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L’impact de la création des instituts de recherche dans les Territoires d’Outre-mer : l’exemple de IRHO en Haute-Volta

Publié le mardi 22 août 2023 à 17h44min

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Résumé

L’entre-deux-guerres fut une période difficile pour la France. Elle était plongée dans un marasme économique sans précédent surtout après la Seconde Guerre mondiale. C’est ainsi que la Haute-Volta, une de ses colonies africaines, riche en plantes oléagineuses fut impliquée au redressement de l’économie française. Cette participation a été possible grâce à la création en 1949 d’un institut de recherche appelé Institut de Recherches pour les Huiles et Oléagineux (IRHO) en Haute-Volta. Il avait pour but de maximiser l’exploitation à grande échelle des oléagineux.

Introduction

Le développement des cultures oléagineuses fut inscrit dans les projets de colonisation des pays africains depuis très longtemps. Et c’est le cas dans certaines régions africaines : « Au tournant du XIXème siècle, le colonisateur français manifeste cependant déjà un intérêt évident pour une production a plus grande échelle de cette culture dans la toute proche vallée du Niger, où les conditions climatiques semblent particulièrement propices : en 1899, une expérimentation cotonnière est, en effet, entreprise sur la station d’essai de Kati… » (Chevalier, 1905, p.33). En Haute-Volta, l’acteur principal de cette politique est le Gouverneur François Charles Alexis Edouard HESLING. Son programme d’action s’appuiera entièrement sur le développement des cultures oléagineuses : « l’Afrique occidentale française devait se spécialiser dans la production des graines oléagineuses, du bois et du coton ». De telles dispositions coloniales se fondaient sur les potentialités des zones conquises. Or, pour y arriver il faut revoir les politiques d’exploitation instaurées dans les colonies. C’est ainsi que la nécessité de créer un institut de recherche basé essentiellement sur les oléagineux s’est révélée importante en Haute-Volta au regard des potentialités de ladite colonie en produits oléagineux (coton, arachide et karité) et du capitalisme français ambiant. Quelles sont les circonstances qui justifient la création d’un institut de recherche en Haute-Volta ? Et quels sont les effets induits de cet institut de recherche en Haute-Volta ?

Cette étude s’adresse aux autorités politiques afin qu’elles se penchent sur la nécessité de la recherche dans la mise en valeur des ressources forestières au Burkina Faso.

Matériels et méthodes

Pour la réalisation de ce travail, nous avons utilisé essentiellement les documents écrits.
Le travail est structuré en deux parties. Il s’agit d’une part de l’impact de la création des instituts de recherche dans les Territoires d’Outre-mer et d’autre part du bilan de la politique coloniale dans le domaine des oléagineux en Haute-Volta.

1.L’impact de la création des instituts de recherche dans les Territoires d’Outre-mer

La pleine implication des colonies dans les cultures de rente a impacté positivement l’économie de la métropole. Cependant, c’est le contraire dans les colonies.

1.2La place des colonies dans le redressement de l’économie française

L’intérêt économique du marché colonial n’était pas un mythe, mais une réalité surtout durant l’entre-deux-guerres. Période au cours de laquelle les colonies devinrent les premiers partenaires commerciaux de la France (Hien, 2022, p.292). Ils lui fournirent la quasi-totalité de ses matières premières agricoles importées. Avec les changements enregistrés dans les politiques coloniales de la France, une évolution remarquable des rendements fut signalée.

Nous constatons une augmentation vertigineuse de la quantité des produits oléagineux dans les exportations de la France, résultats des mutations des politiques coloniales françaises. La nature ouest-africaine est alors un acteur du développement de la France.

La balance commerciale entre la France et son empire présente, dans le long terme, une réalité alternée, car en période de bonne conjoncture, le solde est positif pour la France, il devient négatif en période de mauvaise conjoncture. Cela confirme le rôle qu’a joué les colonies pour le bien-être de l’économie française au lendemain de la seconde Guerre mondiale. Les colonies françaises africaines représentent donc un réservoir en période de difficultés et un débouché en période de prospérité.

1.2 L’impact de l’intensification des cultures de rente en Haute-Volta

Le XIXe siècle a vu les grandes puissances d’Europe, notamment l’Angleterre et la France, se partager l’Afrique. La colonisation apparaît dans un contexte d’expansion du capitalisme. La fin du XIXe siècle voit l’apogée d’une économie fortement internationalisée ; les rivalités interétatiques se résument en la concurrence entre des capitalismes nationaux provoquant l’assujettissement des régions périphériques. Et cette situation n’est pas sans conséquences sur la vie des colonies.

