LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

La problématique de la dignité humaine des déplacés internes au Burkina Faso

Publié le dimanche 7 juin 2020 à 10h55min

PARTAGER :                          
La problématique de la dignité humaine des déplacés internes au Burkina Faso

Depuis 2015, le terrorisme au Burkina Faso a contraint les populations des zones insécurisées à se déplacer pour trouver des refuges dans d’autres localités. Vivant dans des conditions souvent précaires dans lesquelles il manque véritablement de liberté d’action et de vie décente, le respect de la dignité humaine se pose comme un problème. Cela interpelle le gouvernement à trouver des stratégies de relocalisation définitive, d’éducation de qualité et adaptée, de formation et de réinsertion sociales et professionnelles des personnes déplacées internes dans le respect de la dignité humaine.

Introduction

La vie est sacrée dans les sociétés humaines. Et lorsqu’elle est attaquée, des voix s’élèvent pour dénoncer les pratiques inhumaines, les crimes contre l’humanité, la violation des droits humains, etc. C’est pourquoi, tout est mis en œuvre par les États pour sauvegarder une vie digne de tout être humain par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. C’est dans ce contexte que la dignité de la personne qui est l’essence même de l’humanité en l’homme constitue un droit inviolable. Pourtant dans la situation des déplacés internes au Burkina Faso, les conditions humaines semblent ne pas être remplies pour le respect de leur dignité humaine. Comment la dignité humaine des personnes en situation de déplacés internes peut-être respectée ? Comment comprendre la dignité humaine ? Dans quelle mesure faut-il leur assurer le respect de la dignité humaine ? Les réponses à ces questions permettront de comprendre la dignité humaine des déplacés internes qui laisse à désirer et qui nécessite que toutes les conditions humaines soient réunies pour une vie digne.

1. La dignité humaine en question dans les camps des déplacés internes

Le problème des déplacés n’est pas nouveau au Burkina Faso car il a accueilli plusieurs fois des populations déplacées des pays voisins en crise mais il a pris une autre dimension et s’est accru en 2015 avec l’avènement du terrorisme. En effet, les régions du sahel, de l’Est, du centre nord, du Nord et de l’Ouest du Burkina Faso subissent régulièrement des attaques terroristes. Les écoles, les centres de santé, les préfectures et les mairies etc, ont été fermés sous les menaces des terroristes. Certains villages sont pillés et des habitants enlevés, massacrés ou intimidés par ces malfrats. Cela a occasionné la fuite des personnes et l’abandon de leur milieu de vie pour aller vers des villages plus sécurisés. Ce phénomène a engendré la création des camps de déplacés internes qui doivent être pris en charge.

L’État, soutenu par des Organisations Non Gouvernementales (ONG), tente de subvenir tant bien que mal à leurs besoins. Ces personnes totalement démunies vivent un mal-être parce qu’elles ont tout abandonné : leurs biens, leur vie de famille, leur vie communautaire et leurs activités. En les accueillant dans les camps, l’État et les ONG essaient de restaurer la dignité des déplacées internes qui sont dans l’assistanat permanent. Ils semblent être avilis par la dépendance aux aides pour vivre et survivre. Leur dignité humaine est atteinte par cette vie précaire, incertaine et diminuée. Mais que faut-il comprendre par le concept de « dignité humaine » ? M. Fabre-Magnan, (2008, p. 28), commence par donner une définition de la dignité lorsqu’elle écrit : « Le mot, apparu vers 1155 (Dict. hist. de la langue française, dir. A. Rey), vient du latin « dignitas » et a deux sens principaux : une fonction ou charge qui donne à quelqu’un un rang éminent : le respect, la considération, que mérite quelqu’un ou quelque chose. » Cette explication de la dignité humaine révèle ceci : « … le sens de la dignité de la personne humaine ou dignité humaine, qui renvoie au respect qui doit être accordé à l’être humain. » (M. Fabre-Magnan, 2008, p. 286). Elle concerne uniquement l’être humain en tant qu’humain. L’homme est le seul être à avoir une dignité parce qu’il est un être de liberté qui pense et agit du fait qu’il soit doté de la raison. Il y a la nécessité de reconnaître la valeur absolue qu’incarne toute personne.

