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Analyse des pratiques pédagogiques des animateurs dans quelques centres de la stratégie de scolarisation accélérée au Burkina Faso

Publié le samedi 18 février 2023 à 21h06min

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Dans plusieurs pays du monde, dont le Burkina Faso, de nombreux enfants scolarisables se retrouvent encore hors de l’école. Autrement dit, l’éducation pour tous (EPT) demeure encore un grand défi. Cette situation dépend de plusieurs facteurs tels que la forte croissance démographique, la faiblesse des indicateurs économiques, l’insuffisance de l’offre éducative, la pauvreté des ménages, les troubles sociopolitiques, l’insécurité, etc.

Le Burkina Faso, avec une population de près de 20,5 millions d’habitants, selon les données du recensement général de la population et de l’habitation de 2019 (INSD, 2020), connaît un taux brut de scolarisation de 84,3% au primaire et un taux d’alphabétisation de 34,7% (MENAPLN/DGESS, 2020). Aussi, diverses actions sont menées par l’Etat et ses partenaires financiers, pour l’amélioration quantitative et qualitative de l’offre d’éducation de base. Par exemple, à l’instar du Mali et du Niger, le Burkina Faso expérimente depuis 2006, la stratégie de scolarisation accéléré ou passerelle (SSA/P), une formule éducative qui a pour public cible, les enfants non scolarisés et les déscolarisés précoces de 9 à 12 ans. La SSA/P est l’œuvre de la Fondation Stromme, une organisation non gouvernementale (ONG) norvégienne et d’autres partenaires. A l’issue d’une année scolaire, les élèves sont transférés dans les écoles classiques au cours élémentaire deuxième année (CE2) ou, à défaut, dans des classes inférieures, selon les moyennes obtenues par ces élèves.
Ainsi, de 2017 à 2019, selon les données compilées des rapports des sessions annuelles du comité de pilotage, le Burkina Faso a enregistré respectivement 248 centres pour 5203 élèves transférés au classique, 402 centres pour 8330 élèves transférés et 596 centres pour 12 619 élèves ayant pu rejoindre l’école classique.
Toutefois, à la lumière des résultats du deuxième rapport final d’évaluation, la majorité (54%) des élèves de la SSA/P transférés, rencontre des difficultés d’assimilation des enseignements dans les écoles classiques, et n’échappe pas aux redoublements de classe (Kébédé, 2018, p.28).
Cette situation nous interpelle. C’est pourquoi, nous avons choisi d’enquêter sur les pratiques d’enseignements dans quelques centres de la SSA/P, en particulier, les pratiques d’enseignements du français, une discipline qui impacte, toutes les autres matières. L’objectif visé est l’amélioration des pratiques pédagogiques dans les centres et la réduction des difficultés d’assimilation des élèves, après leurs transferts dans les écoles classiques.
Le présent article présente donc, la méthodologie suivie, la synthèse des résultats d’enquête et quelques suggestions, en vue de l’amélioration globale des pratiques pédagogiques des animateurs dans les centres de la SSA/P.

2. Méthodologie / Matériel et Méthodes

Pour cette étude, nous avons opté pour une recherche qualitative sur les pratiques des animateurs et celles des élèves au cours des apprentissages, au regard des multiples théories sur les déterminants pédagogiques. Notre échantillon aléatoire de seize (16) participants comprenait cinq (5) animateurs (1 par centre), dix (10) élèves (2 par centre) et un superviseur (01) des centres, dans la commune de Boussouma, province du Sanmentenga (Kaya). Le choix de cette zone a été dicté par le fait que la stratégie y est mise en œuvre depuis 2009. Une grille d’observation non participante et des guides d’entretiens individuels ont servi à la collecte des données. Chaque outil de collecte comprenait des rubriques sur les généralités, la gestion didactique des contenus, la gestion du temps et des tâches pédagogiques, la participation des élèves aux activités. Compte tenu de la diversité des participants à l’enquête et dans le but de garder l’anonymat, nous avons affecté à chaque enquêté, un code, selon son profil. Ainsi, pour les entretiens, les codes sont ANF1 à ANF5 pour les animateurs, APF1 à APF10 pour les élèves et SUP pour le superviseur des centres. Pour l’observation directe, les codes sont OBS1 à OBS5. Enfin, les élèves et les animateurs retenus pour l’expérimentation ont respectivement les codes APD1 à APD4 et AND1 à AND2. Les données collectées ont été traitées à l’aide des logiciels SPSS et Excel, puis analysées de façon thématique.

