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La poudre de perlimpinpin du président Macron en Afrique : "il n’y a plus de politique africaine de la France", et autres illusions (2)

Une tribune de Kwesi Debrsèoyir Christophe DABIRE

Publié le vendredi 5 janvier 2018 à 23h44min

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La poudre de perlimpinpin du président Macron en Afrique :

Une époque donc s’ouvre, avons-nous dit précédemment, avec le jeune président Macron et sa politique africaine (tout comme il y a eu une politique africaine de Chirac, de Hollande ou de Sarkozy dont il faut se demander pourquoi toutes ces politiques n’ont jamais survécu à chacun de ces présidents français, et pourquoi on serait plus en droit de croire que la politique africaine de Macron lui survivra.

On serait donc aussi se demander ce que peuvent gagner les Africains dans des politiques africaines de la France qui disparaissent avec leurs présidents) : exit (finie) la poudre à canon de la colonisation et de la décolonisation, et bienvenue à la poudre de perlimpinpin.

Car dans la sincérité des vérités à se dire désormais entre la France et l’Afrique, il y a des vérités qui ne sont pas dites, et ne le seront pas. Ou si elles sont dites, ne seront jamais écoutées et entendues ; ce qui laisse donc encore la place à beaucoup d’illusions, celles aussi bien des Africains que de Macron lui-même

3. Religion

S’il y a bien un sujet sur lequel le président français se fait le plus d’illusions, et sur lequel il a littéralement prêché dans le désert, à Ouaga, c’est celui de la laïcité qui touche la religion à travers le "péril" de l’obscurantisme et de l’extrémisme religieux. Et comme par hasard, mais très logiquement, c’est aussi la partie de son discours la moins applaudie, alors qu’elle semblait très importante pour lui qui, rappelle-t-il, vient d’un pays laïque où l’État et la religion sont séparés.

Du coup, l’impératif laïque de Macron, qu’il martèle à quatre reprises ("Ne laissez jamais la religion... Ne laissez jamais, au nom de votre religion...") n’aura pas eu les faveurs des applaudissements de l’assistance. Pas plus que les décisions de "faire barrage à l’extrémisme religieux", dont l’ emprise est présente dans les écoles, les universités et même dans la politique ; d’"éradiquer le financement de l’extrémisme", et surtout de "fermer toutes les fondations" qui ont entretenu l’extrémisme pendant des décennies en Afrique et en Europe.

On se pose évidemment alors la question de savoir si, de la même manière qu’il ne revient pas au président français de réparer la climatisation dans les universités africaines et burkinabè, si c’est au même président français d’aller fermer des fondations en Afrique. D’autant plus que si la menace extrémiste est universelle, et le péril commun aux Français et aux Africains, on s’étonne que les dirigeants africains auxquels s’adresse Macron n’en aient pas eux-mêmes déjà pris conscience et décident d’eux-mêmes, chez eux, de prendre les mesures nécessaires et adéquates pour prévenir et contrer la menace et le péril de l’extrémisme religieux. Autrement dit, s’il y a danger et menace, pourquoi les dirigeants africains attendraient-ils que ce soit le président français qui viendrait décider, en accord avec les pays musulmans cités (Arabie-Saoudite, Quatar, Iran, Turquie) de fermer des fondations religieuses dangereuses qui existent donc depuis des décennies en Afrique ?

En vérité, si l’assistance n’a pas applaudi aux annonces de Macron sur le péril de l’extrémisme religieux, ce n’est pas, à coup sûr, parce qu’elle ne serait pas d’accord avec lui, mais parce qu’en Afrique en général, et au Burkina en particulier, personne n’est prêt à parler de la séparation du politique et du religieux au sens de la laïcité telle que l’entend Macron le Français. Et voilà pourquoi le président français a... prêché dans le désert :

Dans la mesure où, comme le remarquait un rapport de International Crisis Group, "les questions liées à la religion sont entourées de tabous au Burkina", personne, même d’accord avec Macron, n’a envie de l’applaudir sur ce terrain de la laïcité, au risque de donner l’impression d’être contre quelqu’un, contre les musulmans précisément (les pays que cite Macron, et qui financeraient des fondations religieuses extrémistes en Afrique et en France sont tous musulmans) .

