Utilisation anarchique du cyanure à Poura : La nappe phréatique est contaminée selon le maire Seydou Traoré
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L’utilisation anarchique du cyanure à Poura donne du fil à retordre aux autorités communales. En vue de permettre aux populations d’avoir accès à l’eau potable, le conseil municipal a entrepris de construire des forages. Mais peine perdue, selon le maire, l’eau est impropre à la consommation car souillée à l’arsenic. C’est la conséquence de l’orpaillage dans la ville. Au cours d’un entretien qu’il nous a accordé le 13 juin 2021, le maire Seydou Traoré, inspecteur divisionnaire des douanes, parle de sa commune et de ses problèmes.
Lefaso.net : Vous êtes le maire de Poura. Pouvez-vous nous présenter votre commune ?
Seydou Traoré : La commune de Poura est une commune rurale. Elle se trouve à une distance de 175 km de Ouagadougou la capitale, environ 155 km du chef-lieu de la région qui est Dédougou, 50 km du chef-lieu de la province qui est Boromo. C’est une commune où l’activité principale est l’orpaillage suivi de l’agriculture et d’élevage. La commune compte huit villages. Au chef-lieu de la commune nous avons cinq secteurs, même si officiellement, ils ne sont pas reconnus.
Quelle est l’importance des sites artisanaux pour la commune de Poura ?
Aujourd’hui Poura est envahie de toute part par l’orpaillage. Le malheur c’est parce que c’est un orpaillage désordonné, un orpaillage anarchique qui mérite d’être encadré. Sinon les conséquences vont porter un coup très dur sur la santé de la population. Le malheur même c’est que même en ville, les gens pratiquent l’orpaillage. Ce qui est contraire à la santé de la population. Le malheur encore c’est que certains orpailleurs utilisent les concasseurs pour traiter les minerais dans les concessions et dans les cours. Nous sommes en train de sensibiliser pour une délocalisation de ces machines. Les choses sont en bonne voie parce que la santé et la vie n’ont pas de prix.
Vous avez pris un arrêté interdisant l’utilisation des broyeurs en ville. Ceux d’en face ne sont pas contents ?
Comme vous le savez, si quelqu’un dit que les utilisateurs ne sont pas contents, je peux dire que c’est une malhonnêteté quelque part. Cette délocalisation des machines ne date pas d’aujourd’hui. Avant que je ne sois maire, c’est une chose qui était à l’ordre du jour depuis 2009. Quand nous sommes arrivés, nous avons travaillé à ce que les gens comprennent le bien-fondé de cette délocalisation à travers des sensibilisation, des communiqués radio.
Quand on n’a pas la volonté de faire quelque chose, on dira toujours qu’il y a ceci ou cela alors que vous savez bien que c’est par rapport à la santé. A un certain moment, nous étions obligés de prendre une délibération et nous avons un comité en place. Il est composé de jeunes de la ville, de policiers, de gendarmes et de conseillers qui étaient encore chargés pour la dernière fois de sortir et sensibiliser les détenteurs de ces machines dans les concessions.
A défaut, c’est la répression purement et simplement parce qu’on ne peut s’amuser avec la vie de nos populations tout en sachant qu’il y a une autre voie. Cette voie est la meilleure, délocaliser. Eux-mêmes gagneraient beaucoup plus si les machines sont hors de la ville. Cela va leur permettre de travailler 24h sur 24. Ça sera un bon centre reconnu comme le lieu de traitement de minerai par les machines et tout le monde serait obligé d’y aller. Ça va beaucoup leur profiter. S’il faut permettre à la population d’être en bonne santé, ça ne doit pas poser un problème.
Dans votre ville, il y a aussi le traitement à ciel ouvert du cyanure. Comment vivez-vous cela ?
Voilà une chose qui me peine et qui peine ma commune, ma population. Aujourd’hui je peux dire quand on parle de Poura, je vais être clair. La Société de Recherche Minière du Burkina (SOREMIB) nous a légué des problèmes. Ils nous ont légué des conséquences négatives. Mais, nous-mêmes en tant que population de Poura, nous faisons pire. D’abord ils nous ont légué des cités. Est-ce que nous avons pu entretenir ? Non. C’est nous-mêmes qui avons été complices pour la destruction, pour le vol, pour le pillage, pour l’incendie de ces cités, de ces centres de formation. C’est une chose qui devait profiter à la commune, à l’ensemble du Burkina.
