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Variabilité climatique et dynamique d’occupation des terres dans le bassin versant du barrage de Yakouta (Sahel Burkinabè)

Publié le mercredi 12 août 2020 à 13h00min

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Variabilité climatique et dynamique d’occupation des terres dans le bassin versant du barrage de Yakouta (Sahel Burkinabè)

Dr Blaise Ouédraogo est chercheur à l’INERA. Il décrit dans les pages qui suivent les conséquences du changement climatique sur la dynamique de l’occupation des terres dans le sahel burkinabè.

Introduction

Le changement climatique global se traduit localement par plusieurs évolutions qui modifient les conditions de production. Le climat comporte toujours une part d’incertitude et la gestion du risque climatique est donc l’une des caractéristiques des systèmes agraires et de leur interaction avec le milieu dans lequel ils s’inscrivent. L’évolution du climat est une réalité ressentie par les paysans, qui se traduit en particulier par une augmentation de la sécheresse, des phénomènes extrêmes et du caractère aléatoire des cycles saisonniers, avec de forts impacts sur les exploitations en termes de rendement, et parfois des conséquences directes sur les moyens de production.

Pour ce faire, les producteurs comme le dit Zoungrana Tanga Pierre (2009), dispersent à dessein les parcelles d’exploitation dans l’intention de faire coïncider la carte des cultures à celle des aptitudes des sols. La dynamique de l’occupation des terres est donc guidée par le besoin du producteur d’atténuer les effets de la variabilité climatique sur son exploitation. La sédentarisation de pasteurs reconvertis à l’agriculture a conduit à une extension des terres de culture au détriment de terres marginales, de zones à vocation forestière et pastorale.

Au regard du caractère dominant de l’agropastoralisme, la question de la gestion des ressources naturelles est devenue une question importante pour l’amélioration de la production et de la préservation des écosystèmes. Les conséquences de la variabilité climatique sont perceptibles et dictent l’orientation des activités des populations rurales à la recherche de bonnes terres agricoles et de pâturages pour le bétail.

Contexte géographique

Situé dans le Sahel à 300 km de Ouagadougou, l’exutoire de la rivière Goudébo est le site du barrage de Yakouta. La rivière vient traverser le village de Yakouta par une dune d’allongement Est-Ouest. Ce site présente un encaissement d’une vingtaine de mètres, exceptionnel pour cette région, qui a permis la création d’une retenue de plus de 26 millions de m3. C’est dire l’importance de l’ouvrage dans son contexte climatique et socio-économique.

Le bassin versant est compris entre 13°49’18,12’’ et 14°12’45,36’’ de latitude Nord et entre 0°36’30,96’’ et 0°4’55,2’’ de longitude Ouest (Fig. 1) et couvre une superficie d’environ 1800 km2. Le lac du barrage s’étend sur 21 km et draine 11 villages riverains que sont : Yakouta, Katchari, Dani Djigo, Oulo, Bombofa, Dangadé, Péoukoye, Yirga, Hoggo Samboel et Nobiol. Ces villages profitent de la disponibilité de l’eau pour développer des activités de subsistance en culture pluviale et du maraîchage de contre saison. Il y a également l’installation d’autres activités de grande envergure notamment la ferme semencière de Oulo.

Le climat est de type sahélien, avec un régime pluviométrique uni modal s’inscrivant entre les isohyètes 400 et 500 mm. Le total pluviométrique moyen annuel de la station de Dori est de 484 mm entre 1961 et 2018. La saison des pluies s’étend de mai-juin à septembre-octobre.). Les températures sont très élevées avec une moyenne toujours supérieure à 30°C.

L’évaporation est très importante et estimée à plus de 2 m d’eau évaporée chaque année. De nos jours, les effets des changements climatiques sont une réalité dans la région du Sahel, les précipitations sont irrégulières avec une inégale répartition spatio-temporelle dans la même campagne et d’une campagne à l’autre. L’inégale répartition des pluies se caractérise par des poches de sécheresses pendant la saison pluvieuse et des inondations. Cette irrégularité des précipitations cause de nombreuses difficultés dans la pratique des activités agro-sylvo-pastorales.

