivent des exilés politiques. Combien sont-ils ces dignitaires politiques africains en état d’indélicatesse avec les autorités de leur pays d’origine ? Vingt ? Trente ? Peu importe le nombre.

Le devoir de réserve et les secrets diplomatiques éclipsent ces acteurs omniprésents dans les relations bilatérales où la langue de bois complique l’éclairage sur les réfugiés politiques.

Arsenal juridique favorable

« L’éloignement augmente le prestige » dit-on. Cette maxime se vérifie avec les activistes politiques qui se retrouvent hors des frontières nationales. Ainsi, le principe général du Haut commissariat des nations unies pour les réfugiés (HCR) selon lequel « un réfugié, c’est un réfugié » se relativise dans la gestion des réfugiés politiques.

L’accueil se fait à la tête du client. Un ancien chef d’Etat africain comme Pascal Lissouba et sa suite qui ont débarqué à Ouagadougou en catimini reçoivent des égards différents du simple citoyen congolais en quête d’asile. Le Burkina Faso se distingue dans l’art de s’occuper des réfugiés politiques.

Politiques, économiques ou sociaux, les réfugiés africains sont unanimes sur une chose. Ils ne connaissent pas des tracasseries policières au Pays des Hommes intègres. Ils se confondent aux citoyens burkinabè dans le quotidien. Cette liberté relative des « frères africains en difficultés » se fonde sur la Zatu (Loi) N° An-V-28/FP/ du 3 août 1988. Elle établit le régime juridique du réfugié. Cette loi complète les dispositions prévues par la Convention de Genève et celle de la Convention de l’OUA de 1969.

A son arrivée au Burkina Faso, le postulant à la qualité de réfugié ou de demandeur d’asile devra au préalable obtenir auprès de la Commission nationale pour les réfugiés (CORANEF) une attestation provisoire de trois mois. Cette disposition juridique ne s’applique pas aux réfugiés politiques. Ces derniers sont gérés directement par les hautes sphères du pouvoir politique. L’attribution du statut de réfugié politique relève de la souveraineté des Etats.

Les ministères des affaires étrangères, de la sécurité, de la défense et les conseillers politiques du président Blaise Compaoré accordent une attention particulière aux politiciens africains qui sollicitent l’asile. « Les Etats sont libres parfois d’octroyer des statuts spéciaux aux dignitaires politiques. Ils ne veulent pas les soumettre à la procédure tracassière dans la requête du statut des réfugiés » précise le Représentant régional chargé de liaison du HCR auprès de l’Union africaine à Addis Abeba, Ngandu Ilunga.

Contrairement aux déclarations de l’Ambassadeur du Burkina faso auprès de l’Union africaine Bruno Zidouemba, les réfugiés politiques ne s’enregistrent pas à la Commission nationale pour les réfugiés (CONAREF). Aucune trace des réfugiés célèbres comme les présidents Pascal Lissouba du Congo Brazzaville, Laurent Gbagbo et du Sergent-chef Ibrihima Coulibaly de la Côte d’Ivoire ... dans les registres de la CONAREF.

Centaine de milliers de dollars en jeu

Les exilés politiques arrivent par voie terrestre ou aérienne sans tambour ni trompette. Accueillis par les services secrets à leur descente, reçus par les plus hautes personnalités de l’exécutif burkinabè avant leur installation, ils trouvent leur pied à terre dans les quartiers huppés de la ville de Ouagadougou. Le séjour et les mouvements sur le plan national et international se planifient avec les services des renseignements et de la sécurité. Chaque pays d’accueil et de réinstallation reçoit des subsides du HCR. Le montant exact des crédits alloués au Pays des hommes intègre relève du secret diplomatique.

A la faveur de la rencontre ministérielle sur les réfugiés, personnes déplacées et rapatriés en Afrique du 1 au 2 juin 2006 de Ouagadougou, le Représentant régional du HCR (Bénin, Niger, Togo et Burkina Faso) , Rafik Gaïdi lève un coin de voile sur les fonds engrangés par le Burkina Faso . « Je ne peux pas vous donner le montant exact. Mais c’est un soutien très important. C’est nous qui finançons les frais de fonctionnement, les programmes d’assistance des réfugiés. C’est un soutien important que nous continuerons à apporter.... C’est dans la centaine de milliers de dollars. Si ce n’est pas plus de dollars ! ».

