Groupes d’autodéfense : Les koglwéogo s’invitent dans les laboratoires de recherche
LEFASO.NET | Par Tiga Cheick Sawadogo
Le phénomène social que sont les groupes d’autodéfense, au-delà des débats passionnés qu’ils suscitent, est un vaste champ de recherche qu’investissent les fins limiers des universités et autres instituts de recherche. Une collaboration entre chercheurs de l’université Ouaga1 Pr-Joseph-Ki-Zerbo du Burkina et de Zurich en Suisse a encore permis de prolonger les questionnements sur ces groupes, notamment sur leur légitimité. Les Dr Zakaria Soré, Bouraïman Zongo et Muriel Côte ont investi le terrain des Koglwéogo pour des recherches. Dans la soirée du 12 février 2019 à Ouagadougou, ils ont partagé les résultats de leurs travaux avec des enseignants-chercheurs, des chercheurs, des doctorants, des étudiants...
La salle 401 de l’Unité de formation et de recherche (UFR) en Sciences humaines de l’Université Ouaga1 Pr-Joseph-Ki-Zerbo a refusé du monde dans la soirée du 12 février. Assurément, le sujet qui devrait faire l’objet d’échanges, toujours d’actualité, méritait bien le déplacement. Au-delà des commentaires de tous ordres, des jugements sans réels fondements, le recul des chercheurs pour creuser et questionner s’imposait.
La légitimité des Koglweogo est un travail qui a été mené par le laboratoire Genre et développement de l’université Ouaga1 Pr-Joseph-Ki-Zerbo et celui de Géographie politique de l’université de Zurich. Muriel Côte a présenté le projet de recherche, la problématique qui a guidé le travail et les objectifs poursuivis. Quant au Dr Zakaria Soré, il a épluché les résultats auxquels le trio de chercheurs est parvenu, tout en évoquant les difficultés rencontrées dans sa conduite.
Selon Dr Muriel Côte, l’équipe a essayé de comprendre les origines de l’émergence des Koglwéogo au Burkina Faso, les enjeux sécuritaires de cette émergence, leurs actions sur le terrain, afin de faire des analyses. Depuis mi-juin 2017 et ce pendant 18 mois, l’équipe a parcouru les localités comme Kao, Mané, Manéga, Séguénégua, Kongoussi, Sapouy, Kombissiri, Nioko, pour rencontrer les groupes d’autodéfense, les forces de défense et de sécurité, les autorités administratives...
Entre légitimité et légalité
Les Koglwéogo ne sont pas nés ex-nihilo. Ils sont apparus dans un contexte d’ « Etat fragile » où les structures centrales peinent à satisfaire les besoins des populations. Celles-ci se sont vues dans l’obligation de s’organiser pour faire face à certains problèmes dont la gestion relève du rôle régalien de l’Etat. Les Koglwéogo sont nés dans ce contexte de « vigilantisme » qui se manifeste à travers la volonté des populations de prendre en charge elles-mêmes leur sécurité.
Dans les milieux d’émergence de ces groupes d’autodéfense, les populations se considèrent comme des laissés-pour-compte, des citoyens de seconde zone, oubliés par l’Etat. En plus des besoins de sécurité que l’Etat ne satisfait pas, laissant les populations surtout rurales face aux grands bandits qui les dépouillent de tout, les chercheurs ont aussi noté d’autres raisons qui fondent l’existence des Koglwéogo.
La suspicion de complicité entre les structures de l’Etat (Forces de sécurité et Justice) et les grands bandits. Selon les jeunes chercheurs, avec des exemples, les Koglwéogo tentent de convaincre qu’ils sont pris entre l’étau des malfaiteurs et l’enclume de ceux qui étaient censés veiller sur leur quiétude. S’organiser pour se défendre devenait une impérieuse nécessité pour ne pas disparaître.
Ce sont entre autres les raisons qui ont construit la légitimité des Koglwéogo. Très populaires surtout dans les zones reculées, ces groupes d’autodéfense agissent pourtant en dehors de toute légalité. La perception des taxes, les sévices corporels se font par exemple en violation de la loi. Les Koglwéogo sont ainsi un cas des contradictions sécuritaires de l’Etat importé. Le respect des lois face à une incapacité de l’Etat d’assumer son rôle régalien.
Une mimique qui crée la fracture
Les chercheurs, en faisant immersion sur le terrain pour discuter avec les acteurs, ont constaté l’unanimité sur les résultats des groupes d’autodéfense. L’insécurité, en ce qui concerne les braquages, a sensiblement diminué. Certains éléments des Forces de défense et de sécurité dans des localités réputées criminogènes ont ainsi reconnu que leur charge de travail a baissé.
Par contre, certains agissements des Koglwéogo commencent à créer une certaine fracture au sein même des populations qui applaudissaient leurs actions. Les Dr Zakaria Soré, Bouraïman Zongo et Muriel Côte qualifient certains comportements de mimiques de ce que l’Etat fait. Ainsi, les Koglwéogo s’octroient des grades, instaurent des tickets de vente de bétail, se confectionnent des badges, établissent des documents pour les convocations ou des ordres de mission. Cette donne crée la confusion chez les populations, ce qui contribue à créer la fracture entre les koglwéogo et les bénéficiaires de leurs services.
Dans tous les cas, le besoin social de sécurité qui est non-satisfait par l’Etat et qui a constitué un terreau fertile pour l’émergence des koglwéogo, ne permet pas de les vouer aux gémonies. Les exigences de l’Etat moderne ne doivent donc pas être une raison pour rejeter toute initiative qui permette de soulager les habitants de certains milieux qui ne bénéficient d’aucune présence de l’Etat. Par contre, certains ajustements sont nécessaires pour encadrer les actions de ces groupes.
La présentation des résultats de la recherche a donné lieu à des échanges nourris avec l’assistance. « On se rend compte qu’il y a beaucoup à aller chercher encore », a reconnu Muriel Côte qui encourage de ce fait les jeunes chercheurs à investir le terrain pour continuer à éclairer ce qui peut être considéré comme un renouveau de l’expression citoyenne dans le domaine de la sécurité des biens et des personnes.
Tiga Cheick Sawadogo (tigacheick@hotmail.fr)
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