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Situation Géo-sociolinguistique de la langue Bisa

Publié le lundi 28 août 2023 à 11h40min

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Résumé

La situation géo-sociolinguistique du pays bisa est très complexe. Elle a suscité un intérêt particulier dans cette étude qui a conduit à une enquête de terrain suivie d’une recherche documentaire pour révéler l’histoire ethnolinguistique de cette communauté.

L’étude a eu pour objectif de présenter l’aire linguistique du bisa ainsi que quelque étude sociolinguistique et ethnolinguistique. C’est une étude qui a abordé l’histoire, la sociolinguistique et l’ethnolinguistique de cette langue. En termes de résultat, il ressort que le bisa est classé dans la famille mandé et comporte quatre dialectes.
Mots clés : Histoire du peuplement, Sociolinguistique, Ethnolinguistique, géolinguistique

Introduction

Le pays bisa a longtemps vécu comme une sorte d’enclave linguistique et culturelle. Entouré de peuples voltaïques (Moose, Yaana, Kasena, Dagomba, Kusace), cet espace socio-culturel n’est en contact avec aucune langue mandé. Il est isolé des langues mandé-Est avec lesquelles il partage la même famille linguistique. Quel est alors la situation géo-sociolinguistique de cette langue ? La réponse à cette interrogation fonde les hypothèses ci-après :

-  L’identité culturelle de ce groupe est complexe ;
-  Le classement de la langue bisa a dérouté plusieurs chercheurs ;
-  Le nombre de dialectes du bisa a fait l’objet de débats contradictoires.
L’objectif visé dans la présente étude est de situer l’aire géographique du bisa, de présenter et d’identifier les principaux groupes dialectaux C’est une étude interdisciplinaire qui fait appel à l’histoire du peuplement du pays bisa, à sa situation géolinguistique, sociolinguistique et ethnolinguistique.

I- Cadre théorique et méthodologique

Elle est relative à l’histoire, à la géolinguistique, à la sociolinguistique et à l’ethnolinguistique. En ce qui concerne l’histoire du peuplement, C. H. Perrot (2000, p.8) estime qu’elle permet de :

montrer comment des hommes, arrivés à différents moments et à l’issue de différents parcours sur le territoire qui est aujourd’hui le leur, ont cohabité et édifié ensemble une société et comprendre comment cette société a évolué avec le temps, selon son dynamisme propre.

Par ailleurs, la sociolinguistique s’intéresse à des phénomènes très variés : les fonctions et les usages du langage dans la société, la maîtrise de la langue, l’analyse du discours, les jugements que les communautés linguistiques portent sur leur(s) langue(s), la planification et la standardisation linguistiques. Elle s’est fixée pour objectif de décrire les différentes variétés qui coexistent au sein d’une communauté linguistique en les mettant en rapport avec les structures sociales. Elle englobe pratiquement tout ce qui a trait avec l’étude du langage en lien avec le contexte socioculturel. Faisant cas de la sociolinguistique, H. Boyer (1996 : 9) soutient qu’« elle prend en compte tous les phénomènes liés à l’homme parlant au sein d’une société ».

Quant à l’ethnolinguistique, J. Fribourg (2010 :114-115) affirme qu’elle est :
considère comme étant du ressort de l’ethnolinguistique le message dont l’étude ne se conçoit pas du seul point de vue linguistique, mais obligatoirement d’un double point de vue, à la fois linguistique et culturel. Tel est le cas par exemple, de toute la littérature orale d’une société (contes, récits, légendes, proverbes, etc.), des discours sociaux ou politiques, des chansons populaires, etc

La méthodologie de travail de la présente étude est essentiellement basée sur une recherche documentaire. Elle a consisté essentiellement à l’exploitation des sources écrites. Elle a permis de nous imprégner du contenu des documents écrits sur les communautés africaines à l’époque précoloniale en général et sur les Bisanͻ en particulier.