Les exigences coloniales furent les leviers actionnés pour contraindre les populations à s’adonner à l’économie d’exploitation. Ces exigences coloniales contribuèrent à abandonner les cultures vivrières, sources non négligeables des famines et des révoltes dans les colonies africaines. Les cultures obligatoires avaient des conséquences dans la vie des populations. La faiblesse de la production vivrière était liée à la médiocrité des moyens techniques mis en œuvre ; le niveau très bas des prix à la production, imposé par les sociétés de traite faisaient obstacles au développement d’un incitant économique à la production. L’autoconsommation à l’intérieur de la famille et quelques échanges commerciaux sur les marchés locaux assuraient aux populations, dans leur cadre traditionnel, un moyen de survie. Les cultures obligatoires ne pouvaient se développer sans une limitation ou une régression des cultures vivrières, elles-mêmes à peine suffisantes à assurer la survie des populations. A défaut d’incitant économique, l’obligation de l’impôt personnel constituait un excellent moyen de pression pour l’administration coloniale afin de se procurer l’argent nécessaire à la capitation (payable pour tous les adultes, hommes et femmes). Ainsi, les populations étaient obligées de consacrer une partie des champs familiaux et de leur temps aux cultures obligatoires.

Parmi les contraintes rencontrées par les populations africaines sous le régime colonial, l’utilisation de prestations de travail tels que le portage, les réquisitions diverses, les cultures obligatoires constituaient un détonateur de révoltes (refus de produire les cultures obligatoires et les rendements exigés) en Haute-Volta. Des sanctions nécessaires, sous forme d’amende, de prison ou de coups de « manigolo » étaient infligées aux récalcitrants, ceux qui n’avaient pas voulu ou pu fournir les quantités et les qualités exigées. L’économie de traite plaçait la colonie dominée dans un état de dépendance totale vis-à-vis de la puissance impérialiste.

La politique d’exploitation ou « mise en valeur » économique de la colonie de Haute-Volta est fondée sur une économie appelée « économie de traite » tout au long de la période coloniale. Cette politique a connu trois étapes dans son évolution. Ainsi, de la conquête à 1923, l’économie a été basée sur les produits de cueillette comme le kapok, la liane gohine et le karité. Le coton a pris le relais de 1923 à la dislocation de la colonie de la Haute-Volta en 1932. De 1932 à 1947, nous assistons à la migration des populations voltaïques vers les colonies présentant plus d’intérêt pour la France. Il s’agit des colonies de la Côte d’Ivoire, du Soudan et du Niger. Du fait des pressions coloniales française, les populations voltaïques trouvèrent leur salut dans la fuite vers les colonies voisines telles que la Gold Coast.

2. Le bilan de la politique coloniale dans le domaine des oléagineux en Haute-Volta

Quelle appréciation peut-on faire des politiques coloniales mises en place en Occidentale Française (AOF), en général et en Haute-Volta en particulier dans le domaine des oléagineux surtout le karité ? Quelles sont les évolutions par rapport aux pratiques précoloniales d’une part et d’autre part quel est le niveau d’exploitation du karité par rapport aux autres produits ayant intéressé la métropole ?