Et dans la situation des déplacés internes, la dignité humaine est hypothéquée parce que leurs libertés sont limitées : ils ne peuvent plus pratiquer leurs métiers comme il se doit, se mouvoir comme ils le faisaient avant, avoir les moyens conséquents de subsistance comme lorsqu’ils étaient organisés en famille, etc. Pourtant en se référant à Kant donne une connotation au mot dignité, T. E. Hill Jr. (1996, p. 439), relate ceci : « Kant reconnaît que la notion ordinaire de dignité désigne un statut honorable, qu’autrui doit reconnaître et qui impose certaines attitudes, un maintien et un comportement appropriés aux personnes jouissant d’un tel statut. » Ce statut honorable est difficile à reconnaître à un déplacé interne qui vit dans un espace réduit sans commodités restreintes et qui a perdu son activité principale. La dignité qui est cette essence humaine et qui donne sens à la vie est problématique chez les déplacés internes.

La liberté qui permet le déploiement de la dignité humaine est en manque chez ces personnes cantonnées dans un milieu où la vie est limitée, restreinte. C’est pourquoi J. Nanema (2002, p. 180) souligne que dans l’existence humaine, il faut tenir compte de « … l’essentiel de ce qui fait l’humanité de l’homme : la dignité, la liberté. » Les déplacés internes sont des personnes en quête de cette liberté et de cette dignité. Ils vivent en attendant que l’État burkinabè puisse rétablir la sécurité dans leur zone pour une future insertion qui ne sera pas sans difficultés puisqu’il faut tout reconstruire dans leur vie. La dignité humaine selon Kant est une valeur absolue parce que l’homme est une fin en soi. Et quand les conditions de vie sont précaires, elles ne permettent pas aux déplacés internes de vivre dignement. Ils sont des personnes qui ont une dignité et elle doit être respectée dans toute sa rigueur. Mais les terroristes la bafouent cette et traitent les personnes comme des objets puisqu’ils les violentent et les tuent. Et les personnes qui arrivent à s’échapper de la terreur ont perdu des parents proches et ont subi un certain traumatisme. Toute chose qui remet leur dignité en cause.

A ce propos, D.-R. Dufour (2009, p. 28), écrit : « Pour Kant, en effet, tout n’est pas monnayable : « tout a ou bien un prix, ou bien une dignité. On peut remplacer ce qui a un prix par son équivalent ; en revanche, ce qui n’a pas de prix, et donc pas d’équivalent, c’est ce qui possède une dignité. » Bien que l’homme soit sacré et n’ait pas de prix, dans la situation des déplacés internes, des questions peuvent surgir : est-ce que le déplacé interné ne se considère pas comme une personne humainement inférieure aux personnes qui l’assistent régulièrement ? Pourquoi est-il soumis au diktat des terroristes ? Quel est le degré de sa liberté ? Les conditions de vie des déplacés internes ne sont-elles pas avilissantes ? etc. Il y a donc la nécessité de respecter la dignité des personnes déplacées internes.

2. L’impératif de respect de la dignité humaine des déplacés internes

L’État fait d’énormes efforts pour lutter contre le terrorisme qui est la source de l’insécurité et du flux migratoire des populations des zones attaquées. Mais force est de constater que le terrorisme semble s’enliser sur le territoire burkinabè puisque depuis 2015, une partie du pays vit des atrocités. Cette situation ayant contraint les déplacés internes qui connaissent des conditions difficiles de vie est à repenser.

Il est du devoir des gouvernants tout comme de celui des gouvernés de cultiver une solidarité agissante envers ces personnes en leur trouvant une solution définitive de vie digne. Dans ce sens, E. Kant (1985, p. 295) préconise ceci : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin en soi et jamais simplement comme un moyen ». Si la personne a une valeur intrinsèque, il est souhaitable de lui garantir le minimum pour qu’elle vive décemment. C’est pourquoi, si le phénomène du terrorisme perdure au Burkina Faso, il faut, redéployer ces personnes dans des zones où elles pourront à nouveau s’installer définitivement et refaire leur vie. Les moyens qui servent à les prendre en charge peuvent servir à construire des logements sociaux pour elles. Il est nécessaire de relocaliser les déplacés internes et leur permettre de s’autonomiser. Cela fera que l’on évite ce que M. Fabre-Magnan, (2008, p. 289), développe comme suit : « Le principe de dignité implique d’abord de ne pas traiter l’homme comme un animal ou un objet. » Le respect de la dignité oblige à ce que ces personnes vulnérables réincarnent l’humanité en elles par une meilleure organisation de leur vie.

