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Adama Rouamba, régisseur de la MACO : "La prison est un mal nécessaire"

Publié le lundi 22 août 2005 à 08h30min

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La prison est, pour beaucoup, l’univers des tortures de toutes sortes et des traitements inhumains de tous genres. Nombreux sont ceux-là aussi qui n’en savent pas vraiment grand-chose. Une situation de méconnaissance qui engendre des malveillances diverses .

Pour mettre fin à ce mystère qui entoure la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO), et permettre à plus d’un citoyen d’en savoir davantage, nous avons rencontré l’inspecteur de sécurité pénitentiaire et régisseur de la MACO, Adama Rouamba, qui a bien voulu s’entretenir avec nous sur les conditions de vie à l’intérieur de cet établissement.

Le Pays : Depuis la création de la MACO, c’est-à-dire en 1960, quel est le nombre total de détenus que vous avez enregistré et quel pourcentage représentent les femmes ?

Nous ne pouvons pas évaluer le nombre de détenus qui sont passés par la MACO depuis sa date de création, mais seulement des statistiques par période. Et c’est le service de greffe qui s’occupe des chiffres.

Quels sont les problèmes majeurs que l’on rencontre dans le milieu carcéral en général et en particulier à la MACO ?

En dehors de la violence où par moment il y a des cas de mutinerie, d’évasion où d’agression physique de certains détenus par leurs codétenus et rarement sur les membres du personnel, les problèmes vécus sont d’ordre social. Il s’agit de la prise en charge sanitaire , de l’alimentation et de l’hébergement. Nous manquons de place eu égard au taux élevé de la population carcérale.

Vous venez d’évoquer des cas de violence, d’agression et d’évasion. Face à de telles situations, comment réagissez-vous ?

Le règlement pénitentiaire prévoit un certain nombre de sanctions disciplinaires, en fonction du comportement fautif du délinquant au sein de l’établissement et nous suivons cette réglementation.

Rencontrez-vous aussi de tels agissements chez les femmes ?

Très rarement. Je suis là il y a pratiquement une année mais depuis lors on a eu des problèmes du genre avec seulement une femme qui, certainement, a dû opposer une résistance physique, sans violence à une de nos agents chargée de la ramener en cellule. En dehors d’elle nous n’avons pas encore constaté d’autres cas.

En dehors de la prison, d’aucuns racontent souvent que les prisonnières sont mal traitées, les gardes abuseraient souvent d’elles, qu’en est-il exactement ?

Comme vous le savez, la prison fait souvent l’objet d’une curiosité malsaine. Vous avez pu constater vous-même que les femmes sont isolées des hommes. C’est ce que nous appelons le principe de séparation des détenues selon leur catégorie. Je ne sais donc pas d’où pourrait émaner cette violence à l’égard des femmes et surtout pas du côté des agents de sécurité. Je n’ai pas encore pris connaissance d’une telle situation. Le régime des prisonniers ne leur permet pas d’entrer en contact avec les femmes sauf s’ils se croisent à l’infirmerie ou au parloir et ce ne sont pas aussi des endroits ou l’on peut tenter quoi que ce soit.

En ce qui concerne les cas de décès, comment les gérez-vous ?

Le véritable problème se pose à ce niveau lorsque l’individu est sans domicile fixe et qu’il n’a pas de parents au Burkina et que ceux-ci n’ont pas aussi un contact où l’on peut les joindre. Il y a même certains qui n’ont pas d’Ambassade. Je prends un pays comme le Liberia. Nous devons avoir recours à la représentation d’une communauté libérienne dans notre pays. Dès lors que les intéressés se rendent compte du motif, ils s’éclipsent et lorsqu’ils répondent à l’appel, sur place à la MACO, ils se contentent de nous regarder et c’est nous-mêmes qui exécutons les corvées. Pour les nationaux ou ceux qui ont des parents sur place, le problème ne se pose pas. Je n’ai pas encore géré un décès survenu ici mais, lorsque c’est le cas, la police vient procéder à un constat. Il y a en plus une descente, sur les lieux, du Procureur du Faso et, éventuellement du magistrat qui est saisi de son dossier. Si l’intéressé est inculpé, par la suite on procède aux autres formalités en vue de l’inhumer. Pour un détenu mort à l’hôpital par suite de maladie, le médecin nous délivre un acte appelé constat de décès et la police ou la gendarmerie vient également confirmer le décès. Et le processus est le même pour le reste.