2.1 Les évolutions par rapport aux pratiques précoloniales

Avant la pénétration coloniale en Haute-Volta, les populations avaient des connaissances sur le karité pour la satisfaction de leurs besoins dans les domaines alimentaire, sanitaire, cosmétique, artistique, etc. Le beurre de karité, au centre de toutes ces préoccupations était produit de façon traditionnelle par les populations en l’occurrence les femmes avec surtout l’aide des enfants pour la collecte des noix. Le beurre ainsi obtenu présentait certaines impuretés et jouait un important rôle. Le karité ainsi reconnu pour ces différentes vertus était protégé par les populations. Cependant, ces stratégies locales de protection du karité montraient souvent ses limites. Les populations dépendaient du karité pour la satisfaction de leurs besoins dans le domaine énergétique, artistique et thérapeutique qui nécessitait l’exploitation des produits forestiers ligneux. De telles pratiques occasionnaient la destruction de plusieurs arbres à karité. Toutes ces pratiques contribuèrent à réduire considérablement les superficies des forêts en Haute-Volta. En effet, au début de la colonisation, comparativement à la période précoloniale, les autorités procédèrent à un inventaire forestier en Haute-Volta suivirent les politiques de protection et d’exploitation. C’est dans cette dynamique que la zone à karité fut identifiée même s’il manquait certaines précisions telles le nombre de pays concernés par le karité, l’étude botanique du karité et les recherches sur le fruit autant de questions qui restaient sans réponse. L’identification de la zone à karité, autrefois inconnue par les populations fut possible grâce aux politiques coloniales. L’autorité coloniale formula des textes plus élaborés afin de renforcer davantage les mesures de protection du karité. Au début de la colonisation, seul le latex suscita la curiosité de la France. Mais les travaux scientifiques permirent d’appréhender qu’au-delà du latex, le karité pouvait fournir un beurre utilisé dans plusieurs domaines, tels que la peinture, la chocolaterie, la confiserie, la préparation pharmaceutique, la cosmétique …, plus tard comme carburant. En plus de la formulation des textes de protection du karité, des pépinières de karité furent créées. Pratiques méconnues par les populations, qui procédaient par l’agroforesterie, les pratiques occultes, les bosquets sacrés, etc. afin de protéger leur environnement victime d’une surexploitation. Toutes ces formes de pratiques concouraient à la préservation des ressources forestières. Cependant, certaines méthodes de la période coloniale étaient plus élaborées et efficaces que celles traditionnelles. Il s’agissait de la délimitation de vastes domaines classés et protégés, les mesures répressives afin de dissuader davantage en cas de non-respect des textes par les populations et les pépinières de karité. L’administration coloniale avait surtout mis l’accent sur l’exploitation des produits forestiers non ligneux comme l’amande de karité, même si par moment on notait des pratiques coloniales contrastées à travers les politiques d’urbanisation qui occasionnaient des déboisements importants. Le beurre désormais obtenu avec des méthodes modernes qui permettaient d’avoir du beurre plus raffiné et de meilleurs rendements pour ce qui de la quantité. Cela épargnait les femmes de certaines corvées dans l’extraction comme le barattage à la main, et la force humaine était la seule énergie de la collecte de la noix jusqu’à l’extraction du beurre. Avec la colonisation certains savoirs faire liés au karité ont connu de véritables changements. L’utilisation du beurre connut une évolution dans l’alimentation, la santé, la cosmétique etc. Mais quel est le niveau d’exploitation du karité par rapport aux autres produits ayant intéressé la curiosité coloniale.

2.2 . L’exploitation du karité par rapport aux autres produits oléagineux

La révolution industrielle par les besoins nouveaux qu’elle crée constituait un élément déterminant quant à une nouvelle orientation des politiques des puissances impérialistes. Les industriels britanniques se préoccupèrent de l’écoulement d’une production sans cesse accrue, recherchaient de nouveaux marchés, surtout en Afrique. Au même moment, ils avaient besoin de matières premières pour satisfaire un marché national en pleine croissance. Ces besoins étaient particulièrement ressentis dans le domaine des matières grasses, car les anciennes sources de ravitaillement comme la graisse animale sont insuffisantes et inadaptées aux besoins du moment comme le graissage des machines. Face à ces difficultés d’approvisionnement en matières grasses, les grandes puissances industrielles du moment comme la France étaient dans une dynamique de recherche de débouchés pouvant leur permettre de satisfaire leurs besoins en matières grasses. C’est ainsi qu’elles découvrirent que l’Afrique de l’Ouest était à même de leur fournir les produits oléagineux. C’était une zone des grands produits oléagineux comme le karité, l’arachide et le palmier à huile. L’Afrique de l’Ouest avait une vocation de pourvoyeuse de matières grasses exportées essentiellement en Europe Occidentale. Ce rôle s’était encore affirmé durant la période coloniale. L’intervention administrative des autorités coloniales, l’organisation et la réglementation du commerce pour le compte des intérêts français, avait conféré des caractères spécifiques à l’économie des oléagineux dans les colonies de l’AOF. La Haute-Volta était la zone du karité par excellence pour la France d’où la mise en place de certaines politiques coloniales orientées sur le karité. Après moult tentatives d’exportation des produits comme le karité, l’arachide, les fibres de kapok, le sésame, la France concentra ses efforts sur la culture du coton. Du fait de son rôle prépondérant dans l’économie coloniale, la France intensifia la production cotonnière avec l’arrivée du gouverneur François Charles Alexis Edouard HESLING chargé en mai 1919 de la conduite des affaires de la nouvelle colonie jusqu’en 1928. Il fit de la production cotonnière une de ses priorités. Le ton fut donné afin que la Haute-Volta soit une zone de production des matières premières surtout le coton.

