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Réponse humanitaire au Burkina : Roukiatou Maïga, l’amazone qui redonne espoir aux personnes déplacées internes à Dori

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Publié le lundi 21 août 2023 à 20h10min

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Réponse humanitaire au Burkina : Roukiatou Maïga, l’amazone qui redonne espoir  aux personnes déplacées internes à Dori

Avec 501 961 Personnes déplacées internes (PDI) à la date du 31 mars 2023, le Sahel est la région qui accueille le plus grand nombre de PDI au Burkina Faso, estimées à 2 062 534. Hommes, femmes et enfants affluent de différentes communes en direction de Dori, espérant y trouver un refuge plus sûr. Parmi les bonnes volontés qui s’échinent à offrir de l’espoir à ces populations, il y a Roukiatou Maïga. Cette quinquagénaire, à la tête de la coopérative Djam Weli (la paix est bonne, en fulfulde), œuvre depuis 2018, à offrir un refuge et une lueur d’espoir aux milliers de déplacés venus du Soum. Par son hospitalité, elle offre une nouvelle chance à ceux et celles qui ont tout perdu. Portrait

Roukiatou Maïga. Retenez bien ce nom. Son histoire doit être contée aux enfants et aux adultes. Des héros sans cape ni super-pouvoirs, il en existe au Burkina Faso. Mais, ils ne sont pas toujours portés sur le grand écran. Roukiatou Maïga est de la trempe de Karim Zouma, cet agent de l’action sociale qui a répondu à l’appel de la patrie et qui porte encore les cicatrices d’une attaque contre un convoi humanitaire devant ravitailler la commune de Koutougou en juillet 2019.

Communauté. Ce mot résume bien la vie de Roukiatou Maïga. Une vie au service des autres, à travers des actes quotidiens empreints d’humanisme. Depuis 2018, le domicile de la quinquagénaire ne désemplit pas. Des Burkinabè contraints d’abandonner leurs foyers, leurs terres et leur bétail en raison de l’insécurité, frappent à sa porte, nuit et jour. La plupart d’entre eux viennent du Soum, province d’origine de Roukiatou Maïga, native de Arbinda.

À Lerbou, village situé dans la commune de Dori, des enfants reviennent du champ (Photo prise le 20 juin 2020)

Engagement personnel

« Quand ils arrivent à Dori, ils ne savent pas où aller. Je les reçois et je les accompagne plus tard à l’Action sociale pour qu’ils puissent être enregistrés. C’est ainsi que les services de l’Action sociale m’ont désignée comme point focal. Auparavant, avant que nous ne les référions à l’Action sociale, les PDI pouvaient rester chez moi pendant quatre ou cinq jours. Mais aujourd’hui, quand elles arrivent, nous leur trouvons de quoi se reposer, manger et boire et dès le soir, nous les présentons à l’Action sociale », indique Roukiatou Maïga.

Pendant deux ans, cette amazone de l’humanitaire a offert son aide de manière volontaire et personnelle aux personnes déplacées internes. Mais, à bout de souffle, elle a décidé, depuis 2020, de faire intervenir la coopérative Djam Weli qu’elle préside, dans la prise en charge des PDI. « Aujourd’hui, notre coopérative est engagée dans l’accueil, le référencement et la sensibilisation des PDI », atteste Roukiatou Maïga.

Une centaine de déplacés internes hébergés

Elle confie avoir offert gîte et couvert à une centaine de personnes depuis 2018. A la date du 10 août 2023, elle hébergeait seize personnes déplacées internes. « Ces personnes viennent du Soum. Seuls deux hommes et une femme sont originaires de Sampelga. Al Hamdoulillah. Je remercie Dieu car, avec l’aide des projets humanitaires, de l’Action sociale et des autorités locales, nous faisons de notre mieux pour répondre à la situation. Chaque fois qu’une personne est enregistrée, elle bénéficie d’une ration alimentaire. Certains déplacés que j’ai accueillis ont aujourd’hui une tente sur une parcelle qui leur a été attribuée. D’autres ont préféré rester avec moi. Nous associons leurs dotations de vivres à nos vivres pour la cuisine quotidienne », partage dame Roukiatou Maïga.

À l’image de Karim Zouma, agent de l’action sociale ayant reçu deux balles, une à la main gauche et une autre à la poitrine, Roukiatou Maiga

Aïcha ou les larmes de la résilience

Plutôt que de toujours donner du poisson aux PDI, Roukiatou Maïga et son équipe enseignent aux femmes à pêcher. Certaines d’entre elles font le nettoyage dans diverses structures telles que la salle polyvalente, l’université de Dori. D’autres se sont lancées dans la commercialisation de la farine de niébé et la saponification.

