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Burkina Faso : Affaire place des lycées et collèges, corruption ou pas corruption

Publié le jeudi 12 septembre 2024 à 21h55min

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Burkina Faso : Affaire place des lycées et collèges, corruption ou pas corruption

Absent du pays pour des questions sociales, le 1er élément de gouvernance qui me tique est le communiqué n°2024-003/ASCE-LC/CAB du 27/08/2024. Après avoir travaillé avec le Professeur IBRIGA pour mon article « Le gestionnaire public et la prévention de la corruption : cas de l’administration publique burkinabè », mon maître m’en voudrait si je ne dis pas un mot sur cette affaire.

I. De qui parle-t-on ?

Depuis quelques années, soit depuis 1985, avec la création de la Conférence des Commissions du Peuple chargées des secteurs Ministériels (CCPM), notre pays s’est inscrit dans la modernisation de l’administration publique. En effet, créée par Kiti N°85-108/CNR/PRES, cette conférence a tenu sa 1ère session du 13 au 21 septembre 1986 pour réfléchir sur la « médication de l’administration ».

De cette date à aujourd’hui, en passant par la Réforme globale de l’Administration publique de 1998, la réforme de l’Éducation de 2007, le Plan stratégie décennal de modernisation de l’administration publique 2016-2020, la Stratégie nationale de modernisation de l’Administration publique 2021-2025, bien d’eau a coulé sous les ponts sans que nous ayons véritablement prêté suffisamment attention au statut de l’enseignant qui s’est dégradé jour après jour, faisant de ce corps noble dans une société qui se respecte, un corps de paria, de déchets de la société, dans lequel personne ne veut figurer.

À titre illustratif, j’ai surpris parfois des débats où l’on jetait des insanités sur ce corps en termes de si tu fais je vais te maudire pour que tu deviennes enseignant », ou encore des chômeurs qui jettent des « karissa, je ne vais pas faire ce concours pour me retrouver dans une classe avec des enfants crasseux et qui pètent au milieu de la chaleur ».

Qu’il soit professeur d’école (pour faire un peu plus classe et échapper, juste dans la conscience, à la dévalorisation) ou professeur de lycée et collège, tout enseignant se bat désormais pour se retrouver au bureau ou « faire autre chose », selon la célèbre formule de l’autre, afin d’échapper à ce regard dégradant de la société ! Malheureusement, tous les gouvernements se sont acharnés sur eux, malgré leur statut de force apparente, en utilisant les préceptes de Machiavel sur la gouvernance du Prince. L’ASCE-LC poursuit-elle la proie ou l’ombre ? Voici mon analyse.

II. Bien nommer les actes et faits de gestion publique : un impératif de bonne gouvernance

Du haut de mes compétences techniques et pratiques, je ne suis pas du tout d’accord avec l’ALSCE-LC quand elle parle « d’actes de racket des parents d’élèves communément appelés vente des places ». Cette dénomination a le mérite de jeter en pâture les agents d’un corps qui n’a aucun autre avantage professionnel que de se voir octroyer des places annuelles pour assurer et assumer l’éducation de leurs enfants avec dignité.

Dans l’esprit de cette pratique, rentrée dans l’habitus administratif comme un élément motivationnel, il s’agissait simplement de contribuer à la valorisation de l’enseignant. Au-delà, il doit prendre personnellement la charge des autres enfants à partir du troisième. Elle s’est donc imposée subtilement comme un droit acquis sur lequel personne n’a voulu légiférer au risque de se mettre à dos les syndicats du corps. Certes, aujourd’hui, on peut s’attaquer sans peine à elle et la réduire, mais elle reviendra tôt au tard comme un boomerang parce qu’elle aurait été un problème mal géré. Bien nommer les problèmes permet de les résoudre à moitié. Alors, question : est-ce un acte de corruption, oui ou non ? Sinon, à quel moment peut-il devenir un acte de corruption et pourquoi ?

III. L’octroi des places aux enseignants doit-il être perçu par le peuple comme un acte de racket oui ou non ?

Dans la gestion publique, il y a plusieurs types des éléments qui sont plus importants que le salaire, plus valorisant que le salaire et l’octroi de places aux enseignants leur permet de profiter d’un statut de demi-dieu juste pour un petit mois au plus, aux yeux d’un peuple qui les dénigre à longueur de journée. C’est le moment qu’ils adorent le plus dans leur carrière parce qu’il les valorise au-delà de leurs espérances.

En effet, depuis quelques années, les techniciens de la GRH, un domaine de la gestion publique, ont compris à quel point les éléments de motivation, autre que le salaire, contribuent à mobiliser le personnel autour des missions publiques. C’est pourquoi chaque administration s’y attèle.

Quand on prend l’enseignant au Burkina Faso, comparativement aux autres agents publics, c’est un agent qui a tendant à se cacher en milieu public. Il a constamment peur de dévoiler sa profession. Pourquoi ? Il est défavorisé par un système de rémunération et des avantages motivationnels liés à l’emploi. Ce n’est pas pour rien que tout enfant qui sort du système éducatif veut devenir douanier ou à défaut agent du ministère des finances. (Théorie de l’équité non mise en œuvre). Or c’est seulement ce que le fameux statut valorisant avait la prétention de résoudre en vain. Rien n’a changé.