Trois espèces de plantes à matières grasses : l’arachide, le karité et le palmier à huile avaient par leur intérêt économique le rôle de grands oléagineux. Parmi ces trois produits oléagineux seul le karité et l’arachide avaient fait l’objet de curiosité scientifique en Haute-Volta surtout le karité. C’est ainsi que IRHO fut installé pour permettre à la métropole d’exploiter les oléagineux de la colonie. Car l’AOF était considérée comme le domaine des oléagineux. Dans ce contexte de recherche de matières premières en fonction des besoins du moment, on constate que les puissances avaient focalisé leurs attentions sur les oléagineux en AOF, viennent ensuite les autres produits qu’ils pouvaient trouver sur place. Parmi les grands produits oléagineux que la Haute-Volta pouvait fournir en dépit des difficultés d’exploitation, c’était le karité. Le karité relevant de l’économie de cueillette, cela nécessitait des mesures appropriées telles que les méthodes et les périodes de collectes, les bonnes techniques de traitement des noix et leur conservation. Cependant, les autres oléagineux comme le coton, l’arachide et le sésame étaient des produits de culture. L’arachide était un grand oléagineux mais elle n’avait pas fait tellement l’objet de curiosité scientifique au même titre que le karité. Un certain nombre de difficultés pouvaient empêcher l’exploitation à grande échelle du karité en Haute-Volta. En matière industrielle, employé seul en savonnerie, le beurre donne un produit cassant, presqu’insoluble dans l’eau. En plus, faute de voies de communication comment s’y prendre pour exporter le karité à savoir sous forme d’amandes ou de beurre. Et que la transformation sur place aurait de nombreuses conséquences surtout négatives comme la grosse perte de matière première liées aux méthodes traditionnelles d’extraction, la qualité du beurre produit et la valeur ajoutée de transformation du produit par les usines métropolitaines. Autant de contraintes qui ont failli décourager la France, mais il fallait approfondir la réflexion afin d’exploiter au maximum le karité. Cela montrait à tel point que le karité était un grand produit oléagineux pour la France. Les enjeux étaient énormes. Elle pouvait abandonner le karité au profit du sésame et de l’arachide dont on pouvait évaluer facilement les rendements annuels mieux que le karité sur une ou des années à travers les travaux des agronomes. Si la France s’entêtait dans le domaine du karité c’était pour des causes nobles. L’arachide ne pouvait pas remplacer le karité à tous les niveaux. Le karité était un produit de cueillette. Par contre, la culture de l’arachide nécessitait d’énormes moyens d’entretien des plantes, suivie de la récolte qui mobilisait encore la main d’œuvre locale énorme. En comparant les deux produits le karité et l’arachide, il y avait de part et d’autre des difficultés. Mais, celles propres au karité pourraient être surmontées mieux que l’arachide en termes d’investissement et de possibilités d’utilisation en Europe. Après être plus engagée dans l’exploitation du karité au Soudan (actuel Mali) comme en Haute-Volta, l’après-guerre (2nde) se plaçait sous le signe de tentatives d’expansion de l’industrie du karité. C’était la seule espèce qui avait fait l’objet d’exploitation industrielle à grande échelle en Haute-Volta. Vers 1953-1954, les avis étaient unanimes que de véritables usines spécialisées n’étaient pas adaptées à la situation du karité en Haute-Volta.

CONCLUSION

Au terme de cette contribution, nous pouvons affirmer que la volonté d’exploiter comme il se doit les richesses oléagineuses de la Haute-Volta, a été indissociable dans la création des instituts de recherche. En effet, pour le colonisateur français, l’exploitation dans des conditions adéquates des "innombrables" richesses de la colonie voltaïque ne pouvait se faire sans entreprendre toutes études, recherches, prospections et expériences sur les plantes oléagineuses en vue d’améliorer leur culture ou leur exploitation ainsi que les procédés d’extraction, de préparation et de transformation de leurs produits. Il a fallu alors que les études confirment les richesses en produits oléagineux dans la colonie et les différentes potentialités qui s’offraient à la France. La Haute-Volta a contribué de façon significative au redressement de l’économie française durant la période de l’entre-deux-guerres et surtout après la Seconde Guerre mondiale.

Dr HIEN Sourbar Justin Wenceslas
HISTORIEN
Chargé de Recherche à l’INSS/CNRST

Éléments de bibliographie

- CHEVALIER (A.), 1905, Les végétaux utiles de l’Afrique tropicale française. Paris, Dépôt des publications, vol.1, fasc.1.
- HIEN Sourbar Justin Wenceslas, 2022 « The research institute for oils and oilseeds (irho) : a mechanism for the exploitation of oilseeds in upper volta », in KURUKAN FUGA, La Revue Africaine des Lettres, des Sciences Humaines et Sociales, Faculté des lettres, des langues et des sciences du langage, Bamako, Mali, ISSN : 1987-1465, pp.285-301.

- MARSEILLE (J.), 1984, Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce, Paris, Albin Michel, 461p.

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