Une source proche du ministère des affaires étrangères et de la coopération régionale chiffre l’aide à plus de trente millions par an. Le soutien financier du HCR varie en fonction du nombre des réfugiés. Il permet à l’Etat de payer les salaires de six travailleurs contractuels et leurs obligations sociales indique le Coordonnateur de la CONAREF, Abdoul Karim Salambéré. Mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt. « L’aide que nous apportons n’est pas toujours à la hauteur de tous les besoins des réfugiés » reconnaît, Ngandu Ilunga.

Le Burkina Faso consacre chaque année une somme de cinq millions de francs cfa pour subvenir aux besoins des réfugiés nécessiteux sans compter les moyens déployés pour assurer la protection physique des réfugiés politiques. « Aides-toi et le ciel t’aidera ». Certains exilés politiques l’ont compris. Car le soutien des autorités politiques du pays d’accueil ne saurait être éternel. Ils se transforment en véritables opérateurs économiques.

La légalité de leurs activités se trouve dans l’article 12 de la Convention et Protocoles relatifs au statut des réfugiés. Il stipule que « les Etats contractants accorderont à tout réfugié un traitement aussi favorable que possible et de toute façon un traitement qui ne soit pas moins favorable que celui accordé, dans les mêmes circonstances aux étrangers en général en ce qui concerne l’acquisition de la propriété mobilière et immobilière et autres droits s’y rapportant, le louage et les autres contrats relatifs à la propriété mobilière et immobilière ».

Cette disposition semble contraster avec le droit de réserve des réfugiés. Par souci de discrétion, les réfugiés politiques optent pour la formule du prête-nom dans leurs investissements. On les retrouve dans les activités de grandes consommations comme la gestion des maquis, bars, restauration.... La protection physique, l’assistance politique et l’accumulation des richesses dans le pays d’accueil des réfugiés politiques engendrent des secousses politiques.

Répercussions politiques

La gestion des « rebelles » ou « Forces nouvelles » a mis à nu la complexité de la question des réfugiés politiques. Ouagadougou table sur son devoir de solidarité pour accorder l’asile politique au Sergent-chef Ibrahim Coulibaly parmi tant d’autres membres de la tentative de Coup d’Etat du 19 septembre 2002. L’activiste politique bénéficie d’un passeport diplomatique. Abidjan manifeste sa volonté de voir extrader certains « rebelles » en exil au Burkina Faso. Face au refus de Ouagadougou, le président ivoirien Laurent Koudou Gbagbo avait rompu avec le langage diplomatique « Les fuyards en direction du Mali, du Burkina Faso ne sont pas des réfugiés. Ils retournent dans leur patrie ».

La présence des réfugiés politiques oppose le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire depuis le 19 septembre 2002. Pourtant, la convention de l’Organisation de l’unité africaine sur les problèmes des réfugiés est claire. Elle demande aux Etats de ne jamais considérer l’octroi de l’asile à quelqu’un comme un acte inamical ou comme un acte hostile.

La convention de l’OUA interdit aux exilés politiques de s’adonner aux activités subversives. Dans la pratique, les réfugiés politiques ne restent pas inactifs. Ils mènent une lutte depuis l’exil avec ou sans l’aide du pays d’accueil. La responsabilité du pays d’accueil est engagée. « Lors qu’ils accueillent un exilé d’un pays voisin ce n’est pas pour en faire un activiste politique organisant à partir du pays d’asile des activités militaires pour une déstabilisation politique du pays d’origine. Dès que ce code de conduite est observé par les pays d’accueil des exilés ou des réfugiés, ça peut réduire les tensions entre les Etats. Il faut absolument que l’Etat qui accueille les exilés s’assurent que les exilés n’utilisent pas le pays d’accueil pour lancer les activités hostiles ou subversives contre le pays d’origine » affirme le diplomate Ngandu Ilunga.

Les enjeux diplomatiques

Chaque Etat possède des intérêts dans la gestion des réfugiés politiques. La diplomatie occupe une place centrale dans les négociations bilatérales au sujet des réfugiés. Certaines demandes d’extradition finissent en queue de poisson. Ce qui ne laisse pas le pays d’accueil indifférent. « Nous avons de par le passé eu quelques ennuis à cause des réfugiés politiques. Mais l’histoire nous a toujours donné raison » reconnaît l’Ambassadeur Bruno Zidouemba. Mais l’ennui se poursuit toujours avec le président ivoirien Laurent Gbagbo. Il n’accepte pas l’asile accordé aux « rebelles ».

