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Hommage à Ibrahiman Sakandé, « ouvrier de la plume »

Publié le mercredi 20 décembre 2023 à 18h05min

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Hommage à Ibrahiman Sakandé, « ouvrier de la plume »

Il avait été le directeur général des Editions Sidwaya (un groupe au sein duquel il aura mené l’essentiel de sa carrière : quatorze ans !) avant d’être nommé directeur de la communication de la présidence du Faso. Ibrahiman Sakandé vient de mourir, le 13 décembre 2023. Il se disait « ouvrier de la plume », revendiquait le titre de « journaliste-politiste » et se proclamait « Ipermicien » autrement dit ancien étudiant de l’Institut panafricain d’étude et de recherches sur les médias, l’information et la communication (Ipermic), établissement de l’Université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou.

Le 29 février 2012 (année bissextile), Ibrahiman Sakandé a été nommé, en conseil des ministres, à la direction de la communication de la présidence du Faso. Il prenait la suite de Baba Hama, nommé le 14 janvier 2009 avant de rejoindre le gouvernement dès le début de l’année 2011, laissant ainsi la fonction vacante. Le Burkina Faso était alors engagé dans la gestion des effets collatéraux d’une crise de croissance qui prendra une tournure dramatique en 2011, avec les mutineries de soldats, pour aboutir à « l’insurrection populaire » de 2014.

Or, au Burkina Faso, tout au long des années de la décennie 2000 (compte tenu notamment de « l’affaire Zongo »), la communication gouvernementale (assurée notamment par Cyriaque Paré) l’avait emporté sur la communication présidentielle.

Si le président du Faso est élu (enfin, à l’époque il l’était), le Premier ministre est nommé par lui. On évoquera alors la « distanciation » qui caractérisait le mode de production politique du chef de l’État. Et la visibilité de son action s’en était ressentie. La délocalisation du palais présidentiel à Ouaga 2000 isolait un peu plus le chef du pouvoir exécutif. On le voyait moins sur le terrain ; moins dans les médias. Quand je lui en faisais la remarque, il me rétorquait qu’il avait choisi de laisser travailler les hommes et les femmes qu’il avait nommés aux postes de responsabilité de l’État et de la Nation, ce qui lui permettait d’avoir une vision plus large des préoccupations du pays que s’il avait « le nez dans le guidon ». D’où cette implication, proche de l’addiction, dans le dossier ivoirien puis dans le dossier malien.

Sakandé allait donc avoir la rude mission de réanimer la direction de la communication de la présidence du Faso sans titulaire officiel depuis plus d’un an. Il ne venait pas de nulle part et avait été formaté par son job antérieur qui en avait fait un « journaliste officiel » puis le codirecteur de publication (avec le ministre de la Communication, Porte-Parole du gouvernement) et le directeur général des Éditions Sidwaya. Il s’y était illustré par des éditos qui, parfois, lui vaudront des tirs de barrage de ses collègues de la presse privée.

Pas facile d’être le patron d’un quotidien qui prône la vérité (Sidwaya signifie « La vérité est venue » en langue mooré) mais a été créé le 5 avril 1984 par un régime « révolutionnaire » qui a fait des journalistes des fonctionnaires chargés de « mobiliser et conscientiser le peuple » en un temps où la liberté de la presse ainsi que la liberté d’association était à reconquérir. C’est d’ailleurs à l’occasion des vingt ans de Sidwaya (célébrés en juin 2004 et non en avril 2004, alors que Sidwaya passait du noir et blanc à la couleur) que j’ai fait la connaissance de Sakandé alors chef du desk politique.

Le thème de cette célébration était on ne peut plus explicite : « Sidwaya face au défi de l’émergence d’un État de droit ». Quand Sakandé sera le directeur du quotidien de la rue du Marché, à l’occasion de son vingt-sixième anniversaire, il reviendra sur son histoire et son évolution (éditorial du mardi 6 avril 2010). Sidwaya a été, écrira-t-il, « le témoin, pourquoi pas le reflet, de la vie politique du Burkina Faso. Du « monolithisme idéologique » des années 80, il épouse, à partir de 1991, les contours de la démocratisation […] Il y a place pour toutes les expressions politiques, philosophiques et culturelles, voire pour la « sérendipité ». Dans le contexte qui était alors celui de la « presse d’État » en Afrique francophone, ce n’était pas faux.
Les temps ont changé. Aujourd’hui, Sidwaya n’a évoqué que de façon laconique (et c’est un euphémisme) la mort de son ancien directeur général.

