Utilisation du cyanure à Poura : « Il y a la pollution de l’eau, du sol et même de l’air », selon le Lieutenant des eaux et forêts, Basile Kaboré
LEFASO.NET
La commune de Poura subit aujourd’hui une pression de l’orpaillage. Cette activité n’est pas sans conséquences sur l’environnement. Il y a la coupe abusive du bois ainsi que la paupérisation des sols. En plus de cela, l’utilisation anarchique du cyanure pollue l’air, l’eau et le sol. Le lieutenant des eaux et forêts, chef de service départemental de l’environnement, de l’économie verte et du changement climatique de Poura, Basile Kaboré, nous en donne plus de détails dans cette interview. C’était au cours d’une visite que nous lui avons rendue le 11 juin 2021.
Lefaso.net : Poura est une ville aurifère. Avez-vous une idée sur le nombre de sites artisanaux ?
Basile Kaboré : Disons qu’il y en a des sites aurifères à Poura. Mais ce ne sont pas des sites permanents. C’est de façon ponctuelle. Les orpailleurs sont des individus qui travaillent selon la disponibilité du minerai sur le site. Si la teneur diminue, du coup ils changent de site. On assiste à une prolifération de sites mais qui ne fonctionnent pas tous à la fois. A l’heure actuelle, on se retrouve avec quatre sites. C’est là où il y a les trous.
Vous avez une prolifération de sites miniers. C’est l’orpaillage. Quel est son impact sur l’environnement ?
Le premier impact qui est remarquable et visible même à la vue des profanes, c’est bien sur la déforestation. Ces gens utilisent du bois pour caller leurs trous, comme ils le disent. Ce qui s’en suit, c’est l’utilisation des détecteurs de métaux ; ils remuent le sol un peu partout. Même les sols cultivables sont remués. Du coup les terrains sont dégradés et ça devient impropre à l’usage agricole.
On parle aussi d’utilisation de produits chimiques. Avez-vous une idée ?
Les produits chimiques utilisés ici dans l’orpaillage, il y a le cyanure, le zinc. Ces produits retiennent l’or et après, ils peuvent décanter d’autres procédés. Il y a l’acide également qu’ils utilisent dans ce procédé. Ce sont les trois produits majeurs.
Est-ce que ces produits n’ont pas d’effet sur l’environnement ?
Bien sûr, même ceux homologués pour l’agriculture, il y a toujours l’impact secondaire. C’est peut-être le bienfait qui est le plus vu. Mais pour ces produits, il y a bien des impacts sur l’environnement. Il y a la pollution d’eau, de sol et même la pollution de l’air puisque ça s’évapore. Pour le cas de pollution d’eau, c’est lorsque ce n’est pas bien entretenu dans les trous et qu’avec le ruissèlement ou bien quand il y a inondation et que ces trous sont débordés, ça va naturellement conduire ces eaux vers les cours d’eau, les retenus d’eau.
Que faites-vous alors pour arrêter cela ?
Pour limiter ces dégâts, par exemple pour la coupe du bois, nous référons les orpailleurs vers ceux qui exploitent les plantations d’eucalyptus. Ça nous permet de préserver l’impact sur les espèces locales qui se retrouvent en brousse. On n’est pas assez nombreux pour être permanemment en brousse pour surveiller ces gens. Même la nuit, ces gens fraudent. Vu l’insécurité, vous comprenez ce que ça peut faire.
Pour les cas de produits chimiques, nous recommandons en tous cas à ce qu’ils puissent clôturer, mettre autour de la terre ou bien du béton pour qu’on n’ait pas des sorties d’eau contaminées par ces produits pour se mélanger à l’eau de ruissèlement. Également, il y a les intrusions d’animaux qui peuvent en tout cas aller quelques fois dans ces zones s’abreuver de ces eaux et naturellement c’est la mort qui va s’en suivre. Pour éviter les intrusions, nous leur disons de clôturer avec des grillages. Des moyens qui pourront permettre d’éviter les intrusions animales.
On parle à présent de la SOREMIB qui dispose d’un bac à cyanure. Actuellement elle fait débat. Déjà, son état actuel constitue-t-il un danger pour la population ?
Je dirai qu’il constitue un danger parce qu’il y a le gaz qui s’évapore et ça se mélange à l’air et il y a la pollution. Seulement ce n’est pas sur une grande étendue mais c’est dans la zone du bac. Quand vous vous approchez, vous remarquez qu’on ne peut pas respirer. L’air est un peu piquant. Voilà un des dangers. Je pense que là-dessus, la population est informée de ne pas s’aventurer dans les alentours. C’est très nocif. Également, il y a le risque d’être drainé par le vent, puisque ç’a été remué ces temps-ci. Des particules peuvent être emportées par le vent et se retrouver sur les ruisseaux, les voies de conduite d’eau.
