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Déclassement de la forêt de Kua par le conseil municipal de Bobo : « Une illégalité manifeste », selon des juristes environnementalistes

Publié le lundi 27 mai 2019 à 09h00min

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Déclassement de la forêt de Kua  par le conseil municipal de Bobo : « Une illégalité manifeste », selon des juristes environnementalistes

Dans cette déclaration, l’Association des juristes environnementalistes du Burkina Faso (AJE/BF) sur le déclassement partiel de la forêt classée de Kua par le conseil municipal de Bobo-Dioulasso.

Réuni en sa session extraordinaire du vendredi 19 avril 2019, le conseil municipal de la commune de Bobo-Dioulasso a adopté une délibération portant déclassement partiel d’une superficie de 160 000 m2 de la forêt classée de Kua, située dans la commune de Bobo-Dioulasso. Ce déclassement est autorisé, selon la délibération communale, pour la construction d’un centre hospitalier universitaire.

A la lecture de cette délibération manifestement illégale et inopportune, l’Association des juristes environnementalistes du Burkina Faso (AJE/BF) ne saurait observer un silence coupable, à moins de méconnaitre gravement l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 29 de la Constitution du 11 juin 1991, d’œuvrer à la protection, à la défense et à la promotion de l’environnement. Elle ne saurait également se dérober de sa mission statutaire de protection de l’environnement au moyen du droit, par une passivité écocide.

A la lecture de cette délibération, l’Association des juristes environnementalistes du Burkina Faso (AJE/BF) constate, entre autres, que :

 la principale base juridique sur laquelle se fonde le conseil municipal est la loi 055-2004/AN du 21/12/2004 portant Code Général des Collectivités Territoriales au Burkina Faso (CGCT), ensemble ses modificatifs ;

 les principaux textes pertinents en la matière à savoir la loi N° 0032011/AN du 05/04/2011 portant Code forestier au Burkina Faso et la loi N° 006-2013/AN du 29/05/2013 portant Code de l’environnement au Burkina Faso n’ont pas été visés dans la délibération.

Il en est de même des textes d’application ci-dessous :

 Décret N° 2017-0138/PRES/PM/MEEVCC/MATDSSI/MINEFID portant procédures de classement, de déclassement et de changement de statuts des forêts de l’Etat et des Collectivités Territoriales ;

 Décret N° 2015-1187/ PRES/TRANS/PM /MERH/MATD/ MME/MS/MARHA/ MRA/MICA/MHU/MIDT/MCT du 22 octobre 2015 portant conditions et procédures de réalisation et de validation de l’évaluation environnementale stratégique, de l’étude et de la notice d’impact environnemental et social.

Sur la base juridique de la loi 055-2004/AN portant CGCT, l’AJE/BF fait remarquer que :

 L’article 89 du CGCT relatif aux compétences à transférer aux communes urbaines en matière d’environnement et de ressources naturelles ne donne pas compétence pour déclasser une forêt de l’Etat. De plus, le transfert des ressources naturelles n’est pas encore effectif sauf en matière d’environnement où quelques compétences ont été transférées (assainissement, lutte contre l’insalubrité, les pollutions et les nuisances diverses, enlèvement et élimination finale des déchets ménagers, etc.) ;

 Le protocole d’opérations dans le domaine de l’environnement et de la gestion des ressources naturelles qui a été validé en 2015 ne donne aucun rôle ni responsabilités à la commune en matière d’environnement et de gestion des ressources naturelles dans l’exercice des compétences et des ressources transférées.

 Aucun acte de classement d’une forêt au profit d’une collectivité territoriale n’a été adopté jusque-là, malgré l’insistance des Organisations non gouvernementales et de certains partenaires techniques de gestion des ressources naturelles.

1) Sur le régime juridique applicable aux forêts classées conformément à la Loi N° 003-2011/AN portant code forestier au BF

Cette loi fixe les principes fondamentaux de gestion durable et de valorisation des ressources forestières, fauniques et halieutiques au BF. Elle est par essence, la loi fondamentale de gestion des ressources forestières au BF.

Sont soumis au régime forestier au terme de cette loi, les terres à vocation forestière, les périmètres de restauration, les périmètres de reboisement, les parcs agroforestiers et les arbres hors forêts. Le domaine forestier comprend le domaine de l’Etat, des collectivités territoriales et le domaine privé Le Code forestier reconnait uniquement les forêts classées comme patrimoine de l’État, laissant une très grande place aux Collectivités territoriales dans la mise en valeur des formations boisées.
Le domaine forestier classé de l’Etat couvre une superficie totale estimée à 3,9 millions d’hectares, soit environ 14 % de la superficie du territoire national. Il est composé de soixante-dix-sept (77) aires classées dont soixante-cinq (65) forêts classées toutes classées depuis l’époque coloniale. Si l’on considère les effets de changements climatiques et les pressions anthropiques multiformes (pression agricole, pression foncière, orpaillage, coupes illégales…) dont ces forêts sont l’objet, la forêt classée de Kua doit être appréciée comme « une rescapée » de ce désastre général et comme telle, protégée et valorisée, plutôt que déclassée et dévastée.

La forêt classée de Kua qui a été classée en 1936 par arrêté 891/SE du 27 avril 1936 avec une superficie de 350 ha fait partie du patrimoine forestier de l’Etat. En aucun cas, la commune de

Bobo-Dioulasso ne peut donner un avis ou décider de son déclassement partiel ou total par délibération en conseil municipal.
L’article 30 du Code Forestier précise que le déclassement d’une forêt de l’Etat résulte d’un décret pris en Conseil des ministres sur proposition du ministre chargé des forêts.

De plus, toute procédure de déclassement doit respecter les procédures de réalisation et de validation de l’évaluation environnementale stratégique, de l’étude et de la notice d’impact environnemental et social conformément au décret ci-dessus cité.

Au regard de ces considérations, l’AJE/BF :

 dénonce une délibération illégale et irrégulière du conseil municipal de Bobo-Dioulasso ;
 invite le conseil municipal au retrait de sa délibération ;
 invite l’autorité de tutelle à l’approbation de laquelle les effets de la délibération en cause sont suspendus, à la désapprouver ;
 se réserve le droit de saisir le tribunal administratif pour l’annulation de la délibération en cas d’inertie de l’autorité de tutelle ;
 se réserve le droit d’engager des actions pénales contre les auteurs et les commanditaires des travaux en cours au sein de la forêt et qui portent atteinte à son intégrité ;
 félicite le ministre de l’Environnement, de l’économie verte et du changement climatique pour sa prompte réaction par correspondance en date du 29 avril 2019 dans laquelle il déclarait ladite délibération irrégulière et par conséquent ne peut être appliquée ;
 invite toute association de protection de l’environnement et de gestion des ressources naturelles à se mobiliser pour priver d’effet cette délibération.
 rappelle qu’au regard de la situation actuelle de nos forêts, il n’est pas souhaitable de déclasser une forêt.

Ouagadougou, le 8 Mai 2019.

Pour président de l’AJE/BF

Le vice-président

Salifou OUOBA

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