Et pour les femmes enceintes, quel est le traitement qui leur est réservé ?

Elles subissent le même régime que les autres femmes et au moment de l’accouchement, nous procédons à leur transfert à la maternité de l’hôpital. Après l’accouchement, elles réintègrent l’établissement pénitentiaire parce que la loi prévoit que l’enfant peut rester avec sa mère jusqu’à l’âge de 2 ans en prison. Après ces deux années, si celle-ci n’est pas libérée, il faut une prise en charge de la famille ou de l’action sociale pour confier l’enfant à d’autres structures.

Qu’en est-il pour les cas de maladie ?

Tous les détenus malades sont conduits à l’infirmerie de la prison où ils sont consultés. Etant donné le nombre élevé des détenus du grand bâtiment, nous faisons accompagner l’infirmier de permanence par deux agents de sécurité pour les conduire à l’infirmerie. Chacun d’eux a une fiche médicale. Pour les cas graves qui nous sont signalés, nous les évacuons à l’hôpital. Le problème qui se pose est celui des frais médicaux. Il y a l’aumônerie catholique qui nous appuie à ce niveau mais la demande dépasse très souvent l’offre au point que l’aumônier n’arrive pas à y faire face. Notre budget non plus ne nous permet pas de supporter ces frais car cela coûte cher. Un des détenus qui avait par exemple pour tâche de surveiller les moutons s’est fait mordre par un serpent. Les premiers soins s’élevaient à 80 000 FCFA et le budget de l’établissement a dû supporter. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu d’indemnisation. Lorsque nous procédons à des évacuations c’est que l’état du détenu le nécessite vraiment. Et dans ces conditions, nous ne pouvons pas rester indifférent.

Les détenus n’ont pas souvent les moyens de couvrir les frais de consultations ; comment sont-ils soignés alors ? Est-ce les parents qui honorent les ordonnances ou la MACO ?

Par le biais de la direction de l’administration pénitentiaire, nous recevons très souvent des médicaments d’origines diverses. Ils peuvent provenir du ministère de la Santé, des associations caritatives, des organisations non gouvernementales (ONG), de la commune, etc. Sur place, nous avons un certain nombre de produits de première nécessité disponibles mais cela ne peut pas répondre à tous les besoins en médicaments de tous les détenus.

Comment se fait le traitement des dossiers judiciaires ? Y a-t-il une fluidité dans ce traitement ?

Il n’y a pas de liens directs entre le juge chargé du traitement des dossiers et nous, sauf en cas de problème où il faut s’adresser au juge pour avoir certains renseignements. Je ne saurais vous dire si ce dernier traîne ou pas avec les dossiers mais par contre, dans le rapport moral de ce mois, nous recevons pratiquement 198 détenus dans un mois et approximativement 195 sont libérés dans le même mois. Cela prouve qu’il y a quand même une certaine fluidité ; dans le cas contraire, le bâtiment ne tiendrait pas.

Dans la même logique de justice, que pensez-vous de l’initiative du Mouvement burkinabè pour l’émergence de la justice (MBEJUS) de créer des maisons de justice dans certaines villes du Burkina afin de mieux défendre la cause des prisonniers ?

C’est une initiative fort louable. Dans le programme national de réforme de la justice, le ministre Badini avait évoqué cet aspect de rapprochement de la justice au justiciable. Du même coup, le MBEJUS règle le problème de la gratuité de la justice en le faisant à ses dépens.

Y a-t-il souvent des libérations pour bonne conduite de certains détenus dans le système pénitentiaire burkinabè ?

Je dirai oui. En ce qui concerne les décrets portant grâce présidentielle que ce soit à l’occasion du 30 mars ou du 5 août, fête de l’indépendance ou du nouvel an, très souvent une circulaire vient préciser les détenus recevables par cette grâce. Les conditions sont fixées par le ministère de la Justice et très souvent il y a le mauvais état de santé, la minorité, le sexe féminin, les détenus sérieux , l’ardeur au travail dans les champs et les ateliers de la prison. Nous pouvons considérer ces deux derniers critères comme libération pour bonne conduite.

