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Financement du développement local au Burkina Faso : Le Dr Wendnonghen Marc Zongo propose une approche basée sur les potentialités de chaque localité

Publié le mardi 26 septembre 2023 à 23h00min

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Financement du développement local au Burkina Faso : Le Dr Wendnonghen Marc Zongo propose une approche basée sur les potentialités de chaque localité

Avec cette tribune, Dr Wendnonghen Marc Zongo, spécialiste en gouvernance / gestion du développement local et international, espère contribuer à alimenter la réflexion sur les alternatives possibles en matière de promotion d’un véritable développement endogène au Burkina Faso par l’entrepreneuriat, surtout dans la perspective de l’ère post-terrorisme.

Depuis quelques années, le Burkina Faso est engagé dans une dynamique de développement social et économique endogène. Dans la tribune qui suit et, à l’occasion de l’an 1 du MPSR 2, le Dr Wendnonghen Marc ZONGO apporte sa réflexion concernant les initiatives entreprises dans ce sens. Il propose, entre autres, une approche intégrée et basée sur les potentialités de chaque localité tout en prenant en compte la contribution du milieu universitaire. Il s’agit de la première d’une série que le Dr ZONGO propose au lectorat de leFaso.net en vue de contribuer à la marche du pays des Hommes intègres résolument tourné vers une ère post-terrorisme.

Le MPSR 2 et la promotion de l’entrepreneuriat au Burkina Faso

L’avènement du MPSR2 au pouvoir le 30 septembre 2022 est marqué par un intérêt croissant pour le développement endogène, c’est-à-dire un développement promu et entretenu par les burkinabè eux-mêmes et pour eux-mêmes et qui se base sur les innombrables ressources humaines, techniques et matérielles du pays. L’un des faits saillants de cette dynamique est sans équivoque l’entrepreneuriat communautaire qui mobilise toutes les forces vives du pays.

La mobilisation globale des citoyens de l’intérieur du pays et de la diaspora se traduit par un succès dans la collecte des ressources qui permettront de financer le développement dès maintenant et surtout pour les années à venir. Plusieurs secteurs d’activités sont concernés par l’entrepreneuriat communautaire. Il s’agit par exemple de l’extraction minière, ainsi que de la transformation et de la commercialisation des produits agricoles.

Notons aussi que d’autres initiatives sont en cours afin de soutenir ce développement endogène. Il s’agit principalement du financement de l’entrepreneuriat des jeunes, auquel nous nous intéressons dans cette tribune. Nous parlons des jeunes car ils constituent une frange importante de notre pays (70% de la population) certes, mais nous ne limitons notre pensée à cette catégorie. Nous pensons également aux femmes, aux filles et à toutes les autres couches sociales qui sont au cœur des priorités du Gouvernement de la Transition.

Le financement de l’entrepreneuriat des jeunes

Le financement de l’entrepreneuriat des jeunes a constitué de tous les temps un cheval de bataille pour plusieurs régimes successifs au Burkina Faso. Et pour cause, nous pouvons citer une panoplie d’organismes gouvernementaux créés à cet effet et qui ont traversé le temps. Sans être exhaustifs, nous pouvons citer le Fonds national de la recherche et de l’innovation pour le développement (FONRID), l’Agence pour la promotion de l’entrepreneuriat communautaire (APEC), le fonds d’appui aux activités rémunératrices des femmes (FAARF), le Fonds burkinabè de développement économique et social (FBDES) ou encore le Fonds d’appui aux initiatives des jeunes (FAIJ). À ceux-là s’ajoutent les Organisations non gouvernementales (ONG). Certains organismes sont récents (par exemple le FAIJ créé en 2007 et l’APEC créée en 2023), tandis que d’autres sont moins récents (par exemple le FAARF créé en 1990 et le FBDES créé en 1998).

L’ensemble de ces organismes et de ces ONG apporte, soit directement ou soit indirectement, des ressources financières aux promoteurs, et chaque organisme a son public cible, ses modalités d’accompagnement et ses principes. Notons aussi que certains sont financés ad intra, c’est-à-dire à travers des ressources financières collectées par les burkinabè eux-mêmes, tandis que d’autres sont financés ad extra, soit à partir de conventions de financement qui lient l’État à des bailleurs de fonds étrangers.

