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Migration et production maraîchère du Burkina Faso : Réalités croisées entre maraîchères autochtones et allochtones (cas de la commune rurale de Dandé)

Publié le mercredi 20 septembre 2023 à 15h30min

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Introduction

Selon le PNUD (2002), les femmes représentent 52% de la population du Burkina Faso. Elles constituent alors une main-d’œuvre incontournable dans le développement du pays (R. Ouoba et al. 2003). En milieu rural comme en milieu urbain, les femmes jouent un rôle important dans la production agricole. L’organisation sociale traditionnelle à prédominance patriarcale et les pesanteurs socioculturelles y afférent (coutumes, religions, interdits) confinent en général ces dernières à une place secondaire dans les cercles d’activités quotidiennes où elles sont généralement victimes de discriminations et d’injustices sociales. En milieu rurale, les femmes participent aux activité du secteur primaire même si leurs contributions y semblent minimisées (S. Charlier, 2014).

Pour le développement des cultures maraîchères au Burkina Faso, des opportunités d’occupation s’offrent aux femmes rurales (MAHRH, 2011a). Cependant, bien qu’occupant de plus en plus de femmes, le maraichage perpétue souvent des stéréotypes (pesanteurs socioculturelles culturelles et économiques) liés au sexe (FAO, 2011).

Dans la province du Houet, la commune rurale de Dandé à la particularité d’accueillir un nombre important des migrants ruraux à la recherche de terres fertiles pour la production céréalière et maraichère et les femmes y sont impliquées dans les activités économiques par l’obtention d’espace pour la production maraîchère (M. Sawadogo (2015). Cependant, en dépit de leur implication au développement de l’agriculture et de la sécurité alimentaire au sein du foyer (F. Ouédraogo, 2016), leur pleine participation est contrariée par des normes sociales traditionnelles, des stéréotypes et pesanteurs socioculturelles culturelles et économiques liés au genre (FAO, 2011 ; Ouédraogo, F.2023).).

Au regard de cette réalité nous nous posons les questions suivantes : comment se matérialise la participation active des femmes allochtones à la dynamique de développement du maraichage à Dandé ?
Quels sont les facteurs déterminants de la participation des femmes dans la production maraichère dans la commune de Dandé ?

La présente recherche présente tout d’abord les déterminants sociodémographiques des maraichères de la commune de Dandé, ainsi que les contraintes spécifiques ou communes auxquelles les maraichères allochtones et autochtones font face. Il analyse également les déterminants de la participation massive des allochtones aux activités de production maraichère.

Approche méthodologique

La présente recherche est de type mixte. Ainsi, elle autorise une approche quantitative et qualitative. L’importance de ce type de recherche tient au fait qu’elle permet, selon J.W. Creswell (2009), la collecte, l’analyse et le "mélange" ou l’intégration de données qualitatives et quantitatives dans le processus d’analyse afin de mieux saisir le sujet.

La population étudiée est composée de productrices maraichères et de personnes-ressources. Nous avons donc constitué un échantillon de 60 productrices de manière aléatoire en choisissant de ne prendre en compte que les productrices présentes sur les sites lors de nos enquêtes. Le choix des répondants s’est fait sans reprise, mais en tenant compte de l’appartenance à une organisation de producteurs du site. Quant aux personnes-ressources, elles ont été choisies en fonction de leurs expériences administratives ou pratiques dans le développement du maraîchage (Ouédraogo, F.2023).

L’enquête par questionnaire a permis d’explorer les aspects suivants de la problématique : les caractéristiques sociodémographiques des maraîchers ; les niveaux d’organisation, d’équipement des acteurs ; les pesanteurs socioculturelles et les situations des maraichères selon leurs origines sociales. L’entretien semi-directif a permis d’obtenir des informations sur les conditions d’accès des femmes à la terre ; sur les difficultés auxquelles elles sont confrontées et les perspectives.
Les données quantitatives ont fait l’objet d’analyses descriptives par SPSS. Quant aux entretiens semi-directifs, ils ont fait l’objet d’analyses thématiques simples.

Résultats

Caractéristiques sociodémographiques des maraîchères
Selon les données, l’âge moyen des productrices d’oignon est de 38 ans avec 98% de femmes mariées. La plupart des productrices interviewées n’ont jamais été scolarisées (76,9%). Seulement, 15,4% et 7,7% des maraîchères ont respectivement le niveau primaire et secondaire. Dans la commune de Dandé, les maraichères originaires de la localité représentent 37.8 % des maraichères interviewées contre 62.2% d’allochtones.

Organisation des productrices et accès aux moyens de production de la commune
Les résultats obtenus révèlent que plus de la moitié des maraîchères (76,8%) fait partie d’une association ou d’un groupement de maraîchères dont environ 70% des maraichères sont des allochtones.