Comment peut-on corriger ça ? En affinant des facteurs de motivation, des facteurs d’hygiène et de maintenance (théorie des facteurs) pour stimuler son envie de travail bien fait et enfin la non moins importante théorie de la satisfaction des besoins pour garantir une stabilité sociale à même de mobiliser son énergie et son esprit à son travail.

Or, la plupart des mesures liées à la valorisation de leur statut n’ont concerné que des aménagements de grades, de promotion et de salaire. Rien sur ces éléments importants de motivation dont l’octroi de place que les gens confondent avec les fonds communs des autres agents publics. Le ministre de la Fonction publique lui-même avait présenté ses excuses au corps enseignant sur la même question.

Subtilement, ces places mises à la disposition de l’enseignant, pour lui donner un peu de dignité, sont rentrées dans l’habitus administratif comme des droits acquis qui compensent l’absence d’équité dans bien de domaines entre agents publics. Dès lors, ces droits présentent deux modes d’aliénation : l’enseignant peut les offrir à titre gracieux, s’il ne dispose pas d’enfants à charge pour les occuper, ou à titre onéreux, pour compenser des charges éducatives à d’autres niveaux.

Techniquement, cette pratique ne relève donc nullement de racket. Là où il pourrait avoir racket, c’est lorsque l’enseignant fixe un taux exorbitant pour leurs cessions à un tiers au-delà des exigences publiques s’il y a lieu. C’est ce sur quoi l’État doit légiférer. Il suffit d’un simple arrêté du ministre en charge de l’éducation pour régir la pratique, corriger les insuffisances et renforcer cet élément de motivation. C’est pourquoi je soutiens cette fois-ci que l’ASCE-LC est dans l’erreur en s’attaquant à des plus faibles. Sur la question des plus faibles, je reviendrais avec mon regard sur mon récent pèlerinage au cœur de la gangrène ivoirienne en matière de corruption parce qu’elle affecte une majorité de nos populations.

IV. Au-delà de l’octroi des places, comment valoriser un corps qui en a besoin ?

Si l’on veut valoriser le statut de l’enseignant, et par extension des agents publics, il faut mettre l’accent sur la sécurité sociale de l’agent public, en mettant ses enfants à l’abri. Ça c’est un autre point pour lequel je me bats depuis 2016 pour faire passer des idées de réforme, afin d’assurer la plénitude du droit à l’éducation et du droit à la santé, conformément à nos lois et règlements.

Enfin, il est important de travailler au respect de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, dont l’article 26 dispose expressément ce qui suit : « Sécurité sociale : L’enfant a le droit de bénéficier de la sécurité sociale, y compris les assurances sociales ».

Mieux, au-delà de cette sécurité sociale, les droits qui lui sont reconnus ont aussi trait à son niveau de vie et à son éducation : « Article 27 : Niveau de vie : Tout enfant a le droit à un niveau de vie suffisant à son développement physique, mental, spirituel, moral et social. Les parents ont la responsabilité de lui assurer ce niveau de vie. L’État a le devoir de faire en sorte que cette responsabilité puisse être – et soit – assumée. La responsabilité de l’État peut inclure une aide matérielle aux parents et à leurs enfants ».

« Article 28 : Éducation : L’enfant a le droit à l’éducation et l’État a l’obligation de rendre l’enseignement primaire obligatoire et gratuit, d’encourager l’organisation de différentes formes d’enseignements secondaire accessibles à tout enfant et d’assurer à tous l’accès à l’enseignement supérieur, en fonction des capacités de chacun. La discipline scolaire doit respecter les droits et la dignité de l’enfant. Pour assurer le respect de ce droit, les État ont recours à la coopération internationale ».

C’est à mon humble avis, sur ces questions essentielles que les syndicats de l’éducation ont échoué dans la lutte pour un statut valorisant. Aujourd’hui, la question essentielle est : « comment concilier cette nécessité de sécurité sociale avec celle de niveau de vie et d’éducation dans le contexte difficile actuel de notre pays, dans la mesure où l’on n’y était déjà pas parvenu dans le passé ? ».

D’après mes travaux, l’alternative qui a été envisagée comme pertinente pour concilier ces trois logiques en une seule action est de construire un système d’allocations familiales universelles pour donner aux enfants burkinabè la possibilité de grandir, d’être éduqués et de s’épanouir en toute sérénité, malgré la situation difficile de notre pays, grâce à un mécanisme de mutualisation des charges, des ressources et de production des richesses nécessaires à l’appui des secteurs de la santé et de l’éducation.

En arrière-plan, ce système doit pouvoir renforcer les conditions de rémunération et de vie des enseignants pour leur permettre de s’investir pleinement dans l’œuvre de promotion et de valorisation d’une éducation de qualité au Burkina Faso

Je pense en toute humilité que ce pays gagnerait mieux en posant tout débat public avec technicité et froideur, parce que même dans la gestion séculaire des États africains, qui se présentaient sous la forme de royaume, de tribus, d’empire, la technicité et les protocoles ont toujours prévalu.

Ousmane DJIGUEMDE
(oustehit@hotmail.fr)

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