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Mouloud 2006 à Ramatoulaye : Prière, retrouvailles et bonnes affaires

Publié le vendredi 14 avril 2006 à 04h02min

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Dans la nuit du dimanche 9 avril 2006 au lundi 10 avril, plusieurs fidèles musulmans venus de divers horizons étaient à Ramatoulaye, village situé à 25 km de Ouahigouya (département de Namissiguima) pour célébrer la naissance de Mohamed, prophète de l’islam. Ce fut un rendez-vous de prière, de commerce et de retrouvailles.

Routes cabossées à plusieurs endroits et couvertes de poussière, allers et retours interminables de vivres, parcourir la distance Ouahigouya-Ramatoulaye (25 km) n’a pas été aisée pour nous autres motocyclistes. Arrivé à Ramatoulaye, "Terre de la paix divine", il est 16h. Le village est noir de monde. Combien sont-ils ? Un million ! Difficile de répondre.

"Il faut qu’un jour l’Etat amène des personnes compétentes qui vont nous aider à donner une idée exacte des gens qui viennent". C’est le vœux du cheick de Ramatoulaye. La cour de l’école Medersa est devenue un véritable parc de stationnement automobile. De là-bas, la résidence du cheick, une maison en étage, est d’environ 1 km. La mosquée, retenue par l’Office national du tourisme comme site touristique, est implantée à côté du palais de la première autorité musulmane.

Y accéder est une autre paire de manche. La bousculade est monstre dans la foule. Il faut se serrer les coudes pour se faufiler entre les étals des commerçants installés pêle-mêle dans le couloir. A 300 m de la cour du cheick, des centaines de personnes alignées en deux rangs. Encadrées et surveillées par de nombreux agents de sécurité, ces personnes tiennent à recevoir des bénédictions.

Par groupes de cinq, ils traversent la porte d’entrée de la cour, où sont alignés, à côté du mur, des personnes, des bonnets blancs à la main pour récolter des pièces d’argent. Ils continuent ensuite dans une salle au-rez-de- chaussée. A un moment donné, un des gardes du patron des lieux crie : "Mettez les mains à la poche pour le doua et pour honorer le cheick, ne serrez pas trop la main du cheick, touchez un peu et continuez".

Dans cette salle se trouvent deux tombes. Celles du cheick Aboubacar Maïga 1er, fondateur de la cité religieuse de Ramatoulaye, et de Sidi Mohamed Maïga, respectivement grand-père et père de l’actuel cheick Aboubacar Maïga II. Les pèlerins traversent la salle, ressortent par une porte qui donne accès à une autre salle, où est assis le cheick, dans un fauteuil, le combiné téléphonique à côté de lui. Il est entouré de ses gardes. Un d’eux le ventile avec un éventail.

Les pèlerins avancent, mettent chacun une somme d’argent dans un sac posé à côté du maître des lieux. Ils le saluent et continuent leur chemin. Maintenant, ils peuvent vaquer tranquillement à leurs occupations. C’est l’une des étapes les plus importantes pour les pèlerins. Selon les habitués du coin, les vœux psalmodiés au niveau des tombes sont généralement exaucés par la suite. Nombreux éprouvent une vénération pour les tombes.

C’est pourquoi, à chaque rendez-vous, ils ne manquent pas le Mouloud à Ramatoulaye. Pour l’histoire, le Mouloud a été célébré au Burkina Faso pour la première fois par le cheick Aboubacar Maïga 1er en 1923. Il a passé ensuite le témoin à son fils héritier, cheick Sidi Mohamed Maïga (1946 au 20 février 1987). C’est depuis 1997 que Aboubacar Maïga II, l’actuel cheick, a succédé à son défunt père. C’est donc la 84e fois, cette année, que le Mouloud est célébrée à Ramatoulaye.

Un commerce florissant

Si certains pèlerins viennent chercher les bénédictions pour un avenir radieux, d’autres par contre, et pas des moindres, visent l’intérêt immédiat. C’est le cas de la majorité des commerçants. Ils viennent s’installer deux ou trois jours avant le jour J. Boukary Sana est de ceux-là.

Un moment de retrouvailles

Venu de Tenkodogo le vendredi 7 avril 2005, Boukary est venu avec des livres en arabe et des médicaments pour les vendre. Il avoue faire de bonnes affaires à Ramatoulaye. Il est présent depuis huit ans d’affilée sur la "terre de la paix divine". "En trois jours ici, je gagne souvent plus que mes ventes ordinaires d’un mois", laisse échapper le commerçant natif de Tenkodogo.

Son voisin, Salam, lui, est spécialisé dans la vente des boubous, des bonnets et des chapelets. Il dit toujours s’en tirer à bon compte depuis qu’il a connu la route de Ramatoulaye. Kadio Moussa, comme beaucoup d’autres, s’adonne à la vente de la friperie. Les prix sont standards, "200 F à prendre ou à laisser", répète-t-il sans cesse à ses clients. Selon ses aveux, Ramatoulaye est une mine d’or pour lui. A vrai dire, dans le bled, toutes les marchandises convoitées sont disponibles, sauf la boisson alcoolisée. Autre interdit, on ne fume pas aux alentours de la mosquée et à côté du palais du cheick, et donc il faut parcourir une distance de 800 m pour rencontrer les vendeurs de cigarette.

L’une des activités lucratives à Ramatoulaye est la restauration. Du coup, beaucoup de personnes (femmes et hommes) se transforment en restaurateurs en l’espace d’une journée. Vendeuse de pagnes et d’objets plastiques au marché du secteur 10 à Ouahigouya, Mme Ouédraogo Aminata a abandonné son commerce habituel pour devenir restauratrice à Ramatoulaye. Arrivée depuis le jeudi 6 avril 2006, avec une recette d’environ 10 000 F/jour, Aminata reconnaît qu’au bout du compte, le secteur est juteux pendant la période du Mouloud.