II. Résultats de l’enquête

Cette partie aborde la situation géolinguistique et sociolinguistique de la langue bisa

2.1. Situation géolinguistique du bisa

La géolinguistique [ʒe.o.lɛ̃g.ɥis.tik], ou géographie linguistique est une branche de la linguistique qui étudie les emplacements où les langues sont utilisées. C’est aussi l’étude de la variation linguistique ou dialectale au niveau géographique. Selon S. Chaker (1998 :1), la géographie linguistique est

cette branche de la dialectologie qui s’occupe de localiser les unes par rapport aux autres les variations linguistiques, au sein d’une aire linguistique déterminée et de les cartographier.[…] de ce fait, la géographie linguistique suppose à la fois une excellente connaissance de la géographie et de l’histoire du territoire et une parfaite connaissance de la langue concernée, de ses structures et de ces points de variations potentiels

Au Burkina Faso, la langue nationale bisa est une langue vernaculaire ou grégaire qui se localise dans la zone comprise entre le 11° et 12° latitude nord et entre le 0° et 1° longitude ouest. La région est traversée par les fleuves Nazinon et Nakambé ainsi que le barrage de Bagré. « L’aire bisa occupe une superficie d’environ 12 000 km2 » (V. Bettie 1992 :13). Dans la Région du Centre-Est, le pays bisa correspond à la province du Boulgou dont le Chef –lieu est Tenkodogo. Il compte également treize (13) Départements qui sont : Bagré ; Bané ;Buéguédo ; Bissiga ; Bitou (ou Bittou) ; Boussouma ; Garango ; Komtoèga ; Niago ; Tenkodogo ; Zabré ; Zoaga ; Zonsé.

2.2. Situation sociolinguistique de l’aire bisa et appartenance de la langue au groupe mandé

M. Delafosse (1912), en s’appuyant sur les travaux de l’allemand Funcke (.J. Bernard, 1966, p.28), a rattaché les Bisanͻ en premier lieu aux populations gourounsi avant de se raviser plus tard. Il a soutenu que le groupe Gourounsi est divisé en Nioniosé, Nounouma, Sissala et Boussansé. Cette classification basée sur la situation géographique des Bisanͻ (ceux-ci vivant au milieu des peuples voltaïques) a conduit G. Lefrou (1943, p.383-384) à la même erreur.

A la suite de Delafosse, l’explorateur et linguiste allemand Gérard Adolf Krause, en 1923, se fonde sur la ressemblance du système numérique des Busansé avec celui des Boko ou des Busa pour déduire leur appartenance aux populations mandé. Il est d’ailleurs le seul explorateur « qui a voyagé de Salaga à Ouagadougou en passant par le pays "busanga" » via Zourma en 1887 (J. Kawada, 2002, p.199).

Un an plus tard, soit en 1924, L. Tauxier (1924, 206p) aboutit à la même conclusion que Krause. Il faut noter que l’administrateur Tauxier a consacré une notice aux « Boussancé » de la résidence de Tenkodogo. Dans cette notice, il réfute l’idée selon laquelle les Bisanͻ font partie du groupe gourounsi. Il les rattache au groupe mandé.
Prenant en compte les résultats de Krause, Delafosse et Tauxier, le révérend Père André Prost, qui a séjourné à Garango (de 1932 à 1942) pour des œuvres missionnaires, confirme l’appartenance des Bisanͻ au groupe mandé. A la différence de ses prédécesseurs, Prost relève une distinction sur la base de la désignation du chiffre dix entre le mandé-bou (bou désignant dix) ou mandé sud et le mandé-tan (dix se disant tan) ou mandé nord. Dès lors, il établit la parenté linguistique entre les Bisa, Busa et Samo en tirant cette conclusion : « Samo—Boussansé-Boussa sont trois langues soeurs, on pourrait même dire trois dialectes de la même langue » (A. Prost, 1945, p.49).

Après avoir mis fin au débat sur l’appartenance linguistique des Bisanͻ au mandé sud, le Révérend père André Prost a identifié au sein de la langue bisa dès 1950 deux principaux dialectes à savoir le barka et le lébri (J. Bernard, 1966, p.20). Quant à R. Hidden (1986, 53p) et T. F. Zigané (1996, p.52-56), ils font mention de quatre groupes dialectaux à savoir : le Leren, le Gorminen, le Lebirin et le Barkan.
P. Malgoubri (2001, p.306) ne partage pas ce point de vue. Dans « Esquisse dialectologique bisa », il note des légères nuances entre les quatre dialectes et affirme l’intercompréhension entre ces dialectes. C’est ainsi qu’il est d’accord avec la division bipartite faite depuis Prost. Il distingue donc d’une part, les dialectes principaux (Barka et Lebri) et d’autre part, les dialectes secondaires (Lere et Gorminé).