En gros, pour les Africains et les burkinabè en particulier, il n’y a pas de problème religieux, et pas de débat à avoir à la française sur la laïcité. Rappelons qu’au Burkina Faso, un projet de loi sur les libertés religieuses a été retiré en janvier 2017 par le gouvernement suite aux inquiétudes des associations islamiques ; et que, après ce retrait, le chef de l’opposition politique, M. Zéphirin Diabré, s’est demandé : "Quel problème cette loi cherche-t-elle à résoudre ? Je ne le sais pas. Y a-t-il un problème de laïcité dans notre pays et, si oui, lequel ?" Et en effet aujourd’hui on peut entendre, par exemple, le démissionnaire Tahirou Barry invoquer et implorer Dieu comme s’il était en train de prêcher à la mosquée ou à l’église, alors qu’il ne retrouve que sa fonction politique de député à l’assemblée nationale, sans que cela choque personne !

Tous ceux donc qui pensaient que le rôle du politicien consiste aussi à anticiper et prévenir les problèmes avant qu’ils n’arrivent se rendent compte qu’ils ne peuvent pas compter sur leurs dirigeants politiques pour endiguer les menaces réelles ou possibles du religieux. Il ne leur reste plus qu’à...prier même davantage pour éloigner le problème de l’extrémisme religieux chez eux : la politique semble impuissante devant la religion et ses menaces, puisque toute mesure, même de l’Etat, visant à protéger des excès de la pratique religieuse est considérée comme une interdiction de pratiquer sa religion...

Il n’y aura jamais de débat ni de mesures sur la laïcité au Burkina où Macron a parlé, et pourtant des fondations extrémistes existent en Afrique qu’il faudrait fermer : on a du mal à croire que cela soit jamais effectif et possible si les Africains ne trouvent pas de problème dans ces fondations , et s’ils n’adhèrent pas au discours et au combat de la laïcité telle que l’entendent Macron et la France

4. Migrations

S’il y a également un sujet sur lequel des vérités doivent encore être dites, c’est bien celui des migrations et des migrants africains vers la France et l’Europe. Notamment sur la question de la dignité des Africains, alors même qu’on s’indigne :
A/ Au nom de cette dignité, on refuse ici de soutenir comme tout le monde, en France et en Afrique, que ce qui explique et justifie ces migrations soit la misère et le chômage.

Car, d’une part, ces migrations sont d’abord, depuis les indépendances, le privilège des élites africaines, avant de devenir aujourd’hui des aventures illégales pour les Africains ordinaires. Ces derniers ne font que reproduire et imiter, en plus tragique et illicite, une migration première des élites, légale et normale. Au point qu’on peut appeler cette migration généralisée des Africains vers la France en particulier un exode colonial (de la même manière qu’on parle d’exode rural vers les villes) : pour les élites africaines, à commencer par les dirigeants, comme pour les Africains ordinaires, la vie chez le maître français est meilleure que chez eux. Ce n’est pas dans les brousses africaines que les premiers passent leurs vacances, ni dans les dispensaires et hôpitaux de leurs propres pays que les dirigeants africains se soignent.

Et il est faux, d’autre part, de soutenir et raconter que les Africains les plus pauvres, ceux des brousses et villages, ne rêvent que de France et d’Europe : ils n’en ont même aucune idée. Les Africains qui n’ont vraiment pas de quoi vivre n’ont pas les moyens pour payer des passeurs et se rendre en France. De même que les migrants africains ne viennent pas des pays africains les plus pauvres comme le Burkina : des Camerounais, des Ivoiriens, des Congolais, des Sénégalais, qui ne vivent pas dans les pays les plus pauvres d’Afrique, ni en famine ni en guerre, se pressent en nombre aux portes de la France et de l’Europe, et prétendent que c’est la misère qui les y pousse !

Or il n’y a aucune dignité à s’identifier et à être identifié à la misère, et à l’utiliser pour se vendre. Pendant que Français et Européens identifient majoritairement les Africains à la misère, les Africains eux-mêmes se reconnaissent suffisamment misérables pour aller en France France et en Europe : "on veut partir là-bas parce que chez nous c’est la misère, on n’a rien". Pourtant tout indique au contraire que plus on vient de pays africain "riche", donc plus on a les moyens, et plus on se précipite vers la méditerranée. Pendant que des burkinabè migrent en Côte d’Ivoire pour travailler, des Ivoiriens prétendent comme autres Camerounais et Congolais qu’ils sont dans la misère et, donc, candidats à l’aventure (ou à la mésaventure) migratoire vers la France et l’Europe.

En accuser les dirigeants africains n’est pas, pour une fois, très juste ni honnête. Ils ne sont pas responsables des représentations que des Africains aisés ou pauvres se font de la vie en France et en Europe, et même s’il y avait le plein emploi en Afrique (il n’y a pas non le plein emploi en Europe !), les Africains ne resteraient pas pour autant dans leurs pays, car ils auraient même davantage les moyens pour partir : sauf si la vie en Afrique devenait meilleure qu’en France et en Europe, et les universités africaines plus performantes que les européennes, etc ...

B/ Pendant que l’on s’indigne avec raison, et la main sur le cœur, sur la situation récente des Africains réduits en esclavage en Libye, personne ne s’étonne de la docilité étrange dans laquelle ces migrants africains se laissent vendre : aucune résistance, aucune tentative de fuite ou même de bagarre (il y a des costauds pourtant), quittes à être abattus, mais au moins mourir avec dignité. Les Africains et le monde des Hommes s’indignent pour les migrants esclaves africains en Libye, mais eux-mêmes ne semblent pas mettre leur dignité d’êtres humains au dessus de leur désir d’arriver en France et en Europe pour y vivre : ils n’ont pas peur de mourir sans honneur ni dignité dans la traversée périlleuse de la méditerranée, mais ils semblent avoir plus peur de résister et de mourir plus noblement pour leur humanité digne...

En comparaison, des migrants Afghans et Syriens, pourtant sur le sol français, n’hésitent pas à se révolter et à se battre, dans la fameuse "jungle de Calais", contre les policiers quand ils estiment que leurs traitements et conditions de vie ne sont pas acceptables : ce n’est pas parce qu’ils sont migrants et réfugiés en France que leur dignité d’hommes ne devrait plus prévaloir et s’exprimer. Au contraire, on peut parier que des Africains accepteraient sans résistance qu’on les transporte chaînes au cou et aux pieds vers la France et l’Europe, pourvu qu’ils y arrivent et y vivent...

Conséquences : par un retournement inattendu, des Africains privilégiés qui avaient les moyens de partir illégalement vers la France et l’Europe se retrouvent comme des victimes à sauver et secourir, et les moyens déployés pour les rapatrier n’arriveront jamais jusqu’à ceux des Africains qui, même s’ils voulaient aussi partir, en seraient incapables faute de moyens, qui sont restés dans leurs pays et qui en ont davantage besoin pour vivre chez eux.

Jeunes d’Afrique, le président Macron vous a indiqué en même temps la voie la plus sûre et la plus magique pour aller en France : l’école et les études, qu’il ne faut jamais abandonner, même pauvres. Alors vous aurez la chance et le privilège d’avoir un "visa long séjour" pour la France. Mais, sérieusement, ce visa existe déjà en réalité pour les élites africaines qui n’ont pas de problème de visa pour circuler entre la France et l’Afrique en toute fluidité. Les migrants plus ou moins déscolarisés en sont d’office exclus, ils ne veulent pas circuler et être simplement de passage en France, ils veulent au contraire s’y rendre pour y rester, vivre et travailler...

Les mystiques allemands préconisaient de se détacher de tout, peut-être même de Dieu, de faire le vide en soi même pour mieux se remplir de Dieu. De la même façon sans doute, pour que la France vienne aux Africains de la façon la plus avantageuse et la moins ambiguë, il faudrait que les Africains commencent par se détacher de la France. Dans ce détachement consiste leur dignité. Et c’est ce détachement qu’il faut proprement nommer "décolonisation"...

Kwesi Debrsèoyir Christophe DABIRE

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