3. Résultats

Les pratiques enseignantes renvoient à l’ensemble des stratégies, techniques et procédés pensés et mis en œuvre par l’enseignant, pour aider les élèves à acquérir des savoirs et à développer des compétences. Par ailleurs, à l’image de Anderson (2004, pp.25-26), nous soutenons aussi, que les tâches des élèves contribuent à structurer, de manière stable les savoirs et leurs compétences. Quelles sont alors, les variables les plus récurrentes dans la dynamique de l’implication des élèves ?

Partant des déterminants pédagogiques de l’apprentissage définis par nombre de chercheurs, selon leurs courants respectifs, cet article s’inscrit dans l’axe de Altet et al (1996). Ces auteurs ont identifié des facteurs ayant un impact réel sur les apprentissages des élèves, au nombre desquels, il y a l’organisation temporelle des activités ; les conditions de passation des consignes (la formulation des consignes doit tenir compte des réactions des élèves et du contexte) ; l’implication des élèves (ce principe se fonde sur l’apprentissage par les pairs et pour être efficace, il repose sur la stratégie alternée travail individuel, puis travail de groupe) ; et les interactions enseignant-élèves en permanence (Nikiéma, 2021, p.33). En effet, l’accomplissement de la tâche d’enseignement repose partout sur les mêmes bases (contenus, méthodologies, préparations, etc.). Ce qui différencie les enseignants, dépend de l’apport personnel de chacun d’eux au moment réel de l’enseignement, pour favoriser les apprentissages des élèves. Et, pour rendre dynamique les apprentissages, les différents aspects ci-dessus évoqués, devraient être fréquents. Mais, qu’en est-il des pratiques pédagogiques des animateurs dans les centres de la SSA/P enquêtés ?

3.1. De la gestion des tâches et des temps pédagogiques
Concernant la gestion des tâches et des temps d’enseignement, les résultats révèlent que tous les enquêtés trouvent que la conduite de la lecture en classe leur permet de maîtriser le texte. Cependant, seuls, les élèves APF3 et APF5 ont pu donner une preuve de leurs réponses, en rappelant avec exactitude le sens général du texte lu. Autrement dit, les huit autres élèves ont été incapables de redonner le sens général du texte, ce, malgré les nombreuses relances.
De même, concernant la gestion des temps pédagogiques, la plupart des enquêtés (08 sur 10) estiment que l’animateur leur accorde le temps nécessaire à la réflexion, avant les réponses aux questions. Néanmoins, en termes de besoin en temps, lors des trois phases de la lecture, huit élèves avaient besoin de plus de temps pour la décomposition des mots, alors que cinq ont indiqué avoir ce besoin pour l’explication des mots, deux autres, pour la lecture individuelle du texte et six élèves pour la dictée en fin de séance (Nikiéma, 2021, p.59).
C’est pourquoi, deux animateurs (ANF3 et ANF4), ont signalé faire des dépassements du temps imparti, parce que « certains élèves comprennent difficilement les questions et écrivent très lentement pendant la dictée » (Idem, p.61).
Cependant, au-delà des problèmes de gestion du temps, le superviseur indexe l’exploitation inadéquate des temps des étapes de la démarche méthodologique en ces termes : « Les difficultés des élèves en lecture sont liées au non-respect des tranches horaires et à la mauvaise application des étapes essentielles de la démarche méthodologique. » (Idem, p.63). Cette réalité se trouve aggravée par la faible implication des élèves au cours de ces différentes tâches.