Par rapport à cette grâce présidentielle, les femmes sont-elles prioritaires ou ont-elles plus de faveur que les hommes ?

Il n’y a pas de priorités dans la grâce présidentielle. C’est le premier magistrat du pays qui décide à l’occasion des dates citées ou individuellement d’octroyer la grâce aux détenus. Il n’y a pas de compétition en la matière. On ne favorise pas les femmes au détriment des hommes. Tous les détenus sont sur le même pied d’égalité.

En tant que régisseur de la MACO, si l’on vous demandait de faire des propositions concrètes en vue de l’amélioration des conditions de vie des détenus, que proposeriez-vous ?

Je prendrais comme priorités la construction d’un nouveau site ou une réadaptation du site actuel. Deuxièmement, je demanderais la construction d’une structure sanitaire adéquate à l’intérieur de la prison, une ambulance pour le transfert des détenus malades. Ensuite , une augmentation quantitative et qualitative de la ration alimentaire journalière et le reste doit nécessairement suivre.

Les détenus sont, semble-t-il, soumis à trop de corvées ...

Les corvées ne sont ni des peines, ni des compléments de peine. Un détenu peut refuser d’assurer ce qu’on lui confie comme tâche si c’est justifié par la loi. La réglementation veut que les détenus participent aux activités entrant dans le fonctionnement de l’établissement et de leur propre gestion. Je cite comme exemples le lavage du bâtiment de la détention et le nettoyage de la cour. Cela y va de l’intérêt du détenu en matière d’hygiène.

Les droits de l’homme sont-ils respectés en prison ?

En dehors de la liberté d’aller et de venir , de l’intimité qui se trouve rapidement confisquée, tous les droits de la personne humaine sont respectés.

Quel sentiment éprouvez-vous en tant qu’être humain lorsque vous voyez vos semblables en prison ? De la pitié ? Et que pensez-vous de la prison ?

Pour moi, la prison est un mal nécessaire. Nous sommes aussi des hommes et forcément nous ressentons quelque chose mais, notre métier a fait de telle sorte que nous avons perdu le sentiment que le prisonnier est un pauvre type. Nous nous disons simplement que tous les citoyens sont des détenus potentiels et nous évoluons avec cette philosophie. Autrement dit, si nous nous livrons à la pitié, moi je donnerais l’autorisation à mes agents de libérer tous les détenus et plonger la ville dans une insécurité sans précédent.

Nous avons tantôt évoqué les cas d’évasion ou tentatives d’évasion mais la réponse n’a pas été convaincante. En face d’une telle situation comment réagissez-vous et quelles sont les éventuelles sanctions ?

L’évasion est prévue et punie par le code pénal. Aussi bien l’évadé que le surveillant complice ou négligeant dans cette affaire est sanctionné. Les sanctions sont d’ordre disciplinaire ou pénal et nous ne faisons que respecter les textes.

Avez-vous en prison des activités de réinsertion sociale en faveur des détenus ?

Nous en avons. Il s’agit des activités maraîchères, de la soudure, d’un atelier de menuiserie, de peinture. Il y a aussi le service d’ordre en général : coupe du bois, cuisine, élevage, etc. A cela s’ajoutent les activités de confession religieuse pour la réforme morale du détenu. Nous disposons aussi d’une bibliothèque et d’une salle de jeux.

Un dernier mot ou un appel à lancer ?

Je remercie les Editions "Le Pays" parce que ces genres d’interview nous ouvrent à l’extérieur et évitent certaines malveillances dues au fait que la prison soit restée longtemps renfermée. L’opinion publique n’est pas vraiment située sur ce qui s’y passe et les gens à tort ou à raison en disent ce qu’ils veulent. Je loue donc votre initiative. Quant à l’appel, je crois que des voix plus autorisées que la mienne le feront si ce n’est déjà le cas.

Propos recueillis par Christine SAWADOGO

Le Pays

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