Il faut remonter dans l’histoire pour expliquer le froid entre les autorités ivoiriennes actuelles et burkinabè. « Ce dont vous avez bénéficié, vous êtes en devoir de penser que vos adversaires politiques bénéficient des mêmes largesses. Laurent Gbagbo a été soutenu ici (Ouagadougou). Sous le règne du président Houphouët Boigny, il voyageait avec les passeports diplomatiques burkinabè » affirme une source de la diplomatie burkinabè. Chaque pays d’accueil des réfugiés politiques marque des points dans la protection physique et l’assistance aux réfugiés.

Dans les relations internationales, aucun pays signataire de la Convention de Genève ne veut être un « mouton noir » du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Outre, la tradition d’accueil, la gestion des réfugiés politiques trouvent une signification dans le projet de société du président Blaise Compaoré : faire « rayonner le pays sur le plan international ». Cette recherche de leadership au plan international occasionne des tensions bilatérales.

L’exemple du Sergent-chef Ibrahim Coulibaly arrêté à Paris le 23 août 2003 avec un passeport diplomatique burkinabè reste mémorable. Officiellement, le passeport diplomatique offert était purement à but humanitaire. Mais une mission dissimulée le cachait. L’arrestation du sous-officier a permis de remonter toute la filière de conquête du pouvoir depuis l’étranger. Paris et Ouagadougou n’ont pas la même vision dans le traitement des réfugiés politiques ivoiriens. En définitive, le statut du réfugié politique reste spécifique en ceci que son bénéficiaire n’est plus ressortissant des autorités du pays d’origine.

Les « hommes chéris de la République » sont une conséquence de la mauvaise gestion des hommes qui débouche sur des conflits générateurs de réfugiés. Les causes profondes des réfugiés politiques africains au Burkina faso sont les élections mal gérées, le déficit de démocratie, la lutte pour la conquête et l’exercice du pouvoir. Malheureusement, cela semble être le propre des Etats africains.

Arzouma Kiéma


Ambassadeur Bruno Zidouemba : Si le réfugié africain a de l’argent ....

L’Indépendant (L’Indé) : Que gagne le Burkina faso en accueillant sur son sol des réfugiés ?

Bruno Zidouemba

Bruno Zidouemba (B Z) : La vraie question est de savoir qu’est-ce qu’on perd en n’accueillant pas les réfugiés ? Nous avons une politique de fraternité, de solidarité en Afrique. Un réfugié ne nous apporte rien sur le plan économique. Mais nous avons le devoir de solidarité vis-à-vis de tous ceux qui ont des problèmes sur cette terre. Ne parlons pas de nos frères africains !

Le Burkina faso a ce devoir d’accueil. Il ne doit pas s’attendre à des retombées. Notre joie serait que les réfugiés partout dans le monde et particulièrement en Afrique trouvent leur sort amélioré. Si nous pouvons contribuer à cette amélioration, nous aurons fait notre devoir de pays responsable, de pays partenaire de cette humanité. Voilà ce que nous gagnons. Nous ne cherchons pas de retombées matérielles. Mais nous cherchons à améliorer le sort de tout être humain sur cette terre.

L’Indé : Un pays pauvre qui pratique une politique d’humanisme. Cela ne coûte pas cher au contribuable burkinabè ?

B Z : Il n’y a rien qui ne coûte pas sur cette terre. Sous prétexte que nous sommes pauvres, et nous le sommes, faut-il croiser les bras ? La pauvreté est une notion relative. Vous et moi pouvons dire que nous sommes pauvres. Mais lorsque nous nous comparons au réfugié qui a fui son pays sous la menace des armes, qui a tout abandonné comme biens, parents, et qui se retrouve sur notre terre, il faut reconnaître qu’il est dans un sort plus difficile. Le peu que nous avons, il est bon que nous le partagions. Que nous le partagions avec joie et plaisir ! C’est un devoir de solidarité des Etats comme au niveau des individus. Les régions où les réfugiés sont nombreux font des sacrifices. Je crois qu’il faut encourager ce sacrifice....

L’Indé : L’’accueil de ces réfugiés politiques ne met-il pas le Burkina Faso en difficultés avec certains pays de la sous-région sur le plan diplomatique ?