Le problème de pérennité des projets

Si ces organismes de financement et d’accompagnement ont permis de mobiliser d’importantes ressources financières au profit de l’entrepreneuriat des jeunes, force est de reconnaitre que plusieurs failles sont observables. L’une des failles notables est liée à la pérennité des projets financés. De fait, si plusieurs projets ont pu se pérenniser, cela ne semble pas être le cas pour une bonne partie d’entre eux. Plusieurs raisons peuvent expliquer cet échec.

Il s’agit notamment du manque d’encadrement en matière de gouvernance ou encore du manque de débouchés pour les néo-entrepreneurs. En effet, plusieurs entreprises créées sont parfois obligées de compter sur les marchés publics, l’État étant le plus souvent le principal client pour beaucoup d’entreprises. En conséquence, celles qui sont moins compétitives sont de facto exclues par la concurrence et elles sont vouées à disparaitre car ayant peu ou pas d’alternatives.

Une autre raison de l’échec mentionné semble être la centralisation des projets au niveau des grands centres urbains ou de pôles économiques, au détriment de certaines périphéries qui, bien souvent disposent de ressources naturelles sur lesquelles elles peuvent envisager leur développement.
La valorisation des ressources locales pourrait pourtant contribuer à une plus-value en termes d’employabilité et de réduction de la pauvreté. Abstraction étant faite de l’insécurité, l’inexistence d’infrastructures routières ou leur mauvais état dans certaines localités peut expliquer ce délaissement, surtout en période hivernale.

Le succès des différentes initiatives de financement en cours et à venir de l’entrepreneuriat – pour ne pas dire le développement endogène – semble devoir passer, non seulement par l’amélioration des infrastructures routières, mais surtout par l’élaboration d’un schéma harmonisé de développement axé sur les ressources propres à chaque localité. Chaque localité disposant de ressources qui la distinguent des autres localités, la mise en place de ce schéma devrait contribuer à un développement local inclusif, ce qui contribuerait également à réduire les inégalités entre les régions.

Par la présente, nous ne souhaitons pas remettre en cause les acquis engrangés à travers les stratégies de développement passées et en cours en matière de promotion de l’entrepreneuriat. Nous ne souhaitons pas non plus occulter ou remettre en cause la contribution remarquable du système universitaire au développement de notre pays en matière de développement. Notre but est de contribuer à alimenter la réflexion sur les alternatives possibles en matière de promotion d’un véritable développement endogène au Burkina Faso par l’entrepreneuriat, surtout dans la perspective de l’ère post-terrorisme. Nous savons donc compter sur l’indulgence du lectorat dans l’éventualité où certains termes pourraient être jugés inappropriés.

Élaborer et mettre en place un schéma harmonisé pour la promotion de l’entrepreneuriat au Burkina Faso à travers la prise en compte des potentialités de chaque localité

Le schéma harmonisé de financement de l’entrepreneuriat au Burkina Faso dont nous suggérons la mise en place à partir des potentialités de chaque localité peut être articulé autour de deux actions phares. La première action phare serait d’élaborer une cartographie des ressources spécifiques à chaque localité du pays. Cette cartographie permettra d’orienter les actions de financement de l’entrepreneuriat des différents organismes à partir de cette cartographie. En ce qui concerne la seconde action phare, elle est une conséquence de la première action, en ce sens qu’elle consiste à réorganiser le financement de l’entrepreneuriat en fonction des potentialités de chaque localité.

Cette seconde action suppose la décentralisation des structures nationales de financement et l’orientation des structures de financement internationales (les ONG) en fonction de ces potentialités. En clair, les actions des structures, qu’elles soient locales ou étrangères en matière de promotion de l’entrepreneuriat devraient s’intégrer dans le schéma établi.