Dans le secteur agricole, la terre est le premier facteur de production. Dans la commune de Dandé nos données montrent qu’environ (52,2%) des femmes ont accès aux terres cultivables grâce au don du conjoint ou d’une tierce personne. Les autres modes d’accès étant la location (25,1%), l’héritage (11,5%) ou le prêt (10,9%). La proportion par don et par location étant les plus élevées car à Dandé, la femme n’hérite pas de la terre. L’achat de terre est tout de même permis aux femmes de la localité.

Accès à la formation et au crédit

Environ 65% des maraichers de notre échantillon ont déjà été formés au moins une fois dans le cadre de leurs activités agricoles et dont l’appartenance à un groupement ou une association a facilité l’accès à la formation. Ces formations portaient généralement sur les techniques et méthodes de préparation du sol, d’irrigation, de compostage, de fertilisation, de protection des cultures, de conditionnement et conservation des récoltes et de repiques.

Concernant l’accès au crédit pour la production agricole, les données indiquent que les activités de production sont soit autofinancées, soit l’objet d’un préfinancement agricole. Statistiquement, 55% des maraichers bénéficient d’un soutien familial, 27,7% sont préfinancés en début de campagne et 17,3% des femmes ont déjà bénéficié de financement provenant de la caisse (petite institution financière locale). Pour bénéficier des crédits d’une institution financière locale, les femmes s’organisent en association.

Origine géographique et production maraîchère

Au sein de la population maraîchère dans la commune rurale de Dandé, on dénote 36,9% d’autochtones contre 66,1% d’allochtones. Les maraichères non originaires de Dandé affirment qu’au départ, les terres qui leur sont attribuées sont infertiles et difficiles à cultiver et lorsqu’elles deviennent fertiles au fil des années de production, le propriétaire peut les leur retirer à tout moment. Les descendants d’allochtones peuvent aussi exploiter les terres de leurs parents acquises par achat. Pour ce qui concerne les terres issues de dons ou de location, la transmission est fragile d’autant plus que les terres sont reprises en cas de départ de la personne à qui elle fut attribuée.

Contraintes rencontrées par les femmes dans la production
L’accès aux espaces de production se présente comme la première contrainte. Au-delà de l’accès à la terre, le faible taux d’accès au crédit auprès des institutions de micro crédit montre que le problème de financement est une autre contrainte majeure à la production agricole.

Au plan de la commercialisation, le caractère périssable des produits expose la production à des risques de mévente ou de vente à des prix non rémunérateurs pour éviter le pourrissement des spéculations. A cette réalité s’ajoute le manque d’informations sur le prix du marché des légumes, les difficultés d’acheminent et la quasi absence d’espace de vente des produits maraîchers sont autant de difficultés auxquelles sont confrontées les maraîchères dans le cadre de la commercialisation de leurs produits.

Contraintes liées au ménage

Les contraintes liées aux ménages sont appréciées différemment parmi les maraichères interviewées. 45,8% affirment que les tâches ménagères constituent un frein au développement de leurs activités de maraichage. Ces tâches domestiques posent constituent des obstacles majeurs à leurs capacités à augmenter leurs espaces de production ainsi que leurs productivités.

Discussion

Caractéristiques socioéconomiques des productrices maraîchères de Dandé
Le maraîchage en Afrique mobilise une population féminine majoritairement jeune. Dans la commune rurale de Dandé, les maraichères sont en grande partie analphabètes en dépit de la politique nationale de scolarisation gratuite initiée par l’État burkinabè dans le sillage des OMD. Cette situation fait dire à D. Nganawara (2016) et B. Baya et al. (2015) qu’en Afrique subsaharienne, les enfants du milieu rural ont nettement moins de chance d’être scolarisés par rapport à ceux du milieu urbain. Cette réalité étant plus prégnante chez les femmes.

Organisation des maraichers de la commune rurale

Le fait qu’une grande partie des maraichères soient organisées en groupement traduit leur volonté de s’entraider pour peser parmi les différentes structures actives dans la commune et pour bénéficier de soutien de la part des structures d’aide au développement (ONG et associations) (Ouédraogo,F. 2023). Le nombre important d’allochtones dans les structures associatives traduit la volonté d’une intégration sociale rapide dans la communauté des femmes de la commune et d’avoir les mêmes avantages que ces dernières en matière d’accès à la terre et aux autres moyens de production (F. Ouédraogo 2016).
Contraintes et approche sociale d’amélioration des conditions de travail des maraichères

Les rôles de la femme en milieu rural lui sont attribués par les coutumes, soulignent R. A. Maliki & B. Betou (2020). Elles soutiennent également que le fait d’aider le mari dans ses travaux champêtres ainsi que les soucis financiers récurrents auxquels elles font face dans le ménage freinent également leurs autonomies dans les activités de production maraîchères. Par ailleurs, l’on observe que 54,2% des femmes pensent ne rencontrer aucune difficulté dans le ménage qui pourrait entraver leurs activités de maraîchage.