2.2.1. La situation linguistique du bisa

Le bisa appartient au groupe mandé, notamment au sous-groupe mandé sud. A. Batiana et al. (2006:9) distinguent deux grandes zones dialectales : le barka et le lebir. Le barka qui se subdivise en deux variétés bien distinctes : le barka et le gormine. Le lebir qui connait également deux variantes : le lebir et le lere. Le barka et le lebir sont donc les deux entités dialectales du bisa à l’intérieur desquelles existe une intercompréhension.

Le lebir appelé aussi dialecte de l’ouest est parlé dans les départements de Gomboussougou et de Zabré. Quant au barka ou dialecte de l’est, il est parlé dans les départements de Garango et de Tenkodogo. Le bisa fait partie des langues décrites et enseignées au Burkina Faso. La langue présente les caractéristiques suivantes :

 Caractéristiques phonologiques

Tableau I : les consonnes du bisa

Pierre Malgoubri (2001, page 303)

Selon P. Malgoubri (2001 :33), les voyelles bisa sont subdivisées en voyelles tendues et en voyelles lâches en fonction de l’harmonie de tension selon les tableaux suivants :

Tableau II : voyelles +ATR (voyelles tendues) du bisa

Pierre Malgoubri (2011, page 303)

Tableau 3 : voyelles-ATR (voyelles lâches) du bisa

Pierre Malgoubri (2001, page 303)

 Caractéristiques syntaxiques
L’énoncé en bisa comporte deux termes : un sujet et un verbe ou un syntagme nominal (SN) + un syntagme verbal (SV). Nous pouvons aussi avoir un énoncé de type : SN+SV+SN.

II. Discussion

Sur le plan sociolinguistique, des débats contradictoires sur le nombre de dialectes du bisa ont préoccupé plusieurs auteurs. En effet, B. Vanhoudt, (1992), énonce deux dialectes du bisa : le barka et le lebir. Cependant, pour Armelle Faure (1996), le bisa comprend trois dialectes : le gormine, le lebir et le barka. Toutefois, c’est le dialectologue P. Malgoubri (2001) qui apporte plus de précision à cette polémique. Car, l’auteur distingue d’une part, les dialectes principaux du bisa qui sont le Barka et le Lebri et d’autre part, ses dialectes secondaires tels que le Lere et le Gorminé. Ainsi, il distingue quatre (04) dialectes du bisa qui sont :

• Le lebir ou lebri, localisé à Niaogho et Komtoεεga ;
• le gorminé localisé à Bittou ;
• le lere localisé à Zabré et Gomboussougou ;
• le barka localisé à Garango.
Aussi, dans une étude plus récente sur la « Numération et calcul mental bisa barka », O. Lingani (2017) identifie et confirme le lere comme quatrième dialecte du bisa.
Le « pays bisa » a une organisation sociale bien structurée et une culture très riche (A-M. Duperray, 1978) et (A. Daboné, 2016).

Conclusion

La langue bisa est du groupe mandé bien loin des autres langues mandé au regard de sa situation géographique. C’est une langue qui a été enrichie à travers le brassage culturel des autres groupes ethnolinguistiques. Par ailleurs, après de nombreuses études contradictoires, les chercheurs s’accordent sur quatre dialectes de la langue : Le lebir ou lebri ; le gorminé ; le lere ; le barka.

BATIONO Zomenassir Armand
CNRST/INSS/DLLN, Ouagadougou-Burkina Faso
zomenassir@yahoo.fr

DABONE Alain
CNRST/INSS/DSJPH, Ouagadougou-Burkina Faso
alaindabone01@gmail.com
CONGO Aoua Carole CNRST/INSS/DLLN, Ouagadougou-Burkina Faso carole_bac@yahoo.com

Référence bibliographique

Pour les archives

ANBF , 27V28, 27V76 et 27V96 : Ministère de l’Administration Territoriale et la Sécurité (MATS)
ANBF, 36V14 : Recensement général de la population en décembre 1975.
ANBF, 27V28 : Carnets signalétiques des chefs de cantons de Garango (1935) et de Beguedo(1960)
ANBF, 27V76 : Carnet signalétique du chef de canton de Gon-Boussougou
ANBF, 27V76 : Carnets signaletiques des chefs du canton de Komtoega (1935, 1947 et 1948)

Pour les ouvrages généraux

Batiana André, 2006, Comportement langagier et représentation linguistique en milieu plurilingue ; cas de la
communauté Lyélé à Ouagadougou, Dans les travaux des Enseignants du département de linguistiques, 25e anniversaire du 29 avril au 1er mai 1999, pp.1-8, Ouagadougou.
Boyer Henri, 1991, Langues en conflit. Etudes sociolinguistiques, l’Harmattan, Paris, 274p

