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Foi et travail : « Le chrétien peut-il aller en grève ? »

Par Dr Samuel Delma

Publié le vendredi 31 mai 2019 à 10h30min

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Foi et travail : « Le chrétien peut-il aller en grève ? »

Le Burkina Faso traverse une crise sociale sans précédent que certains ont qualifié d’ébullition sociale. Des chrétiens se posent la question quant à la position de l’éthique biblique sur le sujet des grèves. Au nom de la religion chrétienne, certains travailleurs sont moralisés par leur entourage. Chacun y va de son interprétation. L’incompréhension devient majeure lorsque la grève concerne le secteur de la santé. Loin de vouloir attiser la grogne sociale, cet écrit vise à apporter un éclairage théologique sur ce sujet.

Étiologie abrégée de la grogne sociale

La principale étiologie de la grogne sociale que connait le Burkina Faso peut se résumer en un mot : l’injustice. Nul besoin de vous rappeler que dans un système d’inégalités de traitement salarial des agents de la fonction publique, l’on a trouvé opportun d’aggraver ces inégalités en accordant des privilèges à une catégorie déjà enviée par les autres. Cette discordance dans la rémunération ne semble pas être fondée sur un principe clairement défini. Elle dépendrait des forces du moment de chaque partie.

À cela, il faut associer les affaires suspicieuses dans la gestion des deniers publics. Toutes choses qui ont exacerbé le sentiment d’injustice, d’où la flambée des mouvements de débrayage. Chacun veut désormais améliorer ses conditions de vie et de travail. Si les ressources permettent de gratifier le traitement des plus nantis, il est difficile de dire aux plus démunis que les caisses sont vides.

Ce diagnostic a d’ailleurs été déjà posé, d’où le projet de remise à plat des salaires dont le gouvernement n’a pas jugé opportun de restituer les résultats des travaux ni d’aller vers son opérationnalisation pour le moment. Et pendant que l’on dit à certains d’attendre la remise à plat, l’on accorde des privilèges à d’autres.
De la légalité de la grève

Face à une telle situation d’injustice sociale exacerbée, que doit faire le chrétien ? Peut-il aller en grève ?

Avant tout, il faut dire que la grève est un droit. C’est le droit pour une personne employée de cesser le travail afin de défendre ses intérêts ou manifester un désaccord. La grève est définie comme la cessation collective, concertée et totale du travail en vue de présenter à l’employeur des revendications professionnelles.

Au Burkina, deux textes régissent le droit de grève dans la fonction publique. La loi N° 45/60/AN du 25/07/1960 qui constitue le siège juridique du droit de grève. Elle précise l’interdiction de la grève à certaines catégories de personnel. Et la loi N° 013/98 du 28/04/1998 dont l’article 45 reconnaît aux agents de la Fonction publique burkinabé, le droit de grève comme moyen de défense de leurs intérêts professionnels collectifs. Ce droit s’exerce toutefois dans le cadre défini par les textes en vigueur en la matière. Cette loi du Code du travail introduit les notions de besoins essentiels, de service minimum et la possibilité de réquisitionner des travailleurs.

En fin de compte, la grève est une disposition légale et son observation ne peut être considérée comme un péché. Le gréviste n’a pas à se culpabiliser ni se laisser culpabiliser par d’autres.

De l’utilité de la grève

Cependant, si le chrétien peut aller en grève légalement, doit-il pour autant le faire ? Bien qu’elle soit légale, est-elle utile ? Car il est dit dans les Saintes Écritures que tout est permis mais tout n’est pas utile, tout n’édifie pas (1Cor 6.12 ; 10.23). Ceci soulève le problème des motivations de la grève. Si les motifs ou objectifs sont utiles, alors la réponse est toute simple. L’injustice sociale édifie-t-elle ? Non. La Bible dit qu’une nation est affermie et élevée par la justice (Pr 14.34, 29.4). Ainsi, aller en grève pour plus de justice est certainement utile. Mais lorsque la grève est motivée par la cupidité, l’égoïsme, elle n’est vraiment pas à envisager par le chrétien. De plus, il y a souvent des desseins inavoués dans certains mouvements de grève. Alors, le chrétien devrait être vigilant pour ne pas se laisser utiliser à d’autres fins.

La grève est-t-elle un acte d’insoumission à l’autorité ?

La Bible exalte l’obéissance et la soumission à l’autorité (Rom 13.1-8, De 17.12-13, Pr 24.21-22, Ecc 8.2-5, Lev 19.32). Cependant, le message biblique de la soumission à l’autorité n’est pas un quitus pour une attitude d’injustice ou despotique ou encore autoritaire. La soumission à l’autorité sous-entend que ce dernier pratique la justice. Le leadership dans son concept biblique est basé sur le service, d’où la notion de leadership-serviteur. Nous sommes à une position de responsabilité pour servir et non pour être servi.

Toutefois, que faire quand l’autorité devient injuste ? La soumission est-elle toujours applicable au risque de basculer dans l’asservissement à une personne humaine ? Nous disons que non, car l’Évangile de Christ nous a libéré de tout asservissement, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une libération holistique de la personne humaine. Ce n’est pas pour que nous retournions à une autre forme de servitude.

En outre, nous avons le devoir de toujours rechercher la justice. Cette quête de justice peut parfois nous amener à nous opposer à l’autorité sans être en contradiction avec la parole de Dieu. Ainsi, si la grève est le seul moyen qui vous reste pour réclamer justice, alors ne vous sentez pas en porte-à- faux avec la Bible, d’autant que vous demeurez dans la légalité.

