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Décès du Pr André Nyamba : Témoignages émouvants des proches

4 mai 2016, 19:45, par Mechtilde Guirma

Je me rappelle que lors de la rencontre internationale sur l’ethnicité, identité et processus démocratique en 1998 (la conférence avait été organisée par la faculté de sociologie de l’Université libre de Bruxelles et la faculté des Sciences politiques de l’Université de Ouagadougou), le professeur Nyamba dans sa communication s’est bien payé de la tête des Mossé en reprenant de façon ludique la description du « colporteur Mossi » (par un auteur français et consigné dans nos livres de « morceaux choisis » et sujet de nos dictées dans les lycées et collèges de l’époque coloniale). Il l’a fait de façon très subtile sans même prononcer le mot mossi de telle sorte que personne ne puisse contre attaquer. Mais chaque phrase provoquait le rire de l’assistance. Le professeur en quittant la chaire fut longuement applaudi et par moi aussi d’ailleurs. Cependant, le professeur se doutait-il d’une éventuelle réponse par quelqu’un d’autre qui s’y serait reconnu et réagirait ? Moi en tout cas je n’en ai pas douté puisqu’il a quitté immédiatement la salle après sa communication. Mais le mystère n’était que pour les étrangers qui étaient là.

Puis vint mon tour où je devais présenter à l’assemblée mes recherches sur « La case des ancêtres, démocratie et valeurs culturelles ». J’avais évidemment préparé ma flèche. Donc avant de commencer ma communication, je fis cette parenthèse à peu près en ces termes : « Il faut que notre yamba là (yamba en moré veut dire esclave) sache que nous les mossé nous ne pouvons pas nous contenter de figues sauvages comme cela se passe peut-être chez eux, mais il nous faut aller à Salaga (origine, au même titre que Gambaga, de l’ethnie moagha, la case des ancêtres en territoire ghanéen) chez nos parents maternels chercher la noix de cola (la friandise qui prime toutes les autres friandises du fait de son importance socio-culturelle dans les activités, qu’elles soient économiques politiques ou religieuses). La mention de parents maternels dans ma réaction « contre » le professeur NYamba le Samogo, rangeait également derrière moi les professeurs de l’Université, des grandes ethnies : Dagara, Birifor, Lobi, Gan, et d’autres dans la salle. Alors les autres professeurs (surtout les Mossi requinqués) qui étaient là se précipitèrent chez lui et lui dire fièrement qu’une réponse lui avait été bel et bien appliquée.

Nyamba ne s’avouant pas vaincu, revint à la séance suivante, et en prenant la parole pour une éventuelle question il commençant par un « rectificatif » de son nom pour expliquer qu’il ne faudrait confondre l’orthographe du nom N Yamba, à celle du vulgaire mot de yamba, parce son nom indique un grand maître (des Mossé sous-entendu). Rire de toute la salle

Moralité, le professeur savait que dans les us et coutumes burkinabé, on peut attaquer verbalement son ennemis, mais tant qu’on ne le fait pas nommément, ce dernier ne peut répondre sinon il y aura risque de conflit, et en cas de jugement il ne peut y avoir raison.

Dans le cas de ma réponse tout aussi subtile que la sienne, il a trouvé la réplique adéquate mais en la déclassant sur une autre séance d’un autre sujet et sur un terrain neutre qui lui donnait toute latitude en raison du fait qu’il fallait d’abord se présenter avant de prendre la parole.

Vous l’auriez tous compris tout de suite, le professeur de façon pédagogue, aurait introduit ce langage de sourd de nos traditions et l’aurait intégré dans le principe premier de la parenté à plaisanterie qui est un ciment politique très fort entre les ethnies au Burkina-Faso.

Nous étions alors au début des réflexions sur la question de la démocratie à partir des concepts ethniques qui, s’ils posent problème dans de nombreux pays d’Afrique, le Burkina reste par excellence le modèle parfait de ce dialogue interculturel pour la paix et la stabilité politique.

« Heureux les artisans de paix car ils seront appelés Fils de Dieu » (Mathieu, 5, 9)

Aussi le professeur Nyamba n’a donc pas manqué l’occasion de proclamer au monde ce message divin de la paix en utilisant son talent d’orateur tribun dans les prétoires des temples du savoir du Burkina, d’Afrique toute entière… et du monde international.

Certes le Burkina vient de perdre un trésor immense en la personne du professeur Nyamba, mais ce que nous ne devons pas oublier, c’est qu’il a laissé un gros héritage en traçant avec tous ses autres collègues de nos universités (auxquels d’ailleurs je présente mes condoléances) les sillons des voies d’or vers l’émergence du continent. Et c’est sur ces objectifs, désormais, que nous devons fixer notre attention si nous voulons garder le professeur Nyamba toujours vivant parmi nous.

Que la terre de « ses maîtres » lui soit légère, et que son épouse, ses orphelins et tous ses parents y prospèrent à jamais.


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