Parlons du bac à cyanure de la SOREMIB…
Le bac de résidu à cyanure, légué depuis par la SOREMIB, lors d’une semaine dans la commune de Poura réalisée par la RTB, certainement que vous avez suivi, ils sont partis d’eux-mêmes, on n’a pas besoin de commenter. Les odeurs sont très fortes. En 2014, je n’étais pas maire, c’est la commune qui a travaillé à ce que l’agence de l’eau du Mouhoun puisse venir sécuriser cet endroit. C’est un projet qui a tenté de construire le mur et surmonté de grillage. Malheureusement, à un certain moment, ça ne tenait pas. Qu’est-ce qu’il faut faire ? Les gens partaient voler et ce sont ces résidus qu’on verra encore traiter en ville. C’est ce qui est très grave d’ailleurs. Ce vol, c’est avec la complicité des gens que je ne vais pas nommer et peut-être vous-mêmes vous avez déjà compris.
Pour protéger la population, je pense que depuis 2012 nous avons assisté à l’arrivée de la société minière Newmond limited, après la société Cluf, après BMC, et présentement nous sommes avec la société Poura Ressources Limited. Je vous dis et je vous répète, aucune de ces sociétés ne s’est intéressée à ces résidus de bac à ordure. Pourtant elles connaissent ces conséquences sur la population. A la commune, nous avons pris des délibérations et nous avons demandé purement et simplement, vu les conséquences alarmantes, vu les résultats et les statistiques données par le centre médical, il était très urgent pour nous que ce bac puisse être enlevé et transporté hors de la ville. Qu’est-ce qu’il fallait faire ? Il fallait trouver une société compétente en la matière. Chose que nous avons eu à faire. Tenez-vous bien, pendant qu’on a commencé, subitement, c’est là que nous avons vu la société Poura Ressources Limited bondir et se signaler. Présentement, je n’ai pas voulu trop discuter. Les travaux sont arrêtés. La saison pluvieuse est annoncée. Il y a le ruissèlement…
Pourquoi les résidus du bac à cyanure se retrouvent ailleurs ?
Cela explique tout ce que je viens de dire. C’est pour dire que nous sommes-là, nous voyons, nous interpellons, malheureusement nous ne sommes pas écoutés. C’est comme si la vie, c’est comme si la santé de nos populations ne préoccupe pas ceux-là qui devraient vraiment nous aider. Ça fait très mal. Ces résidus sont volés en complicité d’autres personnes. Nous ne pouvons pas laisser cela perdurer.
Vous êtes maire d’une commune rurale comme Poura ; quelles sont les principales difficultés rencontrées ?
Nos principales difficultés, c’est la compréhension. Beaucoup ne comprennent pas. Il y en a qui sont aussi méchants. Il y en a aussi c’est l’incivisme total. Tout doit être organisé. Même le traitement de cyanure dont vous parlez, il y a des règles en la matière. Il faut que les gens aient des papiers pour ça. Nous allons demander à l’Etat de venir nous encadrer. Qui parle de cyanure, parle de produits chimiques toxiques. Ce qui veut dire que c’est la vie. Quand des gens devraient traiter cela, nous allons demander aux autorités compétentes, aux services compétents, que chacun joue franchement son rôle.
Vous avez vu que ce soit en dehors de la ville, que ce soit à côté des concessions et même dans certains secteurs, il y a des traitements de cyanure. C’est un danger. Donc à Poura, c’est l’incivisme total. Quand tu veux parler, voilà que des gens vont aller encore monter et dire ce que vous n’avez jamais dit. Je ne sais pas à quelle fin mais c’est très grave quand il s’agit de santé. Autre chose, je n’en disconviens pas, mais quand il s’agit de la santé de nos populations, il faut que quel que soit le bord de tout un chacun, qu’il sache que nous nos parents qui y vivent, nos amis ; on a reçu des déplacés, nous voulons que la commune de Poura soit une commune hospitalière où vraiment ils ne soient pas inquiétés par quoi que ce soit.
Maire de Poura depuis bientôt six ans, quel bilan faites-vous de votre gestion ?
On dit que le tigre ne clame pas sa tigritude. Moi j’ai fait ce que je devrais pouvoir faire. Peut-être que c’est la population de Poura qui pourra me juger. Si je dis que j’ai un bilan positif, j’aurai menti. Négatif également, j’aurai menti. Même si vous ne connaissiez pas Poura avant, je pense qu’il y a quelque chose quand même. Nous allons laisser à la population le soin de donner des appréciations.
Pouvez-vous citer des réalisations ?