Fig. 1 : localisation de la zone d’étude.

La végétation : le type de végétation est caractéristique des formations sahéliennes, Les formations végétales vont de la steppe arbustive à la steppe herbeuse. Elles sont remplacées aux abords des cours d’eau, par la forêt galerie à Hallea Inermis. Ces formations végétales sont très dégradées à cause des actions anthropiques notamment le surpâturage.

Méthodologie de la recherche

Les données utilisées se composent principalement des données de télédétection et de données climatiques. L’imagerie satellitaire LANDSAT a été choisie pour la cartographie de l’occupation du sol, elle offre un niveau de détail suffisant pour repérer les caractéristiques de la couverture terrestre. Les images Landsat des années 2000, 2010 et 2018 ont permis d’analyser en détail certaines caractéristiques biophysiques comme la couverture végétale et la texture de l’activité humaine dans la zone.

L’analyse de l’évolution du climat a été faite avec les données de pluviométrie et de température de la période 1961 à 2018.

La classification des images a permis de retenir 7 classes d’occupation que sont : le Plan d’eau, la formation ripicole, la steppe arborée, la steppe arbustive, la steppe herbeuse, les champs et les sols érodés. L’analyse des changements d’occupation des terres du secteur d’étude a été faite à travers la cartographie des états de l’occupation des terres suivant les trois dates 2002 ; 2010 et 2018. Une matrice de transition a été construite et qui indique pour chaque classe, la superficie pour l’année la plus ancienne qui est restée dans la même classe ou qui est passée dans une autre classe.

Les résultats et analyse
-  Caractéristiques et éléments du climat

L’analyse de séries pluviométriques (+de 50 ans) a permis de repérer des périodes de sécheresse qui s’étendent sur plusieurs décennies, comme c’est le cas dans les régions sahéliennes (1970 à 2003) et qui a englobé deux (2) grandes périodes de sécheresses. Elle peut engendrer la dégradation de la couverture végétale exposant, par conséquent, les sols à une érosion hydrique et éolienne plus intense.
Quelques graphiques montrent l’évolution des précipitations sur une période de plus de 30 ans.

Source des données : Agence Nationale de la Météorologie, 2019 Fig. 2 : Irrégularité interannuelle des précipitations de 1961 à 2018, à la station synoptique de Dori

L’Indice Standardisé des Précipitations, ou en anglais Standardized Precipitation Index (SPI) créé par McKee et al. (1993) répond à la formule suivante : SPI = (Xi - Xm) / Si
Où, Xi est le cumul des pluies pour une année i ;
Xm et Si, sont respectivement la moyenne et l’écart type des pluies annuelles observées pour une série de données. Cet indice définit la sévérité de la sécheresse en différentes classes. Les valeurs annuelles négatives indiquent une sècheresse par rapport à la période de référence choisie et les positives une situation humide. Des alternances de périodes humides et sèches sont par conséquent constatées sur le graphique ci-dessous :

Source des données : Agence Nationale de la Météorologie. Fig.3 : Variation de l’indice SPI de 1961 à 2018

L’étude de la variabilité climatique implique non seulement l’analyse de
-  Etat des occupations des terres en 2002, 2010 et 2018
Les cartes d’occupation illustrent spatialement et quantitativement les unités d’occupation des années 2002, 2010 et 2018.

Fig.4 : Occupation des terres en 2002, 2010 et 2018

Evolution des unités d’occupation

En 2002, c’est à dire avant l’installation du barrage, l’occupation des terres était marquée par la présence d’une plaine de steppe herbeuse et humide qui accueillait le bétail toute l’année. Les formations ripicoles occupaient une superficie de 2500 ha en 2002 et de 1509 ha en 2010 et de seulement 803 ha en 2018. Les steppes arborées et arbustives représentaient respectivement 10743 ha et 41559,78 ha en 2002 et sont passées à 5933 ha pour la steppe arborée et à 31336 ha pour la steppe arbustive en 2018.