Fidélité constante

Pouvait-il ne pas « griotiser » là où il était ? « Mon vœu, dira-t-il, serait que le président du Faso puisse oublier constamment mes limites pour ne se souvenir que de mon dévouement qui sera sans faille, ni faiblesse, sans retard ni écart ». A la veille de la présidentielle 2010, il avait appelé à ne pas « changer un coach qui gagne ». « Se débarrasser du pouvoir, écrira-t-il alors, pour plaire à des gens dont la lucidité n’est pas garantie serait livrer des années et des années d’efforts et de construction et de redressement national à des hommes qui savent ce qu’ils veulent certes, mais qui ne savent pas toujours comment le vouloir, ni si leur vouloir et celui du peuple coïncident ». En 2010, ce propos s’inscrivait dans l’air du temps : fallait-il prôner le changement pour le changement ? En 2014, « l’insurection populaire » apportait sa réponse à ce questionnement. En 2022, par deux fois, la question sera posée à nouveau. Elle reste posée… !

Alors que Michel Kafando présidait le Faso et le Conseil des ministres en tant que président de la Transition, Ibrahiman Sakandé cédera son poste de directeur de la communication de la présidence du Faso le 11 février 2015. Il sera alors remplacé par Yolande Kalwoulé qui s’était illustrée comme communicante auprès de Djibrill Y. Bassolé, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale. Sakandé rejoindra son corps d’origine et sera finalement chargé de mission au ministère de la Communication, de la Culture, des Arts et du Tourisme.

Le conseiller en sciences et techniques de l’information et de la communication, matricule 51104 B, « ouvrier de la plume », cessera d’écrire. Notre dernier échange remonte au 5 janvier 2015. Il allait quitter la présidence du Faso ; mais nul ne savait alors ce que ce pays allait nous réserver. J’allais cesser de « journalistiquer » au Faso qui, justement, tournait une page de son histoire ; je n’avais plus l’âge et la santé pour cela (cependant, je vais participer aux UACO 2017). « Que Dieu tout puissant veille sur nous et garde nos vies tout au long de 2015. Bises de nous 5. On est ensemble », m’écrivait-il. Il était né en 1973 ; sa plume est définitivement brisée. Tôt. Trop tôt.

Jean-Pierre Béjot
La ferme de Malassis (France)
17 décembre 2023

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Vos commentaires

  • Le 20 décembre 2023 à 20:17, par Yako En réponse à : Hommage à Ibrahiman Sakandé, « ouvrier de la plume »

    Repose en paix Mr Sakande ainsi va la vie.Tu étais du côté de la raison en 2014 et c’est avec lucidité vous avez conduit la communication présidentielle mais le coup d’état a fini par emporter le président et avec lui l’espoir d’un Burkina émergent,précipitant ainsi le pays le plus stable d’afrique de l’ouest dans la gueule du loup ! C’était les 30 et 31 octobre 2014 ! Au moment où tu t’en vas j’imagine ta douleur au regard de l’état de notre pays 8 ans après cette aventure insurrectionnelle d’octobre qui n’était ni nécessaire ni opportune.. Que le seigneur t’accueille au paradis. Yako

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  • Le 21 décembre 2023 à 01:38, par Hollingsworth En réponse à : Hommage à Ibrahiman Sakandé, « ouvrier de la plume »

    Merci pour cet hommage, j’ai appris quelques petites choses que je peux pas néanmoins vérifier.
    Éventuellement, dans vos prochaines livraisons, éviter de parler en Franc-Anglais (ex. desk politique) et aussi ce n’était pas pertinent de donner son numéro matricule, c’est une information confidentielle et privée... etc...

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  • Le 15 janvier à 17:20, par Idrissa Seïdou Issoufou En réponse à : Hommage à Ibrahiman Sakandé, « ouvrier de la plume »

    Allahu akbar...c’est avec tristesse que j’apprends en ce jour, 15/01/2024 le décès de mon père Ibrahiman Sakandé, il m’appel par "mon fidèle et constant frère " mais pour moi il est un PAPA, un père sage, très simple et gentil...qu’allah le tout puissant dans son infinie bontée vous accueil dans son paradis. Amine !
    Je ne cesserai de prier pour vous incha Allah.
    ❤❤❤

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