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Côte d’Ivoire : Ouattara dégage en touche son conseiller spécial

Publié le samedi 7 octobre 2023 à 11h55min

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Côte d’Ivoire : Ouattara dégage en touche son conseiller spécial

Certes, il serait injurieux d’évoquer un « magasin aux accessoires » ou un « placard » mais il faut bien reconnaître qu’il est difficile de considérer que la Grande Chancellerie de l’Ordre national est le point de chute où l’on s’attend à voir débouler un baroudeur diplomatico-politique tel que Ally Coulibaly (nomination en date du mercredi 4 octobre 2023). La fonction était assumée depuis mai 2011 - donc au lendemain de l’accession effective au pouvoir de Alassane D. Ouattara - par Henriette Dagri Diabaté ; qui a un parcours intellectuel dense et une histoire politique qui l’est tout autant mais sans les flamboyances auxquelles nous a habitué Ally Coulibaly. Née en 1935, elle a aujourd’hui 88 ans et a mérité de prendre sa retraite après douze années comme Grande chancelière (et un titre de Grande chancelière honoraire).

Ally Coulibaly est né en 1951 ; il aura 73 ans le 1er janvier 2024. Et un parcours d’homme de confiance d’Alassane D. Ouattara et de son épouse depuis la fin des années 1980. Ally dira, lui-même, que ce qui caractérise sa relation à Ouattara c’est la fidélité et la loyauté. Fidélité et loyauté « récompensées » aujourd’hui par la Grande Chancellerie alors que l’on pouvait penser qu’à deux ans de la prochaine présidentielle, il assumerait une fonction plus opérationnelle.

Ce n’est pas la première fois qu’Ally Coulibaly est ainsi dégagé en touche par le chef de l’État. Le mardi 6 avril 2021, alors qu’il était le numéro 1 du gouvernement de Hamed Bakayoko, Premier ministre, en charge du portefeuille de ministre des Affaires étrangères, il n’avait pas été reconduit dans l’équipe de Patrick Achi. « J’ai été viré du gouvernement depuis le mois dernier, confiera-t-il en mai 2021, et le Président n’a pas jugé utile de me confier de nouvelles responsabilités en dépit des défis du moment. Je n’ai plus accès à lui ». Mouvement d’humeur d’un enfant gâté : mi-juin, il sera nommé « conseiller spécial auprès du président de la République ». Une formulation inhabituelle afin d’exprimer, dira-t-on, la proximité entre les deux hommes.

De la télé à la prison

Proximité qui ne s’est jamais longtemps démentie. Et qui remonte loin dans le temps. Le mercredi 7 novembre 1990, Alassane D. Ouattara était nommé Premier ministre par Félix Houphouët-Boigny. Un mois plus tard (12 décembre 1990), Ally Coulibaly se retrouvait directeur central de la télévision.

En 1993, la mort de Houphouët-Boigny et l’accession au pouvoir de Henri Konan Bédié vont changer la donne. Coulibaly sera dégagé de la télé. Il va rejoindre les rangs du Rassemblement des Républicains (RDR) fondé en 1994. En 1995, il sera un des rares députés RDR, élu au titre d’une vaste circonscription en pays Djimini-Sénoufo dont Dabakala (son « village » natal) est le centre. A l’occasion du congrès du RDR qui, en 1999, va désigner Ouattara comme candidat à la présidentielle 2000, il sera nommé secrétaire national à la communication et porte-parole du RDR.

Bédié tombe à Noël 1999. Robert Gueï l’expédie en France et ramasse le pouvoir. Les 4-5 juillet 2000, des centaines de soldats armés, mécontents de leur condition, envahissent la capitale. Gueï crie à la tentative de coup d’État. Le mercredi 12 juillet 2000, Ally Coulibaly, Amadou Gon Coulibaly (futur Premier ministre), son oncle Mamadou Coulibaly et Sangoulou Coulibaly, responsable du RDR à Korhogo, sont arrêtés.

Ally Coulibaly et Gon Coulibaly sont détenus au camp commando de la gendarmerie de Koumassi à Abidjan. Quelques jours plus tard, ils seront libérés. Pour Ally ce ne sera que partie remise. Il sera à nouveau arrêté en décembre 2000, au lendemain de la présidentielle remportée par Laurent Gbagbo. Détenu pour détention et distribution d’armes, jamais jugé, il sera libéré huit mois plus tard dans la perspective de la tenue du Forum de réconciliation nationale.