L’occupation par les activités agricoles (champs) ont connu une évolution de 6000 ha entre 2002 et 2010 ; en 2018 cette occupation a perdu environ 8000 ha par rapport à 2010. En plus des conditions climatiques défavorables, la question de l’insécurité liée au terrorisme a freiné énormément les activités agropastorales dans le bassin versant de Yakouta.

Fig.5 : Evolution des spatiale des unités d’occupation

L’expansion des unités d’occupation (figure 7)

L’expansion se caractérise par une augmentation du plan d’eau d’environ 20 %, de la steppe herbeuse (3,71%) et des sols nus (2%). Les régressions concernent les formations ripicoles (19,29%), les steppes arborées et arbustives (15%) et les champs (2%)/

Fig. 6 : Expansion spatiale des unités d’occupation 2002 et 2018

La modification de l’espace

La structure générale du paysage est caractérisée par beaucoup de petits polygones dont la taille est variable. Cela dénote d’une fragmentation du couvert végétal de la zone d’étude qui est élevée. Il s’agit de déterminer le nombre de taches ou d’ilots sur la zone d’étude en une période donnée, la densité de taches, les gains ou les pertes des unités d’occupation sur les périodes de l’étude.

La distribution spatiale des ilots d’occupation permet d’appréhender la dynamique de fragmentation de l’espace entre 2002 et 2018. Les ilots sont les unités qui composent un type d’occupation.

Fig.7 : Proportion de fragmentation de chaque unité d’occupation

La figure 8 montre que la steppe herbeuse a connu une plus forte fragmentation suivie de la steppe arbustive respectivement de 4,31% et 138,43% entre 2002 et 2018. L’apparition de nouvelles taches d’érosion pourrait donc s’expliquer par une exploitation minière du milieu et surtout des conditions climatiques dégradantes.

Détection des changements : la matrice de transition de l’occupation des sols entre 2002 et 2018

La matrice de transition de 2002 et 2018 a permis de mettre en évidence les différentes formes de conversion des unités d’occupation entre les deux périodes étudiées. Elle représente la valeur de la superficie des unités qui ont changé de classe ou non entre 2002 et 2018 ; et est constituée de x lignes et de y colonnes.

Le nombre x de lignes de la matrice indique le nombre d’unités d’occupation présentes en 2002 tandis que le nombre y de colonnes de la matrice indique le nombre d’unités converties en 2018. Quant à la diagonale, elle contient les superficies des unités paysagères restées inchangées. Dans cette matrice, les transformations se font des lignes vers les colonnes. L’examen de la matrice de transition (tableau 1 révèle que toutes les unités d’occupation des terres observées en 2002 sont également présentes en 2018.

Tableau 1 : Matrice de transitions 2002 et 2018

Source : Matrice issue du croisement des classes d’occupation des terres de 2002 et 2018

La diagonale du tableau représente la surface en hectare de chaque classe d’occupation des terres qui est restée stable en 16 ans, soit 62,53 % de l’espace d’étude. Autrement dit, c’est moins de la moitié de l’espace d’étude qui a connu une mutation (35%). Les unités d’occupations en champs, en formation ripicole et en steppe arbustives ont connu une régression. Cependant les plans d’eau, les steppes herbeuses et les sols nus ont connu des augmentations.

Les facteurs du changement d’occupation des terres

La prise de décision du producteur dépend de plusieurs facteurs qui peuvent intervenir à l’échelle locale, régionale ou même globale. Les facteurs d’orientation de l’occupation des terres sont généralement exogènes aux agropasteurs qui n’exercent pas de contrôle sur ces facteurs. Le climat est l’un des facteurs qui influence les changements d’utilisation des sols.

Plusieurs études récentes ont montré l’existence de relations complexes entre le changement climatique et les changements d’occupation des sols. La dégradation des ressources naturelles est corrélée à la diminution de la pluviométrie et à l’augmentation de la population. Ses conséquences sur les productions agricoles ont en outre contribué à accroître la pression anthropique sur les ressources naturelles.

La tendance à l’augmentation des températures n’est pas non plus sans conséquences, car elles influencent la vie des plantes. Les phénomènes climatiques extrêmes sont de véritables catalyseurs de la dégradation du milieu biophysique qui s’exprime par l’extension des sols dénudés, la réduction des herbacées avec une réduction de la productivité agricole.
Elles mettent en évidence que ces changements apparaissent tour à tour comme un des facteurs explicatifs du changement climatique et comme une conséquence de ce dernier.

Adaptation à la variabilité climatique par des stratégies d’occupation de l’espace

Face à la modification des conditions climatiques, les producteurs du Sahel ajustent leurs activités en fonction de l’évolution des saisons.
Plusieurs pratiques d’adaptation sont observées dans le bassin versant. Les producteurs optent souvent pour l’occupation des bas-fonds pour bénéficier plus de l’humidité en cas de déficit pluviométrique et pour les sols en hauteur en cas d’inondation.

Dans une économie dominée par l’autoconsommation, les ménages ont le souci de produire toutes les denrées dont elles ont besoin. Or la qualité et la distribution des sols ne permettent pas de satisfaire cette ambition. Certains producteurs augmentent délibérément les superficies cultivées pour combler le déficit céréalier. La pratique de la culture maraîchère pourrait réduire en partie cette incertitude climatique. La solution préconisée reste l’intensification de l’agriculture avec la maitrise de l’eau pour l’irrigation.

Quant à l’élevage, la transhumance en saison sèche s’est accentuée ces dernières années avec le manque d’aliments du bétail. Cette activité semble être une solution pour l’adaptation à la répartition spatio-temporelle inégale des ressources pastorales et hydrauliques. Dans ce secteur d’activité aussi, une approche plus intensive avec une meilleure intégration agriculture élevage s’avère indispensable.

Conclusion

Les pressions exercées sur l’espace déterminent les réponses d’adaptation développées par les populations en vue de maintenir ou d’améliorer la productivité du milieu.

Cette étude a eu pour ambition de rechercher l’influence de la variabilité climatique sur la dynamique de l’occupation du sol et les stratégies des producteurs pour s’adapter. Les résultats obtenus montrent le potentiel de l’utilisation de la télédétection et du système d’information géographique pour la caractérisation de l’état de l’occupation du sol et son évolution spatio-temporelle à partir des traitements effectués sur une série d’images satellites. La réduction de la pluviométrie a en effet provoqué de profondes modifications de l’espace et orienté les stratégies d’occupation des terres par les agropasteurs.

Pour en savoir plus

1. Ouédraogo Blaise, Kaboré Oumar, Dama-Balima Mariam Myriam, et Gansaonre Raogo Noel (2020) : Variabilité climatique et occupation des sols dans le bassin versant du barrage de Yakouta (Sahel Burkinabè). International Journal of Innovation and Scientific Research, ISSN 2351-8014 Vol. 49 No. 1 Jun. 2020, pp. 25-38, © 2020 Innovative Space of Scientific Research Journals. http://www.ijisr.issr-journals.org/

2. Ouédraogo B., Ouedraogo L., Kaboré O. 2015. Fragmentation de l’espace et conflits d’usage au sahel : cas du bassin versant de Yakouta (Burkina Faso). Int. J. Biol. Chem. Sci.,
December 2015, Volume 9, Number 6. ISSN 1991-8631 (Print), ISSN 1997-342X (Online)

3. Ouedraogo Blaise 2015 : Stratégies d’adaptation des agropasteurs à la variabilité climatique dans le bassin versant de Yakouta (Burkina Faso) Thèse de Doctorat Unique de l’Université de Ouagadougou.

Contact de l’auteur : blaise32fr@yahoo.fr

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