Au Burkina, la retraite n’a jamais été perçue comme un heureux événement. Ce repos bien mérité est assimilé à une mort certaine du travailleur, non pas à cause de la chaise longue, mais à cause de la perspective de la raréfaction des revenus.

C’est qu’en dehors de son salaire, le travailleur (honnête et consciencieux, c’est selon) n’a rien d’autre ; une situation de laquelle tentent de sortir ceux de la génération actuelle à force d’absentéisme et d’affairisme au détriment même de leur boulot. Qui est fou ? entend-t-on dire ; surtout que la pitance trimestrielle servie par la CARFO ou la CNSS permet à peine de pouvoir tirer la queue nue et courte du diable.
En somme, on est loin des schémas où le travailleur s’empresse de voir sa retraite arriver ou même l’anticipe pour jouir d’un repos bien mérité, ou profiter de ses cotisations, ou encore pour se consacrer à autre chose. Dans ces cas-là la prolongation de l’âge de la retraite aurait été une mauvaise nouvelle.

Mais on est au pays des Hommes intègres, où l’on ignore le planning familial (donc à deux doigts de la retraite on se fait un dernier enfant), où l’on collecte les épouses au gré des circonstances (avec une jeune épouse pour les vieux os)... Tout ça fait des charges trop lourdes pour un retraité, surtout si, pendant toute sa carrière, on n’a pas songé à se construire un petit logis, ou toujours ignoré l’importance d’un compte d’épargne.

Les travailleurs vont donc plus longtemps se tuer à la tâche... avec plaisir. Pour tous ceux qui sont dans ce cas, la décision du PF est en effet du pain béni. Idem pour une autre catégorie, celle des gros poissons qu’une retraite anticipée aurait éloignés des hautes fonctions juteuses qu’ils occupent actuellement. Ainsi, c’est désormais une chance nouvelle qui leur est offerte d’éponger les gros prêts ou de terminer des grands projets (neuf fois sur dix des immeubles à finir ou des entreprises à monter).

Bref, cette histoire de prolongation de l’âge de la retraite, ce sont des lots aux heureux gagnants et les bénéfices à leurs ayants droit ; une opération que l’on pourrait inscrire aussi (sans cynisme) dans la longue liste des initiatives de lutte contre la pauvreté. Les salaires n’augmentent pas mais leur durée s’allonge. C’est comme pour la tendance actuelle des cartes de recharge des téléphones mobiles. Pourvu que les bénéficiaires présents et futurs de ce sursis se mettent vraiment à travailler et non pas à préparer leur prochaine vraie-vraie retraite.

Au-delà des questions de sous qui passionnent et du débat sur la jeunesse actuelle des retraités, il faudra se concentrer sur le parti que l’Etat ou les employeurs du privé doivent en tirer en termes de rentabilité et d’efficacité. Le pays des Hommes intègres a certainement plus besoin de travailleurs que de temps de travail pour sortir du sous-développement.

Roger Cynique
Journal du jeudi