Incontournable à Abidjan, Dakar, Paris

Ally Coulibaly va rejoindre Alassane D. Ouattara dans son exil et l’accompagnera dans ses déplacements politiques. Il va se trouver en première ligne dès lors que les événements des 18-19 septembre 2002 vont changer la donne géopolitique ivoirienne. Il dira tout haut ce que Ouattara pense tout bas afin de ne pas mettre « d’huile sur le feu ».

Dans la perspective de la présidentielle d’octobre 2006, Coulibaly sera promu secrétaire général adjoint chargé de la stratégie et de la communication, porte-parole du RDR. Il sera plus que jamais incontournable à Abidjan, Dakar, Paris. Il deviendra l’homme qui informe mais aussi celui qui s’informe dans les capitales européennes et africaines, tissant un réseau relationnel exceptionnel. Alors que, parfois, le RDR se délitait avec quelques démissions plus opportunistes qu’idéologiques, dès lors que le temps passait et les occasions de Ouattara d’accéder au pouvoir s’estompaient, Coulibaly confirmera être l’homme sur qui les Ouattara pouvaient compter.

Cette permanence dans la proximité entre Ouattara et Coulibaly ne sera pas sans susciter des tensions au seins du RDR. Homme-clé du système Ouattara, Coulibaly ne sera pas pour autant dans la lumière. Ses « amis » ne manqueront pas de le lui faire remarquer et chercheront à le convaincre qu’il pourrait en éprouver un juste ressentiment. Ce qui serait, alors, compréhensible. « Personne, dira-t-il, ne peut me donner de leçon de fidélité et de loyauté envers le président Ouattara que je connais depuis 1988, c’est-à-dire avant même qu’il ne soit nommé Premier ministre.

Au fil du temps, grâce à l’ancien ministre Vanoussa Bamba [qui a été le « patron » du premier époux de Dominique Folloroux avant qu’elle ne devienne Dominique Ouattara], nos relations se sont raffermies. J’ai été de tous ses exils. Mes rapports avec le président sont donc d’une autre nature. Personne ne peut porter atteinte à ce type de relation dans laquelle il n’y a pas l’ombre d’un problème ».

La meilleure preuve en sera donnée le 25 janvier 2011. Ouattara n’est pas encore installé au pouvoir à la suite de sa victoire à la présidentielle d’octobre 2010 ; la « guerre des chefs » fait rage à Abidjan. Coulibaly est nommé ambassadeur en France. A Paris, il a la lourde tâche de gérer non seulement les relations avec l’ancienne puissance coloniale mais également avec une diaspora ivoirienne fracturée (l’ambassade et la résidence de l’ambassadeur ne sont pas en meilleur état, obligeant Coulibaly à s’installer au Saint-James, hôtel particulier reconfiguré en résidence hôtelière de luxe, dans le XVIè arrondissement). Puis il quittera Paris pour Abidjan.

Il est nommé, le 4 juin 2012, ministre de l’Intégration africaine alors que le Mali et la Guinée Bissau sont en crise. Quand Marcel Amon Tanoh démissionnera du gouvernement, c’est Coulibaly qui assurera l’intérim aux affaires étrangères avant d’être confirmé à ce portefeuille sept mois avant la présidentielle du 31 octobre 2020. On connaît la suite.

En retrait des affaires diplomatico-politiques ou « casé » pour ses vieux jours ?

Voilà donc Ally Coulibaly Grand Chancelier de l’Ordre national. Ce n’est pas la plus visible des institutions ivoiriennes. Qui plus est, c’est une institution « statique » et « historique » (10 décembre 1960). On peut donc s’étonner que dans la configuration actuelle de la Côte d’Ivoire, confrontée à l’émergence des régimes militaires dans les pays du Sahel et à deux ans de la prochaine présidentielle qui devrait être celle de l’alternance des hommes (à défaut d’être celle de l’alternance des politiques publiques), le chef de l’État ait choisi de faire du plus « activiste » de ses très proches collaborateurs un personnage confiné dans le protocole. Une nomination qui, sauf explication contraire, ressemble fort à une mise à la retraite ; particulièrement honorable cependant. Le signal qu’un chapitre est clos et que, tournant la page, il faut veiller à « caser » les hommes liges ; et quelques électrons libres dérangeants.

Il s’agit de ne pas injurier l’avenir. L’avenir, justement, reste à définir. Alassane D. Ouattara vient de démettre, ce vendredi 6 octobre 2023, Patrick Achi de son poste de Premier ministre et, du même coup, rend leur liberté aux membres de son gouvernement. Dans les jours qui viennent une nouvelle équipe sera en place. Avec un programme d’action très simple : gagner la présidentielle de 2025 !

Jean-Pierre Béjot
La ferme de Malassis (France)
6 octobre 2023

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