Quand la soumission à l’autorité signifie désobéissance à la parole de Dieu, cette soumission devient caduque. Dans ce cas, la désobéissance à l’autorité humaine s’impose et elle est agréable à Dieu. Imaginez un père dire à son enfant d’aller voler afin de nourrir la famille. Une désobéissance de l’enfant réjouirait certainement le cœur de Dieu. Lorsque l’autorité vous opprime ou vous pousse à poser des actes contraires à l’éthique biblique, la désobéissance devient un devoir. Car, l’obéissance à Dieu prime sur celle des hommes.

De la sensibilité du secteur de la santé

La grogne sociale que connait le Burkina Faso n’a malheureusement pas épargné le secteur de la santé dont nous connaissons les conséquences désastreuses. Chaque partie y va de son argumentaire. Pourtant, on aurait pu faire l’économie des grèves dans ce secteur si l’écoute avait prévalu. Mais hélas !

D’aucuns ont qualifié les grèves dans ce secteur d’immorales. La problématique est celle-ci : le chrétien peut-il aller en grève et laisser les malades mourir ? N’a-t-il pas pitié des malades ? Où est le sacerdoce ? Sans vouloir justifier les agents de santé, il nous a été donné d’observer que le taux de suivi de la récente grève dans ce secteur frise les 100%. Il m’est alors difficile de penser que presque tous les agents de santé dans mon pays manquent de vocation. Au travers du suivi massif de la grève, je perçois plutôt des gens qui ont été poussés à bout. Je puis dire sans me tromper qu’ils ne l’ont pas fait de gaieté de cœur.

Il sied aussi de rappeler que la grève est toujours précédée d’un préavis adressé au Président du Conseil des ministres avec un délai raisonnable permettant à l’employeur de prendre les dispositions nécessaires pour amoindrir les conséquences de la suspension collective du travail. Dans la règlementation du Burkina Faso, l’administration peut procéder à l’interdiction de la grève pour des nécessités d’ordre public, ou exiger l’institution d’un service minimum pour sauvegarder les droits fondamentaux des citoyens, ou encore procéder à des réquisitions de grévistes lorsque la grève est de nature à porter atteinte à un intérêt vital de la nation.

Aussi, il faut noter que quand bien même il s’agissait d’une grève totale, les secteurs vitaux comme la réanimation, la néonatologie et la dialyse ont été épargnés par la volonté des agents de santé. C’est dire que le service minimum a été assuré.

De la recherche de la paix sociale

En tant que chrétien, nous ne saurions exciter ou encourager la grogne sociale. Nous ne sommes pas des remuants. Nous cherchons tous la paix sociale. Et pour l’atteindre, nous devons à la fois interpeller toutes les parties. Je reprends cette citation des évêques de la conférence épiscopale du Congo : "Une société qui ne se donne pas les moyens appropriés pour vaincre les maux dont elle souffre, court à sa propre ruine".

D’une part, le chrétien se doit d’interpeller les partenaires sociaux sur le fait que les ressources de l’État ne sont pas infinies et que leurs revendications doivent en tenir compte.

D’autre part, le chrétien doit prier pour les autorités afin que Dieu leur donne de gouverner dans la sagesse, la justice, la paix (1Tim 2.1-4). Il a également le devoir d’interpeller l’administration quant à sa responsabilité pour une gestion rigoureuse et vertueuse des deniers publics et de la chose publique. Il se doit de dénoncer, s’il le faut, les mauvais agissements des dirigeants. Au travers des Saintes Écritures, nous voyons des prophètes et autres serviteurs de Dieu interpeller des rois ou même dénoncer leurs mauvaises actions, parfois même au prix de leur vie (Es 58.1, Ez 16.1-2, Mic 3.8-12). Le risque de représailles ne saurait justifier un silence coupable. Nous sommes des sentinelles dans le monde (Ez 3.17-21, 1Thes 5.17, Ps 40.9).

Se souciant de l’ensemble de la société, le chrétien a le droit, voire le devoir, d’élever sa voix quand les exigences de la justice sont violées. Il ne cherchera pas, pourtant, à imposer leurs vues par des méthodes contraires à l’Évangile. Il est conscient qu’il est appelé à parcourir le même chemin qui fut celui du Christ lui-même : « Que nul de vous n’ait à souffrir comme meurtrier, ou voleur, ou malfaiteur, ou comme délateur, mais si c’est comme chrétien, qu’il n’ait pas honte, qu’il glorifie Dieu de porter ce nom. » (1 Pierre 4, 15-16)

Ainsi, nous ne devons pas nous lasser d’interpeller quant à la nécessité de corriger les disparités dans la rémunération des agents. C’est la seule voie pour espérer une accalmie sociale. Il faut certes prier, mais sans des actions dans le sens d’une meilleure justice sociale, nous ne saurions nous réfugier dans l’illusion d’un hypothétique miracle. Face à la situation actuelle de mon pays, "il faut plus que des mots pour guérir certains maux".

La foi ne fuit pas les réalités terrestres mais conduit à une autre manière de vivre ensemble, dans la justice et la solidarité. Le chrétien cherche à contribuer au bien de la société dans laquelle Dieu l’a placé. Pour le reste, c’est par la justice que le règne s’affermit (Pr 16.12, 25.5).

Dr Samuel Delma
Médecin néphrologue
Licencié en théologie

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