En plus, ces personnes ont besoin d’exprimer leur liberté en tant qu’être humain et de se libérer des conditions précaires auxquelles elles sont soumises. Il faut également que l’État leur assure une éducation, une formation, une alphabétisation et une aide financière pour une vie digne. Et celles qui ont déjà eu une formation professionnelle, le gouvernement peut les aider pour leur insertion en valorisant leurs compétences pour qu’elles soient indépendantes. Sinon, le soutien apporté à travers les Ministères en charge de l’Action Sociale, de la Promotion de la Femme et de l’Alphabétisation et les ONG n’est pas suffisant pour le respect de la dignité humaine. La liberté de l’être est ce qui lui permet d’agir convenablement pour s’affirmer et se réaliser dans cette existence. Cette liberté d’action est importante comme le souligne M. Fabre-Magnan, (2008, pp. 288-289) :
La personne doit demeurer libre, et sa vie ne doit pas être dictée et instrumentalisée par autrui. Le principe de dignité interdit ainsi de réifier l’être humain en l’utilisant comme une chose, c’est-à-dire en l’asservissant entièrement à une autre fin que lui-même. La personne humaine doit être reconnue comme une personne juridique, dotée de volonté, et non pas exploitée et avilie.

C’est à dire que la personne, être de liberté parce qu’être raisonnable n’a de droit d’exister que si elle peut affirmer son humanité. Cela lui permet d’être un être en action, un être capable de contribuer à l’édification de l’humanité. Le gouvernement a le devoir de participer au développement de l’humanité des personnes déplacées pour qu’elles ne soient pas considérées comme des parasites nuisibles dans la société. Cette humanité doit être développée par des actions concrètes et vraiment axées sur leur éducation et leur formation A ce propos, P. Ricoeur (1999, p 314) affirme que « l’humanité de l’homme est assimilable à une charge confiée. » Elle l’est davantage pour les personnes déplacées. Des stratégies doivent être développées pour la manifestation de cette humanité confiée surtout dans cette situation difficile de vie des déplacés. Le respect de la dignité humaine est donc le socle d’une vie bonne. Les personnes ne doivent pas être diminuées dans leur être.

Conclusion

La dignité humaine est une valeur intrinsèque inviolable et inaliénable. Elle constitue un principe des droits de l’homme et permet de sacraliser la vie des êtres humains. Mais, il est à remarquer que dans la situation des personnes déplacées au Burkina Faso à cause des menaces et des attaques terroristes, cette dignité semble être remise en cause. C’est pourquoi, il est impératif de réinstaller ces personnes dans des zones qui seront créées comme des villages pour l’expression de leur dignité et de leur liberté. Il est également nécessaire de leur offrir une éducation de qualité, une formation professionnelle selon leurs compétences et une aide financière pour réaliser des activités de production.

SOME/SOMDA Minimalo Alice
Chargée de recherche à l’Institut des Sciences des Sociétés du Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique/ Ouagadougou/ Burkina Faso
alicesomda14@gmail.com

1. Selon le Conseil National de Secours d’Urgence et de Réhabilitation (CONASUR) donne un chiffre de 838 548 personnes déplacées internes à la date du 25 mars 2020 sur le faso.net du 03 avril 2020. Ce chiffre va sans cesse croissant puisque les attaques meurtrières continuent et la fin du terrorisme est inconnue.

Bibliographie

DUFOUR Dany-Robert ,2009 La cité perverse, Paris, Denoël.
FABRE-MAGNAN Muriel, 2008, « Dignité humaine » in Dictionnaire des droits de l’homme, Paris, Presses Universitaires de France, pp. 285-291.
HILL Jr. Thomas English., 1996, « Dignité et respect de soi », in Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, (Sous la direction de Monique CANTO-SPERBER), Paris, Presses Universitaires de France, pp. 438-443.
KANT Emmanuel, 1985 « Fondements de la métaphysique des mœurs », in Œuvres philosophiques, traduction de Victor Delbos revue et modifiée par Fernand Alquié, tome II, Paris, Gallimard, pp. 243-337.
NANEMA Jacques, 2002, « La démocratie en Afrique », in Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’UCAD, n°32, Dakar, Presses Universitaires de Dakar, pp. 173-187.
RICOEUR Paul, 1999, « Ethique et philosophie de la biologie chez Han Jonas », in Lectures, 2. La contrée des philosophes, Paris, Le Seuil.

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique