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Contribution de la femme à la réduction de la pauvreté au Burkina Faso : cas des étuveuses de riz de Bama

Publié le mercredi 19 décembre 2018 à 18h10min

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Contribution de la femme à la réduction de la pauvreté au Burkina Faso : cas des étuveuses de riz de Bama

Introduction
Pour succéder aux objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), l’Organisation des Nations unies (ONU) a travaillé avec les gouvernements, la société civile et les différents partenaires au développement dans le but d’exploiter la dynamique dégagée par les OMD, pour élaborer un programme de développement ambitieux pour l’après-2015 : le Programme de développement durable à l’horizon 2030. Il s’articule autour de 17 objectifs mondiaux pour le développement durable, organisés en 169 cibles pour être plus efficaces (ONU, 2018, p.6). Ce programme fait des femmes, des actrices déterminantes dans l’atteinte de ces objectifs (ONU, 2014, p.1). C’est ainsi qu’en s’inspirant des acquis et aussi des insuffisances des OMD, les objectifs du développement durable (ODD) ont été déterminés pour mettre fin à toutes les formes de pauvreté, combattre les inégalités et s’attaquer aux changements climatiques, en veillant à ne laisser personne de côté (ONU, 2018, p.4). À la lumière de cet objectif d’équité, et afin de mieux se conformer à un de leurs trois principes directeurs qui est l’inclusion sociale, les ODD ont décliné de façon particulière la prise en compte du genre dans leur principe 5 à savoir, parvenir à l’égalité des sexes et à l’autonomisation de toutes les femmes.

En dépit des abondantes ressources naturelles, humaines et culturelles dont dispose le continent africain, ses habitants demeurent pauvres et ce sont les femmes qui sont le plus durement touchées par cette pauvreté. Cette situation tient partiellement aux inégalités sociales et au manque d’opportunités en matière d’accès aux ressources et aux moyens de production.

En effet, l’investissement dans l’autonomisation économique des femmes est une des voies majeures vers l’égalité des sexes, l’éradication de la pauvreté et une croissance économique inclusive. Les femmes apportent une contribution considérable à l’économie du continent, que ce soit au sein d’entreprises informelles, dans les exploitations agricoles dans lesquelles elles sont propriétaires ou employées comme de la main-d’œuvre.

À cela s’ajoute leur travail non rémunéré au sein de leurs ménages d’appartenance. C’est ce que reconnait Charmes, (2005, p.257), lorsqu’elle affirme que l’Afrique subsaharienne figure parmi les régions ayant les taux d’activité économique des femmes les plus élevés au monde. Pourtant, elles sont encore touchées de manière disproportionnée par la pauvreté, la discrimination et l’exploitation.

Au regard de cette réalité, de nombreux organismes internationaux tels ONU Femmes, des organismes non gouvernementaux, et des associations locales mènent des actions tant sur les plans structurels que conjoncturels afin de réduire les inégalités dont elles sont victimes et de soutenir leur contribution au développement économique et durable.

Dans le cas spécifique du Burkina Faso, la volonté existe de déployer des politiques, des voies et des moyens pour améliorer la participation politique économique, sociale et culturelle des femmes et des personnes vulnérables au processus de développement du pays. Cette posture est déclinée dans le Plan National de Développement Economique et Social du Burkina Faso (PNDES, 2016-2020) Ouédraogo, (2018, p.2).

Malgré les avancées issues de cette orientation politique, de fortes discriminations de genre persistent, défiant les engagements régionaux et internationaux. De nombreuses entraves demeurent quant à l’autonomisation des femmes et l’atteinte de la parité (OCDE, 2018, p.16). C’est dans ce contexte que la présente étude se propose d’analyser la place du leadership féminin dans la promotion des objectifs de développement durable en Afrique francophone et plus précisément au Burkina Faso à travers l’étude de cas de l’Union des Groupements d’Étuveuses de Riz de Bama (UGER-B). Elle s’articule autour du cadre géographique, l’approche méthodologique, les résultats et la discussion.

Cette étude a été réalisée à travers des entretiens semi-directifs auprès de 30 femmes de l’UGER-B dans la région des Hauts-Bassins province du Houet, département de Bama. Situé à une vingtaine de km de Bobo-Dioulasso, sur l’axe Bobo-Faramana (frontière du Mali). La contribution de la femme à la réduction de la pauvreté a été analysée au prisme de la théorie du changement social.

Caractéristiques sociodémographiques et stratégie organisationnelle des femmes de l’UGER-B

L’analyse des caractéristiques sociodémographiques des répondants révèle que les femmes de l’Union sont pour la plupart mariées. Aussi, elles ont au mieux soit un niveau d’étude primaire, soit une expérience d’alphabétisée.

L’Union des Groupements d’Étuveuses de Riz de Bama est composée de 687 femmes issues de 09 groupements de base (qui sont les groupements de productrices au niveau des quartiers). Elle a été créée en 2007 et rendue fonctionnelle en 2009 par les femmes des producteurs de riz afin de faciliter l’écoulement de riz paddy qu’elles produisaient.

Sur le plan organisationnel, l’union dispose d’un conseil d’administration composé de deux (2) représentantes de chaque groupement, un bureau composé de six (6) membres et de trois (3) comités qui travaillent en synergie à savoir le comité d’approvisionnement, le comité de contrôle, et le comité d’équipement. L’union veille à la mutualisation du matériel de productions, la gestion des équipements, la négociation des prix avec les producteurs, dont certains sont en réalité des membres des familles des étuveuses (frères, mari, père. Etc..) ;

L’union approvisionne également les cantines scolaires à travers un accord de commercialisation avec le Ministère de l’Éducation Nationale et de l’Alphabétisation (MENA). Elle approvisionne également la Société Nationale de Gestion du Stock de Sécurité Alimentaire (SONAGES). Par ailleurs, l’UGER-B contrôle les processus de production, la qualité des produits finis. Elle fait la promotion du riz de Bama et organise des formations à l’intention de ses membres.

L’union produit du riz étuvé, mais également du riz non étuvé selon les besoins du client. Elle dispose du mode de fonctionnement qui lui est propre. En effet, lorsqu’un partenaire fait une commande de riz, deux cas de figure peuvent se présenter : si les délais de livraison sont brefs, l’union collectionne le riz déjà conditionné individuellement par ses membres, le reconditionne et procède à la livraison du produit.

Cependant, en cas de délais de livraison assez longs, la matière première (le riz paddy) est achetée chez des producteurs locaux et conditionnée par l’union pour être vendue. À cet effet, les étuveuses des 09 groupements composant l’union se succèdent à tour de rôle et par semaine pour le travail. Dans ce contexte, les présences de chaque femme aux activités sont comptabilisées pour les besoins de rémunérations.

Depuis sa création à nous jours, l’union a connu un essor considérable. En effet, « avec un fonds de roulement de 6.000.000 FCFA à ses débuts en 2009, 20 ans après, l’union est à 200. 000.000 de FCFA de chiffre d’affaires en (2018) ».
La rémunération se fait à la fin de chaque cycle de production. Le conseil d’administration fait un bilan d’activité faisant ressortir les bénéfices. Celles-ci sont réparties comme suit :
10% pour les 09 groupements de bases desquelles proviennent les femmes ;
20% pour l’Union ;

70% pour les étuveuses au prorata de leur participation aux activités.
En outre, dans leur activité de productions, les femmes de l’union valorisent les sous-produits du riz paddy issu du décorticage comme combustibles. Cela leur permet de réduire l’utilisation de combustibles fossiles au sein de leur organisation.

Situation socioéconomique des membres de UGER-B

La plupart des étuveuses interviewées affirment que leurs appartenances à l’UGER-B a une incidence positive sur leurs revenus et leurs conditions de vie. C’est ainsi que certaines d’entre elles ont pu ouvrir des comptes épargne à la caisse populaire. Les revenus moyens annuels que les femmes tirent des activités de l’union sont représentés par la figure ci-dessous.

Ces revenus permettent aux femmes de contribuer efficacement à la satisfaction des besoins de leurs familles, notamment les besoins primaires comme la santé l’alimentation et la scolarisation des enfants. Ce revenu est délimité par l’aire bleue de la figure 2 au cours des deux derniers cycles de production.

Figure 2 : évolution du revenu de l’activité d’étuvage des femmes au cours des deux dernières années

Retombées socioéconomiques d’une organisation féminine locale dynamique

La dynamique de fonctionnement de l’Union UGER-B ainsi que les résultats qu’elle a engrangé, illustrent à quel point les femmes rurales burkinabè sont capables de s’organiser pour mener des activités génératrices de revenus afin de renforcer leur autonomie socioéconomique. Comme le souligne, le Ministère de la Promotion de la Femme (MPF), « les contraintes à l’autonomisation économique et sociale de la femme résident aussi bien à l’échelle du ménage que de la société (MPF, 2009, p.12). Cependant, en dépit de ses obstacles d’ordre socioculturels, loin de s’apitoyer sur leur sort, les femmes rurales burkinabè s’organisent en structures faitières sous l’impulsion de l’État et/ou des organismes de développement (Organisme non gouvernemental (ONG) et associations) afin d’améliorer leur situation au sein de la société ».

En effet, comme l’a mentionné F. Ouédraogo, (2018 ; p.2), elles mettent généralement en œuvre des activités orientées vers plus d’autonomie économique dans le but de jouer un rôle de plus en plus important de participation au développement local. Le nombre important de femmes qui, aujourd’hui, sont membres d’un groupement ou d’une association est un indicateur majeur, caractéristique de cette dynamique. L’appartenance des femmes aux groupements de bases et à l’union et les bénéfices qu’elles y tirent contribuent à l’amélioration de leurs revenus (figure 2) et leur bien-être familial.

Cela corrobore les résultats de R. Ouoba et al., (2003 : p.19) selon lesquels une bonne partie des revenus des femmes sont investis dans l’accès aux soins de la famille notamment des enfants. De même, à travers son mode de fonctionnement, l’Union UGER-B est un cadre d’expression du leadership et de renforcement de la position sociale des membres. L’union est également le lieu par excellence de formations continues pour ses membres. À ce sujet, B. Ouattara et al., (2010 : p.1), disaient que : « l’indépendance financière des femmes est également essentielle pour permettre à la femme de gagner confiance en elle et d’atteindre des postes à responsabilités. Pour émerger comme leader féminine, la femme devrait d’abord être autonome au plan financier pour inspirer le respect aux hommes puis, alors la femme sera sera plus écoutée… »

Aussi, au regard des résultats de cette étude nous pouvons dire que l’UGER-B est porteuse d’un changement social dans la communauté de Bama. Son impact sur l’empowerment, l’indépendance économique des femmes ainsi que l’amélioration des conditions de vie de leurs ménages nous permet d’affirmer au sens de G. Rocher (1973) que les étuveuses de riz de Bama sont des vectrices de transformations socioéconomiques observables et vérifiables sur le moyen terme, localisables géographiquement et socialement.

Dans la commune rurale de Bama l’activité d’étuvage de riz est devenue une activité économique solidaire collective, parce qu’elle implique une collectivité ou un secteur appréciable d’une collectivité. Elle affecte les conditions ou les modes de vie, ou encore l’univers mental de plusieurs personnes. De plus, c’est un changement de structure ».

Pour le même auteur, le changement social peut s’expliquer sous les angles de la « démographie, du progrès technique, du développement économique, des valeurs culturelles et idéologiques, de l’innovation, et enfin des conflits sociaux ». Ici, les angles du développement économique, des valeurs culturelles et idéologiques se prêtent bien à notre analyse.

Aux résistances socioculturelles du début de leurs activités, les femmes à force d’effort sont pour certaines d’entre elles, les piliers économiques de leurs ménages. C’est dans ce sens que la présidente de l’union a affirmé ceci : « A nos débuts, nous avions des problèmes avec les maris des femmes. Cependant, avec le temps et la rentabilité des activités, ce sont les hommes eux-mêmes qui venaient déposer leurs femmes au siège de l’union ». Cela témoigne du changement psychosociologique qui s’est opéré chez ces hommes.

Par ailleurs l’approvisionnement des cantines scolaires de la localité par l’union, déclinée au cours de cette étude, de même que l’approvisionnement de la Société Nationale de Gestion du Stock de Sécurité Alimentaire qu’elle honore, sont la preuve qu’au-delà de leurs familles nucléaires et de leurs localités respectives les femmes sont à même d’apporter leurs contributions à la dynamique de développement des États.

Conclusion

L’égalité des sexes est l’une des clés de voute de l’agenda du développement durable, et est un enjeu majeur pour les pays en développement. Les Nations Unies et l’Union africaine (UA) l’ont respectivement placée au centre des Objectifs du Développement Durable (ODD) à l’horizon 2030 et de l’Agenda 2063.

Ces agendas ambitieux inscrivent les droits des femmes au cœur du développement en Afrique et au-delà, à travers des sociétés et des économies plus inclusives, qui bénéficient à tous les citoyens. De ce fait, le Burkina Faso s’est fermement engagé en faveur de ces objectifs.

En analysant le processus autonomisation des femmes, et réduction de la pauvreté au Burkina Faso, notre étude a montré que l’Union des Groupements d’Étuveuses de Riz de Bama représente un modèle réussi de leadership féminin contribuant efficacement à la réduction de la pauvreté et à l’atteindre des objectifs de développement durable.

De par leur dynamique organisationnelle judicieusement structurée et leur contribution à l’amélioration des conditions des vie des ménages d’étuveuses et leur localité (Bama) , il convient pour les autorités locales et nationales de soutenir et de promouvoir ce type d’organisation féminine par l’accompagnement commercial et une meilleure professionnalisation à travers un processus de formation continue des actrices afin de libérer le potentiel économique des femmes, favoriser la croissance et lutter contre la pauvreté.

Felix OUEDRAOGO
Ingénieur de recherche à INSS/CNRST ; Ouagadougou, Burkina Faso, doctorant en sciences politiques et sociales de l’Université Catholique de Louvain /Belgique felixouedraogo99@gmail.com


Bibliographie

Charmes, J. (2005). Femmes africaines, activités économiques et travail : de l’invisibilité à la reconnaissance. Revue Tiers Monde, (2), 255-279.
G. Rocher.(1968). Introduction à la sociologie générale, Tome 3, édition HMH, Paris, 1968, p.22.

Gilbert, A. (1986). L’analyse de contenu des discours sur l’espace : une méthode. Canadian Geographer/Le Géographe canadien, 30(1), 13-25.
Ministère de la promotion de la femme. (MPF). (2009). « Document de la Politique Nationale Genre » Burkina Faso, 56p.

Ouattara B., Goura Soulé B., Ouangraoua B., Damimif, Djermakoye M. H. M., Sidi F. M., Feraigon M. H., Sow M., Justo R. C., Ndoye S., 2010. Quelle place pour les femmes dans le leadership des organisations paysannes (OP) ? Extrait du Bulletin de l’Apad n°20, Genre et développement), Genre et développement, de la revue Grin de sel nº 50 — avril – juin. pp.12-14.

Ouedraogo F., (2018). Groupements de femmes rurales au Burkina Faso : Enjeux et défis pour un développement durable. Pour que la Terre tourne plus juste, Entraide et Fraternité, Burkina Faso, 10p.

Ouoba, R., Tani, M., & Touré, Z. (2003). « Analyse stratégique des enjeux liés au genre au Burkina Faso », rapport, 105 p.

Organisation des Nations Unie (ONU), (2014). Les femmes dans le monde, 2010 Des chiffres et des idées, New York, USA p.301.

Organisation des Nations Unie (ONU), (2018). Rapport sur les objectifs de développement durable 2018, New York, USA, 40p.

Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (2018). Étude pays Sigi-Burkina Faso. Social Institutions & Gender Index, Burkina Faso, 135p.

PNDES. (2016). Plan National de développement économique et social 2016-2020. Gouvernement du Burkina Faso : Ouagadougou, Burkina Faso. 97 p.

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