Cette réorganisation devrait permettre de ‘‘fixer’’ les jeunes dans leurs propres localités, par la génération d’emplois décents et de lutter ainsi contre l’exode rural. Ainsi, chaque région se verra mieux valorisée car pouvant envisager son propre développement en fonction de ses réalités sociales, économiques et culturelles. Cela devrait conduire à la mise en place de pôles de développement locaux qui pourront être fédérés aux niveaux provinciaux ou régionaux.

Le processus de sélection et de financement

Dans une logique d’interdépendance vertueuse et de complémentarité avec les initiatives en cours tels que les pôles de croissance et les projets financés par le truchement de l’actionnariat populaire, nous proposons le processus de sélection de projets ci-dessous. Basé sur la rigueur et la transparence, il est articulé autour des principaux points suivants :

a) Les jeunes bénéficient de formations en montage de plan d’affaires et en recherche de financement pour des projets spécifiques aux potentialités de leurs localités ;
b) Ces jeunes sont constitués en groupes de 2 à 5 personnes ;
c) Chaque groupe élabore un projet en suivant un canevas établi par un comité technique préalablement mis en place ;
d) Un concours annuel est organisé dans chaque localité afin de sélectionner les meilleurs projets à financer ;

e) Les projets à financer sont choisis dans une logique de complémentarité et d’interdépendance, de sorte à créer une chaine de valeur. Par exemple, la sélection d’un projet de production de mangues devrait être couplée à celle d’un projet de transformation de mangues, d’un projet de marketing et d’un projet de commercialisation du produit fini, ainsi que d’un projet de transport de cette denrée. Cette chaîne de valeur devrait permettre aux projets sélectionnés de se soutenir mutuellement et d’assurer leur survie dans leurs premiers moments d’existence, tout en permettant de créer des unités spécialisées dans des domaines précis, le tout pouvant faciliter la fluidité du processus d’un bout à l’autre de la chaîne.
f) Les projets qui n’auront pas été sélectionnés pourront constituer un bassin d’entreprises en incubation où ils pourront se perfectionner en vue des concours à venir.

g) Le financement est octroyé sur la base d’un prêt dont les modalités sont définies par les instances compétentes en la matière en tenant compte des critères de viabilité à court, à moyen et à long terme ;
h) Les jeunes entrepreneurs participent régulièrement à des formations ponctuelles sur divers sujets d’intérêt en lien avec l’entrepreneuriat ou d’autres sujets d’intérêts comme la gouvernance d’entreprise, l’économie sociale et solidaire, le bien commun ou encore la solidarité à l’africaine (l’Ubuntu) ;
i) Une plateforme numérique est mise en place pour faciliter une meilleure vulgarisation de la démarche ;

j) Les projets financés dans chaque localité sont constitués en réseaux ;
k) Le réseau des entreprises créées dans chaque localité est mis en relation avec les autres réseaux des autres localités ;
l) Chaque projet financé et chaque réseau local créé sont mis en relation avec le monde universitaire en vue d’être soutenu par la recherche et dans la logique d’une amélioration continue et d’une capitalisation des acquis.
m)

Le rôle crucial des universités dans la démarche

Nous nous attardons sur ce dernier point que nous estimons digne d’intérêt pour ce qui suit. Le développement de certaines régions du monde est fortement attribuable à l’étroite collaboration entre les principaux secteurs socioéconomiques comme la santé, l’éducation, la science et l’agriculture, d’une part, et les universités, d’autre part. La collaboration entre les universités et l’industrie fait d’ailleurs l’objet de plusieurs études (par exemple celle de Marc St-Pierre et Petr Hanel, 2005) . Cette collaboration est mutuellement avantageuse pour les deux parties, et entre les universités et la société de manière générale.

D’une part, la société constitue le terrain propice et par excellence pour réaliser la raison d’être des universités, celle-ci étant en partie la production d’une recherche actionnable. La recherche actionnable peut être perçue comme étant une recherche menée en fonction des besoins réels de la société et dont les résultats ont un incident direct sur l’amélioration des conditions de vie des populations, à travers notamment la proposition de solutions concrètes aux questions existentielles.