Quand c’est le cas, c’est dangereux, sinon la pollution même c’était en hauteur. Donc ça limitait les ruissèlements. Je sais qu’il y a l’agence de l’eau du Mouhoun qui, dans le temps, avait travaillé à protéger ce bac à cyanure en mettant un mur et une grille également et planté des arbres. C’était pour limiter les éventuelles sorties de résidus de ce bac. Mais si c’est le danger, ce n’est pas un doute. Il y a un danger, mais avec les précautions, on a pu sensibiliser les populations. Mais toujours est-il que dans une communauté, il y a toujours des bandits qui y voient un gain et qui cherchent par tous les moyens pour prendre ce gain.
Des gens passent. Il y a même un champ à côté du bac à cyanure…
La question du bac à cyanure, c’est un appel aux autorités communales voire même les autorités nationales, si en tout cas ils peuvent avoir un regard particulier pour que la population puisse être un peu protégée vis-à-vis de ce danger qui est là. Le hic qui est là, j’ai l’impression qu’il y a un profit à tirer et du coup ça fait que toutes les initiatives pour enrayer le bac de façon définitive n’ont pas abouti.
Je sais qu’il avait été suggéré à ce que l’on puisse remblayer, ajouter de la terre à ce qui est là comme résidu pour fermer carrément. Là, on n’aurait plus d’évaporation. Ça ne va plus contaminer et l’on n’a pas de risque que l’eau puisse drainer ça dans les conduites d’eau. Mais c’est ce que je dis, là, il y a des profits, la décision devient compliquée à prendre. Voilà ce qu’il y a.
Pour creuser un trou, est-ce qu’il y a des taxes à payer par les orpailleurs ?
Disons que ce n’est pas pour creuser un trou. C’est quand on vient te voir et tu as déjà fait que parfois on vous dit, vous avez gâté, on va vous recommander de payer une cotisation soit pour planter un arbre ou soit nous on produit et ils viennent chercher pour planter. C’est parce qu’ils détruisent.
Avez-vous une idée sur ce que l’orpaillage a pu détruire en termes de terrain ?
On ne l’a pas quantifié. Mais, quand on part sur les sites et qu’on voit parfois ce qui est déposé comme bois, c’est là qu’on se rend compte qu’il y a une déforestation. Ces gens travaillent vraiment en équipe. Il y a un plus expérimenté qui m’a dit que parfois il y en a qui viennent ici mais en réalité, c’est pour voir notre position pour pouvoir aller faire quelque chose.
Est-ce qu’il y a des plaintes au niveau des éleveurs ?
Depuis mon arrivée à Poura, je n’ai pas encore relevé un tel cas. Mais dans le service où j’étais avant d’arriver ici, j’en ai vu. J’ai dit au chef des éleveurs que s’il voit un jour quelque chose qui peut constituer un danger pour les animaux, qu’il prévienne pour qu’on n’arrive pas à une situation de mort d’animaux. Il y a une zone, un peu de deux villages non loin de la forêt communale, ce sont des zones où des gens élèvent beaucoup. On a une population nomade qui est vers là-bas. Même les autres communautés qui y sont, ont du bétail.
C’est une zone de pâturage et d’élevage sauf quelques champs qui sont là. Les activités d’orpaillage dans ces zones-là, en tout cas avec les populations, on a dit que si quelqu’un vient, qu’il veut chercher l’or, qu’il nous signale on va venir le déguerpir. C’est quand ils s’entassent que ça devient compliqué. Une personne ou deux personnes, c’est facile encore à gérer. Quand on les laisse s’entasser, ça devient un problème. Pour le moment on n’a pas encore assisté à des morts d’animaux.
C’est quoi le cyanure ?
C’est un produit chimique utilisé massivement surtout dans l’industrie minière. C’est un produit qu’on utilise dans le procédé de traitement de l’or. Il permet de décanter l’or du minerai. Vu la dangerosité, ce sont les sociétés minières qui travaillent dans un environnement clos, où l’accès aux populations et aux animaux est pratiquement limité, qui l’utilisent. Quand vous prenez par exemple Bagassi, personne ne sait ce qui se passe dedans à part ceux qui y travaillent parce que c’est carrément clos.
C’est un produit dangereux. Je pense que pour s’en procurer, c’est compliqué.
Mais comme on aime le dire, partout les gens se débrouillent et chacun arrive à s’en sortir. On ne sait pas comment les orpailleurs au niveau bas de l’échelle arrivent à s’en procurer. Surement il y a des rouages à l’intérieur qu’on ne saurait expliquer. Ce ne sont pas des produits qu’on acquiert facilement. Si lors du transport, un véhicule est appréhendé avec ça, il a tous les 1000 problèmes.
Quels peuvent être les dangers ce produit sur l’homme ?
Une quantité infime seulement ingérée, c’est la mort. Pour les animaux, sauf le poulet qui peut en ingérer et ne pas mourir, le reste, un peu seulement. Quand vous regardez là où il y a l’eau de cyanure, même les mouches ne planent pas là-bas. La vapeur qui frappe une mouche suffit à la tuer. C’est un produit toxique. Quand on dit que c’est la dose qui fait le poison, lui, même si c’est petit seulement, si vous l’avez ingéré, c’est qu’on va parler de vous à l’imparfait.
Dimitri OUEDRAOGO
Auguste PARE (photo et vidéo)