Leur comportement cadre bien avec la théorie de la violence symbolique de P. Bourdieu (1997, p. 243) qui affirme que la violence symbolique nécessite et engendre la participation des dominés à leur propre soumission ; c’est là sa principale particularité. Dans le même sens le FIDA (2015) affirme que la pauvreté des femmes rurales et le poids des charges domestiques minent leur participation à la prise de décision dans le ménage et la communauté, et perpétuent la répartition inéquitable de la charge de travail entre les sexes.

Conclusion

Le maraichage est une activité économique importante pour le Burkina Faso. Il génère des revenus considérables pour ceux et celles qui le pratiquent. Dans la commune de Dandé, les femmes qu’elles soient allochtones ou autochtones participent au développement de cette activité agricole. Du fait des pesanteurs socioculturelles et des contraintes multiformes, les femmes de Dandé produisent sur des espaces de production appartenant soit à leurs maris, soit à leurs groupements d’appartenance, soit acquises par don ou par location. Cette réalité fait de leurs rapports à la terre, un rapport éphémère. Les femmes allochtones étant plus impliquées dans les activités de maraîchage que celles autochtones. Cette posture s’inscrit dans la logique de maximisation du profit qui anime le migrant, quel que soit son genre.

En somme, qu’elles soient autochtones ou allochtones, les femmes subissent le poids des travaux domestiques ; toutes choses qui freinent leur entière participation au développement de leur localité de vie.

OUEDRAOGO Félix, Chargé de recherche à l’Institut des Sciences des Sociétés (INSS)/CNRST/Burkina Faso, felixouedraogo99@gmail.com

Bibliographie

FAO, 2011, « La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture : Le rôle des femmes dans l’agriculture. Combler le fossé entre les hommes et les femmes pour soutenir le développement », 174 p.
CRESWELL John W, 2009, "Mapping the field of mixed methods research, "Journal of mixed methods research 3.2, p. 95-108.

FIDA, 2015, Investir dans les populations rurales, Rapport 2014.
LESLIE Gerald R. and RICHARDSON Arthur H., 1961,"Life-cycle, career pattern, and the decision to move", American Sociological Review, p. 894-902.
MALIKI Rabo Ali and BETOU Bizo, 2020, « Participation du genre féminin dans les instances politiques et décisionnelles au Niger » in Réflexions sur le développement durable en Afrique : Sous l’angle des lettres et des sciences humaines et sociales. L’Harmattan. p.79

FAO, 2018, "Une Afrique rurale en mouvement. Dynamiques et facteurs des migrations au sud du Sahara" 60pMinistère de l’agriculture, de l’hydraulique et des ressources halieutiques (MAHRH), 2011a, « Résultats prévisionnels de la campagne agricole et de la situation alimentaire et nutritionnelle », 77pages.

NGANAWARA Didier, 2016, « Famille et scolarisation des enfants en âge obligatoire scolaire au Cameroun : Une analyse à partir du recensement de 2005 », Rapport de recherche, Université Laval, Québec. ISBN : 978-2-924698-02-0
OUEDRAOGO.F, 2023, Genre et participation aux activités de production maraichères au Burkina Faso : réalités croisées entre autochtones et allochtones (cas de la commune de Dandé) Les cahiers De L’IGRAC, Numéro 23, juin 2023, PP.256-272
OUOBA Rosalie, TANI Mariam et TOURE Zeneb, 2003, « Analyse stratégique des enjeux liés au genre au Burkina Faso. Rapport d’étude.106p

OUÉDRAOGO Félix, 2016, Dynamiques locales et transition agroécologique : le cas du maraichage au Burkina Faso (région des hauts-bassins), Mémoire de Master Complémentaire Université Catholique de Louvain-la-Neuve.

PNUD, 2002, « Rapport mondial sur le développement Humain », Approfondir la démocratie dans un monde fragmenté. Consulté le 05/06/2015 sur http://www.planeteburkina. com/agriculture_burkina
RAVENSTEIN Ernest George, 1889, "The laws of migration" Journal of the royal statistical society, 52.2, p. 241-305.

SAWADOGO Wendemi Madinatou, 2015, Genre et développement de la filière maraîchère au Burkina Faso : Cas de Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Ouahigouya, Mémoire de Master, Université Polytechnique de Bobo-Dioulasso, Bobo-Dioulasso.

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