Originaire du Soum, Aïcha (nom d’emprunt) fait partie des femmes qui ont trouvé refuge auprès de Roukiatou Maïga et qui font sa fierté. Au décès de son époux, suite à une attaque terroriste, Aïcha ne savait plus à quel Saint se vouer. En l’absence de bras valides dans le village pour inhumer dignement son époux, elle s’est résignée à abandonner son corps en brousse, en prenant le soin de le recouvrir d’un pagne et de branchages. Puis, elle se réfugia à Dori, accompagnée de sa coépouse et de leurs huit enfants.

A son arrivée chez Roukiatou Maïga, son premier fils avait 16 ans et la plupart des autres enfants étaient tout petits et fragiles. « Aïcha n’avait jamais tenu une daba et ne savait que traire les vaches. Aujourd’hui, elle est passée maîtresse dans la saponification et cultive le niébé. Elle a inscrit deux de ses filles à l’école et un autre garçon suit des cours d’alphabétisation », témoigne dame Maïga.

Une femme déplacée interne portant son enfant au dos dans la ville de Fada N’Gourma

Un soutien de taille

Derrière chaque grande femme se cache un homme aimant. Roukiatou Maïga en est consciente et elle ne manque jamais une occasion pour rappeler à qui veut l’entendre qu’elle n’aurait jamais pu accomplir sa mission sans le soutien infaillible de son époux. « Lorsque je lui demande de m’accompagner tard la nuit pour aider des personnes déplacées internes, il répond toujours présent. Quel que soit le nombre de PDI dans notre cour, il ne se plaint pas du bruit qu’il peut y avoir. Il est à la retraite et m’est d’un grand soutien », affirme Roukiatou Maïga, épouse Sow.

Derrière son air débonnaire se cache une profonde douleur : celle engendrée par la perte de son fils aîné lors d’une attaque terroriste en 2020. Malgré cette épreuve déchirante, elle refuse de se laisser abattre. « Cela m’a motivée à aller de l’avant. Rien ne peut me détourner de mon objectif et de mon engagement. Si j’avais abandonné, je n’aurais pas eu l’opportunité d’apporter du réconfort à ces familles en quête de soutien », rappelle Roukiatou Maïga.

Selon Dramani Ouédraogo, il est rare de trouver des personnes altruistes de la trempe de Roukiatou Maïga

« …c’est rare de trouver de telles personnes »

L’ancien coordonnateur du projet « Un seul monde sans faim » de la Fondation Konrad Adenauer, Dramani Ouédraogo, reconnaît les valeurs intrinsèques de Roukiatou Maïga avec qui il a collaboré pendant de nombreuses années.

« Malgré sa santé assez fragile et les conditions d’insécurité, elle a fait le choix de demeurer et de se battre, afin de restaurer la paix au Burkina Faso et d’offrir aux femmes la dignité qu’elles méritent. Son engagement aussi est la preuve que les femmes participent aussi à la recherche de la paix au Burkina. Lorsqu’une femme s’engage, c’est une famille qui s’engage, c’est une commune et une Nation qui s’engagent. Elle est prête à tout faire pour les autres au détriment de ses propres intérêts. Dans le milieu associatif, c’est rare de trouver de telles personnes », témoigne Dramani Ouédraogo, résident au Luxembourg, joint via WhatsApp.

Un gamin l’air pensif dans le village de Lerbou, lors d’une séance de sensibilisation de la coopérative Djam Weli

Co-lauréate du prix Nansen pour les réfugiés, édition 2021

Le 5 juillet 2022, la compassion et le dévouement de Roukiatou Maïga ont été officiellement reconnus par le Haut-commissariat des Nations-unies pour les réfugiés (UNHCR), qui lui a décerné le prestigieux prix Nansen pour les réfugiés, édition 2021. Elle a été co-lauréate du prix avec son compatriote Diambendi Madiega, chef du village de Bollé dans la région du Centre-Nord. Ce dernier est également connu pour avoir accueilli des centaines de personnes déplacées internes dans la ville de Kaya

Selon le HCR, ce prix est décerné chaque année aux personnes dans le monde, qui se sont surpassées par leur travail et leur dévouement pour aider et soutenir la prise en charge des réfugiés, des déplacés internes et des personnes apatrides.

Roukiatou Maïga, lors de la remise du prix Nansen par le HCR, le 5 juillet 2022 à Ouagadougou

Engagement pour l’autonomisation des femmes

L’engagement de Roukiatou Maïga dans le domaine communautaire trouve ses racines depuis les années 80. A l’adolescence, elle perd ses parents coup sur coup, à deux jours d’intervalle (vendredi et dimanche), en 1984. Après un échec à l’examen du Brevet d’études du premier cycle (BEPC), elle décroche de l’école.