Escomptant la protection divine, les gens se bousculent sur les grillades cuisinées dans les nuages de poussière. Au même moment, les vendeurs d’eau se remplissent les poches. Le prix de la barique se négocie entre 1500 et 2000 F. "A leur départ, des commerçants viennent me saluer tout en manifestant leur joie d’avoir écoulé leurs marchandises ; un d’entre eux m’a confié avoir fait une recette de 6 millions ici", soutient le cheick.

Et de continuer : "Mon souci, c’est le bonheur des gens, la plupart des pèlerins viennent pour chercher des solutions à leurs problèmes et s’ils trouvent immédiatement la solution, ça montre vraiment la notoriété du coin, et il faut bien qu’il y ait un intérêt qui pousse les gens à venir". Mais là où le cheick dit être très gêné, c’est concernant le problème d’eau, "crucial au moment des grandes affluences". Il souhaite, de tous ses vœux, du soutien pour installer des points d’eau, car selon lui, l’eau est d’une nécessité vitale, et une spéculation autour de l’eau n’est pas bonne".

Ramatoulaye est une source de devises pour les transporteurs. "Durant les trois jours, je peux faire 10 fois le voyage Ouahigouya-Ramatoulaye", affirme un conducteur. Des camions mis sous cale pendant longtemps sont remis sur pied à l’approche de la fête. Des conducteurs, venus de la Côte d’Ivoire, parcourent les départements et les villes environnants pour convoyer les gens. Des sommes parallèles qui font le bonheur du chauffeur et des convoyeurs.

Au-delà de l’aspect commerce et prière, le Mouloud est un moment de grandes retrouvailles. "Si vous voyez des gens qui se sont quittés il y a 1 ans, 2 ans, 10 ans, s’empoigner quand ils se rencontrent, on en a souvent les larmes aux yeux ; on ne peut pas finir d’évoquer les aspects positifs du Mouloud", murmure Mohamed Maïga II.

Un bon exemple d’intégration des peuples

Les pèlerins ne sont pas uniquement des gens venus de l’intérieur du Burkina. Nombreux sont ceux qui viennent des pays voisins du Burkina : Ghana, Niger, Nigeria, Togo, Côte d’Ivoire. Et même des pays arabes : Syrie, Algérie, etc. Cette année, la communauté ghanéenne a fait une forte impression. Elle était forte de 300 personnes arrivées depuis le mardi, avec un cortège de plus d’une quinzaine de véhicules. A leur tête, le cheick Salwati, communément appelé cheick du Ghana.

La délégation a été rejointe par un autre cheick, le cheick Ousmane Kaboré. Selon le cheick Salwati, depuis 10 ans, il est présent à Ramatoulaye pour fêter le Mouloud. Au-delà de la réputation très connue de Ramatoulaye sur le plan islamique, ce long déplacement est une preuve de l’entente et du respect que les deux peuples s’accordent. "J’invite de tout mon cœur les deux gouvernements à mieux renforcer les liens entre leurs peuples", implore le cheick Salwati, qui, pour sa part, a salué le soutien des autorités à l’organisation de la fête du Mouloud.

"C’est grâce à eux qu’il y a la sécurité, et c’est ce qui fait que chaque année, l’affluence prend de l’ampleur. Sans eux, avec tout ce monde, on allait vivre un désordre qui n’aurait pas manqué d’écorcher l’image de la religion et la réputation des lieux", constate-t-il. Nos frères Ivoiriens et la communauté burkinabè qui vit en Côte d’Ivoire font chaque année le déplacement en masse. "Nous avons suivi un cortège de plus d’une douzaine de cars, qui vient uniquement pour le Mouloud", révèle le conducteur d’un car de 75 places, venu de la Côte d’Ivoire.

La commémoration proprement dite

Comme chaque année, avant le début de la longue prière de 00 heure à 6 heures du matin, les autorités administratives et politiques viennent témoigner au cheick leur solidarité. Cette année, ce sont les gouverneurs de la région du Nord, Henri Marie Dieudonné Yaméogo, Jacob Ouédraogo du Centre-Est, l’ambassadeur d’Algérie au Burkina et le roi du Yatenga, qui ont marqué la fête par leur présence. Dans son mot de bienvenue, Issa Tall Tamboura, préfet du département de Namissiguima, a souhaité que Ramatoulaye puisse être inscrit dans le registre des villes touristiques du Burkina.

"Pour avoir servi de levier dans l’enracinement de l’islam au Burkina Faso, il a incontestablement des particularités touristiques qui pourraient intéresser tant les nationaux que les expatriés", a exhorté le préfet. La longue prière a été conduite par le cheick Mohamed Maïga II, assisté des cheicks Salwati et Ousmane Kaboré. Ils ont axé leurs sermons sur la connaissance du prophète Mohamed. Ils ont insisté sur ses miracles, ses retraites spirituelles, sa foi, ses actes d’adoration.

Très intéressés par les sujets abordés, les pèlerins, munis d’éventails, ont bravé la chaleur et le sommeil pour rester à l’écoute des prédicateurs. La culture de la paix entre musulmans et non- musulmans, l’émancipation des femmes, ont été également évoquées lors de la célébration de cette fête de Mouloud 2006. Rendez-vous a été pris pour le Mouloud 2007.

Par Emery Albert Ouédraogo
L’Observateur Paalga

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