Cela suppose que les diplômés sont formés pour être avant tout sensibilisés sur les réalités de leurs propres milieux de vie et pour être au contact avec ces réalités et, pour ainsi dire, avec les forces et les fragilités des composantes de leur environnement immédiat. D’autre part et, en conséquence, la société voit dans les universités des structures crédibles qui, en plus de la production intellectuelle et scientifique, sont soucieuses du Bien Commun. La crédibilité de tout système universitaire semble donc dépendre avant tout de cela.

Le système universitaire au Burkina Faso

Le système universitaire du Burkina Faso a fait ses preuves en termes de recherche actionnable. En témoignent les forums organisés çà et là en vue de restituer les trouvailles de nos chercheurs. En partant de la machinerie agricole aux foyers améliorés sans oublier la production des semences améliorés, des évènements comme le Forum de la recherche scientifique et des innovations technologiques (FRSIT) en disent long sur la capacité du système universitaire burkinabè à proposer des solutions concrètes aux besoins de nos concitoyens.

Mais malgré cela, certains constats invitent à faire davantage. Par exemple, il n’est pas rare de constater que, même après plusieurs années de formation universitaire, des diplômés de certaines facultés soient incapables de dire avec conviction ce qu’ils sont capables de faire sur le terrain. Cela semble pour le moins paradoxal pour un pays qui dispose de tant de ressources naturelles et où tout est à construire.

Le chômage endémique qui affecte la frange jeune de la population en Afrique, en général, et au Burkina Faso, en particulier, n’est que la conséquence directe et inéluctable de certains systèmes de formation qui sont en déphasage avec la réalité de nos sociétés. La réforme de notre système de formation tant réclamée par les observateurs revêt donc une importance particulière, surtout dans la dynamique de refondation de notre État en cours.

Par exemple, comment peut-on comprendre que les diplômés de certaines facultés aient une parfaite maîtrise des grandes organisations financières internationales sans pour autant être capables de constater qu’il y a, dans les quartiers, de petits entrepreneurs (qui sont parfois même leurs parents) et qui ont besoin d’un minimum d’accompagnement afin de mieux gérer leurs trésoreries ? Si la connaissance de ces institutions est importante, il n’en demeure pas moins pour celle relative aux promoteurs des micro-entreprises qui sont parfois aux prises avec des difficultés de gestion et à qui nous devons notre scolarisation.

La connaissance du milieu socio-économique, et surtout des difficultés que rencontrent nos concitoyens entrepreneurs devrait à notre avis constituer une priorité pour les étudiants, car ce sont ces derniers qui doivent leur apporter des solutions concrètes.

Améliorer la collaboration entre les universités et les entreprises

Pour pallier cela, nous proposons que les entreprises qui seront financées soient de facto mises en relation avec les universités, plus précisément avec les facultés qui traitent des domaines d’intervention de ces entreprises. Cela permettra aux étudiants d’avoir des terrains pour mettre en pratique et adapter leurs connaissances théoriques et pour apporter ultimement des solutions aux problèmes organisationnels rencontrés par ces entreprises. Pour ces dernières, elles bénéficieront de l’expertise du monde de la recherche et leurs acquis seront capitalisés en vue de renforcer leurs performances des initiatives à venir.

En résumé

Le Burkina Faso est engagé dans un processus de refondation. La mise en place d’un système économique viable et inclusif semble constituer un aspect névralgique de ce processus, surtout la prise en compte des aspirations profondes des jeunes. Celles-ci peuvent se résumer en la quête d’une meilleure qualité de vie et le sentiment d’être utile à la Nation.

La promotion d’un entrepreneuriat basé sur la rigueur et la transparence et qui garantit à chaque jeune la possibilité d’innover et de mettre ses talents au service de sa localité et de la Nation peut être le gage d’une prise en compte de ces aspirations profondes. Ce n’est qu’à cette condition que la jeunesse burkinabè pourra être réellement le ‘’présent’’ (c’est-à-dire un cadeau), non seulement pour aujourd’hui, mais aussi et surtout pour demain.

Wendnonghen Marc ZONGO, DBA, spécialiste en gouvernance / gestion du développement local et international.

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