Boyer Henri (éd.), 1996, Sociolinguistique, territoire et objets, Delachaux et Niestlé, Paris, Bruno Maurer. p. 204-
207.
Delafosse Maurice, 1912, Le Haut Sénégal-Niger, Tome1, Le pays, les peuples, les Langues, Maisonneuve-
Larose, Paris, 428p

Faure Armelle, 1996, Le pays bisa avant le barrage de Bagré. SEPIA- A.D.D.D, Paris- Ouaga, 311 p.
Hidden Ruud. W.H, 1986, The tones of monosyllabic nouns in the associative construction in Bisa, Department of
african linguistics, University of Leiden, 53p.
Jean Bernard Odette, 1966, Les Bisa du cercle de Garango, Etudes voltaïques n°2, CVRS, Ouagadougou ,252p.

Kawada Junzo, 2002, Genèse et dynamique de la royauté, Les Mossi méridionaux (Burkina Faso), L’Harmattan,
Paris, 396p.
Lahuec J. Paul et Marchal J. Yves, 1979, La mobilité du peuplement bisa et mossi, ORSTOM, Paris, 146p.

Lefrou Gaston, 1943, Le Noir d’Afrique, Paris, Payot, 212p.
Perrot C. Hélène, sous dir, 2000, Lignages et territoires en Afrique aux XVIIIet XIX siécles, stratégies,
compétition, intégration, paris, karthala, 226p.
Pottier Bernard, 1970, L’ethnolinguistique. (Ed. Bernard Pottier). Langage, Paris, N°18, 13p.
Tauxier Louis, 1924, Nouvelles notes sur le Mossi et le Gourounsi, Emile Larose, Paris 208p.

Pour les articles

Chaker Salem, 1998 « Géographie linguistique », Encyclopédie berbère, 20, p. 3059-3061.
Fribourg Jeanine, 1978, « Vers l’ethnolinguistique. La Linguistique », PUF, Vol. 14-. Fasc. 2, pp.103-116.
Malgoubri Pierre, 2001, « Esquisse dialectologique bisa », in Cahiers du CERLESHS, N° spécial, Actes du
colloque universitaire de la coexistence des langues en Afrique de L’Ouest, pp : 300-323.
Prost André, 1945, « Notes sur les Boussansé », in Bulletin de l’IFAN, T.VII, n°1-4, Paris, pp : 47-53.

Pour les mémoires de maîtrises
Lingani Oumar, 2017, Numération et calcul mental bisa barka. Mémoire de maîtrise. Département de Linguistique.
UFR/LAC, Université de Ouagadougou, 117p.

Massimbo Tobignaré, 1991, La métallurgie ancienne du fer dans la région de Boussougou, (Province du
Zoundwéogo, Burkina Faso), mémoire de maîtrise, Université de Ouagadougou, IN.S.HU.S, département d’Histoire et Archéologie, 124p.

Pour les rapports de DEA et de Masters

Dabone Alain, 2016, Approche historique de Garango (province du Boulgou) : des origines à 1897, mémoire de
master, Université Ouaga I /Pr Joseph Ki-Zerbo, département d’Histoire et Archéologie, UFR/SH, 145p.

Pour les thèses

Bayili Emmanuel, 1983, Les populations Nord-Nuna (Haute-Volta) : Des origines à 1920, Thèse de troisième cycle,
Paris I, 422p.

Duperray Anne Marie, 1978, Le pays gourounsi de Haute-Volta : Conquête et colonisation 1896-1933, Thèse de 3é
cycle, Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales, 379p.
Gomgnimbou Moustapha, 2004, Le Kasongo (Burkina Faso-Ghana) des origines à la conquête coloniale, Thèse de
doctorat d’Etat en Histoire, Université de Lomé, 558p.

Vanhoudt Béttié, 1992, Description du Bisa de Zabré : Langue mandé du groupe Sud-Est, Université Libre de
Bruxelles, Faculté de philosophie et lettres, Thèse, 548p.
Zigané Tobisigna Francis, 1996, Les Bisano et la mort. Idéologie funéraire au Burkina Faso, Thèse de doctorat
unique en Anthropologie et Sociologie comparée, Université ParisV, 2 tomes, 868p.

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