Quelques années plus tard, elle croise le chemin de l’homme qui deviendra son époux : un agent technique d’agriculture. Elle l’accompagne partout où ses responsabilités le conduisent. Au fil des déplacements du couple à travers les villages du Soum et du Séno, six en tout, Roukiatou Maïga met sur pied des groupements de femmes.

« J’ai remarqué que mon mari collaborait exclusivement avec des groupes masculins ou mixtes. Les groupes féminins étaient absents. J’ai simplement suivi son exemple en rassemblant les femmes, dialoguant avec elles pour voir ce que l’on pouvait faire dans le domaine de l’agriculture et de la préservation de l’environnement », explique-t-elle.

Roukiatou Maïga et le chef du village de Bollé, Diambendi Madiega (assis) posant avec les responsables du système des Nations-Unies

Le warrantage pour sécuriser et valoriser les récoltes

En 2011, elle fonde « Djam Weli » à Dori, un groupement qui se transformera en coopérative simplifiée en 2018. Partant d’un noyau de trente femmes, ce groupe s’engage dans la promotion du niébé. Initialement centrées sur la culture et la vente de cette légumineuse, les activités évoluent avec le temps vers la transformation et la mise en œuvre du warrantage avec le soutien de la Fondation Konrad Adenauer.

Le warrantage a permis aux membres de la coopérative d’acquérir une autonomie financière, ce qui a notamment aidé entre autre à la prise en charge des déplacés internes. Il s’agit d’un système qui permet à la coopérative de contracter un prêt auprès d’une institution de microfinance en garantissant une partie de leur stock de niébé. Le crédit qui est obtenu est utilisé pour entreprendre des activités génératrices de revenus (embouche bovine, transformation du niébé et autres petits commerces) en attendant un meilleur moment où les prix des céréales seront un peu élevés.

Malgré la perte de son fils aîné dans une attaque en 2020, Roukiatou Maïga n’a pas lâché prise

Cinq à six mois plus tard, la production de niébé mise en garantie est revendue pour rembourser le prêt. « Le warrantage nous a été bénéfique, car les prêts contractés nous ont permis de mener des activités génératrices de revenus et en plus, la vente du niébé à une période où il se fait rare sur le marché nous a permis d’engranger des bénéfices. Nous avons toujours remboursé les crédits empruntés avant l’échéance fixée par les institutions de microfinance. Le dernier crédit, 2 700 000 francs CFA, accordé par une IMF de la place, a été remboursé au bout de 8 mois », foi de Roukiatou Maïga.

Lors d’une séance de sensibilisation des populations de Dori sur les droits fonciers des femmes à proximité du domicile de Roukiatou Maïga

Quand l’insécurité plombe les activités

Mais voilà ! Ça fait deux ans que Roukiatou et les membres de la coopérative n’ont pas pratiqué de warrantage à cause de l’insécurité.

« Il est vrai que nous cultivons le niébé, mais nos récoltes ne sont plus abondantes. Nous ne pouvons plus aller au-delà de l’École nationale des enseignants du primaire qui est à moins de 5 kilomètres. Le champ collectif que nous exploitons, généreusement mis à notre disposition par l’époux d’une de nos membres, est situé à Yakouta, à 12 kilomètres de notre lieu de résidence. Cependant, en raison des menaces pour notre sécurité, nous ne nous rendons plus sur ce terrain. À présent, chaque membre de la coopérative cultive sa propre parcelle, mais à la fin de la saison, nous rassemblons nos récoltes », laisse entendre Roukiatou Maïga.

Dans le cadre de leurs activités sur le warrantage, la coopérative Djam Weli est venue apprendre de l’expérience d’une autre coopérative à Bani

Apprendre à compter sur ses propres forces

Même si l’insécurité entrave actuellement les activités de la coopérative, sa présidente ne baisse pas les bras. Si elle avait l’occasion de s’entretenir avec le président de la transition, le capitaine Ibrahim Traoré, elle lui ferait part de sa préoccupation qui est le retour des personnes déplacées sur leurs terres. En tant qu’ancienne membre des Comités de défense de la révolution (CDR), elle souhaite ardemment que les autorités burkinabè viennent en aide aux personnes déplacées internes afin qu’elles puissent retrouver leur autonomie. « Nous avons toujours tendu la main, et c’est cette attitude qui maintient le Sahel à la traîne », déplore Roukiatou Maïga, tout en exprimant le vœu profond que l’insécurité ne soit bientôt qu’un lointain souvenir pour les 20 millions de Burkinabè.

Herman Frédéric Bassolé
hermanbassole04@gmail.com
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