3.2. De l’implication des élèves dans les apprentissages scolaires
Les élèves interrogés, ont souligné unanimement que les animateurs agissent et parlent plus que les élèves, lors des phases de compréhension du sens général du texte, du déchiffrage et de l’explication des mots.
Par ailleurs, les attitudes des animateurs face aux réponses non adéquates des élèves ne favorisent pas leur implication. En effet, les élèves n’appréciant pas positivement les réactions des animateurs, lors d’une mauvaise réponse de leur part à une question. Par exemple, selon cet élève (APF3), « il dit de bien réfléchir avant de répondre à une question » et pour un autre (APF9), « où sont tes oreilles et tes yeux ? Il faut suivre », sont des types de réactions des animateurs qui se contentent souvent, de donner les réponses directement aux élèves (Nikiéma, 2021, p.59).
Par contre, en cas de bonne réponse à une question de la part d’un élève, les animateurs confient l’encourager, soit verbalement, soit par des applaudissements par ses pairs (Idem, p.62).
Quant à la participation des élèves aux apprentissages, tous les animateurs ont répondu par l’affirmative, et pour eux, elle s’est réalisée lors de la séquence de lecture ou à travers les réponses aux questions. Toutefois, selon les animateurs (ANF3, ANF4), cette participation a été moyenne, car, « plusieurs élèves n’arrivaient pas à trouver les bonnes réponses aux questions, ni à bien lire le texte pendant la séance ».
Quant aux difficultés rencontrées, pour favoriser la participation des élèves aux apprentissages, trois animateurs sur cinq (ANF2, ANF3, ANF4) ont reconnu en avoir, alors que ANF1 et ANF5, disent le contraire (Idem, p. 61).
Concernant les travaux de groupe, sept élèves ont souligné n’avoir pas fait d’exercices pendant la séance de lecture, contre trois qui disent le contraire. Et même, pour ces derniers, les travaux de groupe ont consisté seulement en de lectures individuelles tournantes, dans les groupes créés de façon occasionnelle, car, nous avons pu assister aux regroupements ponctuels des élèves ; une réalité reconnue par les animateurs eux-mêmes.
Ainsi, à la faveur de nos observations, nous pouvons affirmer que les interactions entre les animateurs et les élèves étaient plutôt intermittentes et éphémères ; ce qui découle de la rareté des distributions de rôles entre animateurs et élèves, pour qui les apprentissages se résument finalement, à de simples répétitions, sans régulation et autoévaluation des connaissances acquises.

4. Conclusion

La stratégie de scolarisation accélérée ou passerelle (SSA/P) fait partie des alternatives éducatives, jugées plus flexibles et moins coûteuses pour répondre au défi de l’éducation pour tous (EPT) au Burkina Faso.
Cependant, l’analyse des données recueillies a révélé que les pratiques pédagogiques des animateurs sont plutôt caractérisées par un dogmatisme systématique, de simples répétitions, un manque de respect des étapes de la méthodologie et un manque d’implication des élèves. Ainsi, en termes d’assimilation des enseignements, aucun des élèves enquêtés n’avait pu rappeler convenablement tous les mots expliqués, encore moins, les expliquer et orthographier correctement les mots ayant fait l’objet de la dictée en fin de séance.
De même, il n’est pas surprenant que la majorité des élèves connaisse des difficultés d’assimilation des enseignements, après leur transfert dans les écoles classiques.
Loin de traduire une mauvaise volonté des animateurs, cette situation déplorable résulte à notre avis de la problématique de leur formation pédagogique. Comme le souligne avec force l’UNESCO dans son rapport annuel de suivi, « la qualité et la pertinence de l’enseignement et de l’apprentissage dépendent avant tout des enseignants. La façon dont ceux-ci sont formés et préparés à leur tâche est un indicateur clé du niveau de qualité et de pertinence que l’on recherche dans l’éducation » (UNESCO, 2019, p.63).
Aussi, nos suggestions vont dans le sens d’une formation professionnelle préalable, doublée d’une formation complémentaire appropriée d’au moins trois mois, au lieu d’un an actuellement, au profit des animateurs.
D’autre part, la révision du programme d’enseignement condensé est également souhaitée. Certes, les enfants recrutés sont âgés (9 à 12 ans), mais, le pari de vouloir dispenser un programme de trois ans (CP1, CP2, CE1) en un an, nous semble difficile à gagner. Nous pensons donc, que condenser le programme d’enseignement sur deux ans (1 an de CP et 1 an de CE1) favoriserait plutôt, une meilleure assimilation des enseignements en amont, par ces élèves, et par conséquent, permettrait d’éviter les multiples redoublements de classe, après leur transfert dans les écoles classiques.

Auteurs :
SOULAMA/COULIBALY Zouanso 1 (INSS/CNRST, Ouagadougou, zouanso@yahoo.fr) ) ;
KABORE Sibiri Luc 2(INSS/CNRST, Ouagadougou, lucsikab@yahoo.fr) ;
NIKIEMA Alain Désiré 3.
(MENAPLN, Ouagadougou, anideg2905@yahoo.fr)

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