Les réalisations sont normales. Il y a beaucoup de réalisations. Nous avons construit une cinquantaine de boutiques de rue. Sur le plan éducatif, nous avons réalisé des écoles et des collèges d’enseignement général. Ce n’est pas petit. Par rapport aux forages, on en a tellement fait. Malheureusement, je peux même dire que ça ne sert pas, pour être honnête. Tout le sous-sol de Poura est contaminé. La nappe phréatique est contaminée d’abord par l’arsenic. Les orpailleurs mettent partout des produits chimiques. Ça fait que les forages, quand on finit, quelques temps après on trouve que le taux d’arsenic est trop et que ce n’est pas consommable.
En dehors de ça, il y a le rond-point que nous avons fait pour réguler la circulation, il y a eu des panneaux de signalisation de circulation que nous avons fait confectionner. Il y a eu des bacs à ordure pour l’assainissement parce que nous avons eu toute une journée entière de salubrité dans la commune où tout le monde est sorti pour vraiment parler, nettoyer dans les secteurs, dans les marchés, partout. C’est pour dire que nous tenons à l’assainissement. Des Centres de Santé et de Promotion Sociale (CSPS) construits. Poura n’avait qu’un seul CSPS, même le centre médical que vous avez vu, c’est nous qui l’avons démarré, tout mis en œuvre pour qu’il y ait du matériel.
L’on dit que Poura finalement ne peut vivre sans l’or. Hormis l’orpaillage, Poura vit de quoi ?
Pour ne pas frustrer certaines personnes, je pense qu’avant l’orpaillage Poura vivait correctement. Je vous dis une chose, si vous voyez que les gens le disent, c’est parce qu’il n’y a plus de terres cultivables. Tout a été détruit par l’orpaillage. Les gens se demandent après l’orpaillage qu’est-ce que nous allons devenir. Alors que ça ne saurait durer. Ce qui est sûr, l’orpaillage a toujours une fin. Sans l’orpaillage, Poura vivait d’agriculture et correctement. Avant que la société minière ne s’installe dans les années 1983-1984, les gens vivaient bien.
Je me rappelle quand on était tout petits, j’étais au CE1 quand le colonel Saye Zerbo venait pour l’inauguration de cette même mine, c’est nous qui étions devant pour le saluer. A ce temps, nos frères, nos grands-frères, nos papas avaient des associations pour aller cultiver. Tenez-vous qu’un groupe de 30 à 40 personnes pouvait aller cultiver toute la journée à 1000 F CFA ou même rien. Quand la SOREMIB est venue, quand on a parlé d’orpaillage, pour cultiver par individu, c’est devenu subitement 500 FCFA. L’orpaillage est venu condamner davantage Poura.
Comment arrivez-vous à mobiliser vos ressources pour financer vos activités ?
On sensibilise ceux qui doivent payer leurs taxes mais il faut ajouter que par moments on est allés à la répression. Récemment, c’est ce que nous avons fait. Il y a des gens qui ont pris les boutiques de rue, depuis trois ans, d’autres depuis quatre ans, qui n’ont jamais versé un FCFA. Je vous donne l’exemple du foyer du mineur. La personne qui gère ce local depuis 2016, ne payait pas. Il fallait vraiment suite à une délibération, puisqu’on lui envoyait des correspondances en vain. Il ne répondait pas. On a été obligés d’aller fermer. C’est à l’issue de ça qu’il était obligé de venir s’acquitter.
Comment ça se passe avec la cité des cadres léguée par la mine ?
C’est désolant et c’est décourageant. Ceux-là qui devaient aider la commune à s’en sortir, ce sont eux encore qui posent les problèmes. La cité depuis nous avons des délibérations où nous avons discuté avec même la population. Lors de mes sessions, je permets à tout le monde d’assister. C’est vrai que les sessions, tout le monde peut assister mais tout le monde ne peut pas prendre la parole. Avec moi, je fais l’exception en permettant à n’importe qui d’assister à une session et de poser sa question.
Pour les cités, celui qui connaissait les cités de Poura avant et qui part les voir aujourd’hui, sincèrement, je me pose la question si Poura mérite même qu’on nous aide. On a demandé que chaque occupant contribue à hauteur de 5000 FCFA. On n’a même pas appelé ça loyer mais une contribution en attendant de voir comment nous allons petit à petit récupérer ces maisons pour que quand les gens vont venir à Poura, qu’ils puissent avoir des logements, que cela puisse faire face aux besoins de logements sociaux dont le gouvernement à parler, et en plus que cela puisse augmenter l’assiette fiscale de la commune.