B Z : C’est vrai que les réfugiés politiques sont des gens qui ne sont pas d’accord avec les régimes politiques en place dans leur pays et qui cherchent asile. Je crois qu’un réfugié est un réfugié. Qu’il soit politique ou économique, c’est un réfugié. Je crois qu’au-delà des raisons qui les chassent, il faut voir leur situation. Nous avons de par le passé eu quelques ennuis à cause des réfugiés politiques. Mais l’histoire nous a toujours donné raison. Il appartient à chaque pays d’ouvrir le dialogue avec ses citoyens. C’est par-là qu’on évite le phénomène des réfugiés. Il fut un moment où le Burkina Faso a eu des réfugiés politiques ailleurs.

Mais nous ne nous sommes pas plaints. C’est normal que tout le monde ne soit pas d’accord dans un pays. Si vous n’êtes pas d’accord et vous décidiez de vous exiler, ce n’est pas pour autant que le Gouvernement du pays en question doive créer des situations d’inimité vis-à-vis du pays d’accueil. Il faut plutôt profiter de la disponibilité du pays d’accueil pour nouer le dialogue politique....

L’Indé : La présence de certains réfugiés politiques fait qu’on accuse, à tort ou à raison, le Burkina Faso de pays déstabilisateur ? L’image du Burkina Faso ne prend-elle pas un coup avec l’accueil des réfugiés politiques ?

B Z : On oublie quelque chose. Le Burkina Faso n’est pas le pays qui reçoit le plus de réfugiés politiques au monde. Prenez le cas de la suisse. Traditionnellement, la Suisse est un pays d’asile. Mais qui a entendu dire que le gouvernement Suisse est un gouvernement déstabilisateur ? Je crois qu’il faut avoir un traitement égal et honnête. Nous avons des obligations vis-à-vis des réfugiés. Nous sommes membres du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Il y a des devoirs que les réfugiés politiques doivent observer dans le pays d’accueil. Le gouvernement burkinabè veille à cela.

A partir du moment où le devoir de réserve est respecté, nous les considérons simplement comme des réfugiés... La plupart des réfugiés sont sous le couvert du HCR. Le Burkina Faso n’a jamais reçu un réfugié qui ne soit pas parrainé par le HCR. Nous avons une commission nationale chargée des réfugiés qui examine chaque cas en collaboration avec le HCR. Nous ne recevons pas tout le monde... Il y a un minimum de conditions à remplir. Il y a des règles. Nous ne sommes pas ouvert à tous vents. Nous n’accueillons pas tous ceux qui viennent...

Le réfugié doit avoir le devoir de réserve. Il doit s’abstenir d’activités politiques. Nous veillons à cela. Nous n’avons pas de complexes. On finira par comprendre peut-être que tous les pays devraient faire comme çà..... Le Burkina Faso n’a aucun complexe. Nous sommes fiers de le faire. Le monde marche ainsi. Si vous avez des difficultés et vous allez chez le voisin, il faut qu’il vous accueille. Si le voisin vous chasse, (çà devient compliqué). Je pense que tout homme a droit à la protection juridique, matérielle et politique.

L’Indé : Il y a des réfugiés (politiques) qui investissent par exemple dans les secteurs économiques. Est-ce une manière de les intégrer localement ?

B Z : Mais écoutez ! Un réfugié est un homme libre. Quand nous recevons quelqu’un comme réfugié, nous voulons qu’il se sente le plus libre possible dans notre pays ! S’il a une formation, nous voulons qu’il ait un emploi. S’il a de l’argent et qu’il veut investir, il est libre d’investir. Il y a des règles qui régissent les investissements au Burkina Faso. Nous ne discriminons pas. Nous voulons que le réfugié se sente aussi à l’aise chez nous. Il n’y a pas lieu de l’interdire d’investir. Si nous recevons des réfugiés paysans, nous leurs trouvons des terres cultivables. Si nous recevons un professeur de mathématique, s’il a la possibilité d’avoir un poste d’enseignant dans un lycée, nous l’encourageons.

L’Indé : L’accueil des réfugiés ne donne pas au Burkina Faso un bonus dans la quête des postes internationaux ?

B Z : Non. Nous ne monnayons pas cette hospitalité. Il ne faut pas évoluer vers cela. Faisons-le par devoir de solidarité humaine. Ce devoir est non monnayable. C’est un devoir gratuit. C’est moral. Ce n’est pas matériel. Nous n’accueillons pas les réfugiés pour être mieux appréciés et gagner des postes à gauche et à droite. Nous le faisons parce que nous sommes convaincus que nous devons nous comporter de cette façon vis-à-vis de ceux qui ont besoin de protection et d’asile.

Interview réalisée le 29 mai 2006 Arzouma Kiéma

L’Indépendant

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