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François 1er, styliste-modéliste : « L’avenir du coton burkinabè va passer par la transformation locale »

Publié le mardi 27 décembre 2022 à 22h40min

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François 1er, styliste-modéliste : « L’avenir du coton burkinabè va passer par la transformation locale »

Lefaso web TV a reçu, sur son plateau, le styliste-modéliste François 1er. Nanti d’une grande expérience dans le maniement du tissu local Faso danfani, François Yaméogo à l’état civil se distingue dans le façonnage et la coupe à l’européenne des modèles de vêtements. Cet ambassadeur du Faso danfani hors de nos frontières (il réside à Paris depuis plus de trente ans) est revenu chercher l’inspiration à la source, conformément à sa devise « François 1er, créateur de mode ethnique contemporaine ».

Lefaso.net : Le marché burkinabè est envahi aujourd’hui par des pagnes tissés venant des pays voisins ; comment réagissez-vous à cela ?

François 1er : Je dis merci à Lefaso web TV de m’avoir invité. C’est une web TV qui m’a toujours accompagné depuis mes débuts ici. Aujourd’hui, l’on est envahi par des tissus venus d’ailleurs. Nous sommes un pays qui a signé une convention avec l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, et nous faisons partie de cette organisation ; ce qui veut dire que ceux d’ailleurs peuvent vendre tout ce qu’ils veulent dans notre pays. On ne peut pas interdire à quelqu’un de venir vendre des pagnes au Burkina Faso. Nous aussi, nous pouvons aller vendre ailleurs. C’est à nous de nous organiser pour être compétitifs afin de conquérir les marchés extérieurs.

On note la création d’industries textiles dans les pays voisins ; quelle appréciation ?

Dans mes interviews, j’ai toujours tiré la sonnette d’alarme pour dire que si on ne s’organise pas, si on n’essaie pas de se professionnaliser, malgré que l’on ait eu un père de la révolution qui s’appelle Thomas Sankara, les autres risquent de nous dépasser. Aujourd’hui, on parle d’industrialisation. Nous étions les premiers à parler de la transformation locale. Mais quand on observe, on voit que le Mali est en train de réaliser deux usines de filature, le Bénin a créé une usine de textile, le Ghana est en train de leur emboîter le pas, la Côte d’Ivoire aussi. Nous risquons d’être les derniers.

Pensez-vous que le Burkina a une politique efficace de valorisation de sa production de coton ?

Une politique de valorisation implique la création, la production et la promotion. Mais le problème chez nous est qu’on a l’impression que nous sommes en train de faire du saupoudrage. Quand vous voyez une politique où on forme toujours les mêmes acteurs avec des milliards, c’est ce qu’on appelle des politiques surplaces. Une politique de développement, c’est mettre en place un mécanisme, avoir de vrais accompagnements et avoir des leaders. Dans un pays, il faut toujours des leaders pour avancer.

Il y a eu plusieurs initiatives et projets en la matière depuis la Sofitex (Société burkinabè des fibres textiles). Pourquoi, à votre avis, ça ne marche pas vraiment ?

La Sofitex vend notre coton, gagne de l’argent, gagne des devises. Et moi je me bats pour la transformation locale. Le plus important, c’est se donner des usines d’égrainage qui vont embaucher plusieurs personnes, de mettre en place des usines de transformation locale qui vont embaucher des gens. En dehors de la Sofitex, il y a aussi Faso Coton et d’autres entreprises qui sont là. Nous nous attendions plutôt à des usines d’égrainage qui vont employer beaucoup de gens. Aujourd’hui, le problème c’est la macroéconomie. On a des gens qui pensent qu’il faut de grosses usines, alors que moi je pense qu’il faut plutôt la microéconomie.

On note néanmoins le développement de petites unités de production artisanale. N’est-ce pas une bonne dynamique ?

C’est un peu dans cette philosophie que je suis. Depuis des années, je crie qu’il faut regrouper les femmes, regrouper les artisans et les amener à aller vers la petite et moyenne industrie. Il faut ajouter aussi que le secteur manque de cadres, manque d’accompagnement. Je vous donne un exemple : vous savez qu’aujourd’hui nous n’avons pas vraiment de journalistes de mode, de graphistes, de techniciens de mode, de gens qui peuvent pousser la réflexion dans la mode…

Donc le fait que nous n’ayons pas ces éléments fait qu’on ne peut pas avancer parce qu’on a besoin de gens pour tirer les autres. Il faut amener les associations à comprendre qu’il faut aller vers les petites unités de production, aller vers de vraies entreprises. Actuellement, il y a des unités industrielles et la majorité, ce sont des associations. La majorité de ces associations vivent de subventions. Mais il faut qu’on aille vers de vraies entreprises, de petites industries de production pour pouvoir développer le pays.

Il y a également le retour d’un certain engouement pour le port du Faso danfani. N’est-ce pas un point positif ?

Il y a des gens qui ont l’amour du Faso danfani comme l’ex-président qui a toujours porté du Faso danfani. Mais la différence est que nous manquons de vision. Il ne suffit pas d’avoir l’amour de quelque chose, mais il faut avoir une vision de développement à long terme. Et cette vision, le Burkina Faso ne l’a pas. Il faut se demander ce que, dans cinq ou dix ans, nous allons faire pour le développement du Faso danfani.

Et cette vision, nous ne l’avons pas. Et tant qu’on n’a pas de vison, ce sera difficile de pouvoir avancer. On peut avoir l’amour de porter le Faso danfani, mais il faut avoir la vision pour son développement. Or il n’y a pas de vision, pas de plan, pas de canevas et pas de ligne directrice de développement dans le domaine ; c’est du tâtonnement. On fait du surplace, raison pour laquelle les autres vont nous devancer dans tout ce qu’on fait.

Vous êtes vous-même promoteur de la marque « François 1er » et propriétaire d’une unité semi-industrielle. Quelles sont les leçons que vous tirez de votre expérience ?

Quand je suis venu au Burkina, j’ai voulu apporter mon expérience d’Europe, j’ai voulu mettre quelque chose en place. Je pensais que mon expérience allait servir. Je pensais qu’avec cette unité semi-industrielle que j’ai mise en place et qui emploie environ 70 personnes, qui exporte, qui montre l’image du Burkina Faso, mon initiative allait être dupliquée dans tout le Burkina Faso pour permettre de créer de l’emploi. Mais malgré mes démarches, tout ce que j’ai fait n’a pas intéressé les gens. Mon expérience me permet de dire aux jeunes de comprendre une seule chose : c’est que l’avenir, qu’on le veuille ou non, va passer par la transformation locale, va passer par la transformation de notre coton, l’artisanat et les petites entreprises.

Que proposez-vous pour un réel développement de l’industrie textile au Burkina Faso ?

Je peux parler avec une certaine liberté intellectuelle de pensée. Je pense que je risque d’attirer la foudre sur moi. Je pense que tant qu’on ne fait pas un état des lieux, tant qu’on n’accepte pas que l’on est dans une période de guerre économique, tant qu’on ne comprendra pas que l’on a une richesse en mains, on ne saura pas l’utiliser.

Tant qu’on ne forme pas des gens comme il le faut en évitant la surformation, c’est-à-dire qu’on forme toujours les mêmes, on jettera l’argent par la fenêtre. Tant qu’on ne va pas choisir de vraies entreprises, les accompagner, leur donner les moyens, former les élites dans le domaine pour tirer les autres, on aura toujours des problèmes. C’est dire qu’on ne pourra pas aller de l’avant.

Propos recueillis par Carine Daramkoum
Vidéo : Ange Paré
Lefaso.net

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