Certains en tout cas réagissent positivement. Ceux-là qui sont pour aider la commune à se développer, ce sont eux au contraire qui ne paient pas. Je ne vais pas cacher. Vous le savez bien. Je n’ai rien contre l’ancien, mais il faut qu’il donne l’exemple. Quand on loge dans une cité qui appartient à l’Etat, on doit vraiment donner l’exemple. Je vais interpeller les autres fonctionnaires. Il y a beaucoup qui y logent et qui bénéficient encore de leurs indemnités de logement. En son temps, on nous avait demandé de faire le point. Je pense que quand on est quelque part, on doit donner l’exemple surtout quand on est intellectuel, l’esprit de civisme doit prédominer.
Quels sont les partis qui composent le conseil municipal ?
Le conseil municipal est composé de l’UPC et du MPP. Nous avons 20 conseillers, les deux sont de l’UPC et les 18 sont du MPP. Tenez-vous bien, nous sommes plus qu’une famille. Au contraire, les 20 conseillers que nous sommes, nous travaillons en parfaite symbiose. On s’entend tellement qu’on ne sait même pas qu’il y a un parti politique en dehors du MPP. Nous croyons que nous appartenons à un même pays. Moi ce n’est pas la politique, c’est plutôt le développement. En dehors même des partis politiques, demandez aux populations de Poura, vous allez vous rendre compte que ceux-là mêmes qui me combattent, ce sont eux-mêmes que je reçois le plus. Je n’ai pas de problèmes avec quelqu’un.
Un gabelou dans la politique, est-ce qu’il vous arrive de regretter d’avoir choisi de faire la politique ?
Par moment oui. Je préfère être honnête. Je regrette un peu parce que la politique quand on la fait, c’est pour développer. Ce n’est pas pour se détruire. Ce n’est pas pour chercher à faire des calomnies. Chacun pense qu’il fait la politique parce qu’il veut contribuer au développement de sa localité. Mais quand ça devient des problèmes que chacun veut se chercher, moi souvent il m’arrive des fois de regretter d’être rentré dans la politique. Mais pourtant c’est un mal nécessaire.
Une ville, beaucoup de communautés. Comment arrivez-vous à gérer tout cela ?
C’est un village cosmopolite où nous avons toutes les communautés du Burkina. C’est une richesse pour nous. Ce brassage devrait nous profiter. Si vous voyez aujourd’hui que certains pays sont développés, c’est parce qu’il y a eu un brassage. Poura devrait en profiter. Aujourd’hui à Poura, il n’y a pas de distinction. Que tu sois Mossi, Gourounsi, Bovo, Diluas, Bwaba, Djian, Peulh, Dagara, tous ceux qui y vivent, nous sommes les mêmes. Même les déplacés qui sont venus, nous les avons accueillis à bras ouverts. Nous avons couru gauche-droite interpeller la Croix rouge, l’action sociale pour que ces personnes puissent avoir le minimum. Quand nous avons quelque chose, on leur donne. Les orpailleurs qui viennent d’ailleurs, c’est normal. Le Burkina c’est pour nous tous. Nous aussi on se retrouve quelque part. C’est pour dire que cette multitude d’ethnies qui se trouvent à Poura, en tout cas, doit être un avantage pour booster notre développement.
Votre mot de fin
Je veux demander à l’ensemble de la population de la commune de Poura, que le combat que nous sommes en train de mener, ce n’est pas un combat qui est dressé contre quelqu’un. Ce n’est pas parce qu’on en veut à quelqu’un ou bien à des gens que nous le faisons. Nous sommes à la mairie, ça fait la sixième année qui est en train de commencer. Nous sommes-là pour aider à protéger la population. On dit que tout ce que nous sommes en train de faire, c’est parce que nous sommes en bonne santé.
Tant qu’il n’y a pas la santé, on ne peut pas être-là aujourd’hui pour parler de richesse. Donc, je demande à chacun de comprendre que le traitement de minerai dans une ville n’a pas d’avenir si ce n’est que de tuer ou bien de donner la mort aux autres et même à soi-même. Encore, l’utilisation anarchique et abusive du cyanure dans la commune de Poura, que tous ceux qui y sont, sachent que c’est bon qu’ils soient encadrés, organisés. Un travail qui n’est pas encadré, qui n’est pas organisé, sachez que vous-mêmes les auteurs n’allez pas gagner. Je demande à l’ensemble de la population, un esprit de civisme, de compréhension.
Dimitri Ouédraogo,
Auguste Paré (photos et vidéo)
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