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Côte d’Ivoire : Pour les Ivoiriens, les « politiques » ne sont pas plus crédibles sous Ouattara que sous Gbagbo ou Bédié.

Publié le mercredi 14 décembre 2011 à 00h47min

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Un scrutin sans enjeu. Si ce n’est de propulser au pouvoir des individus dont chacun pense qu’ils ne feront rien de plus que les autres ; et, surtout, rien de ce qu’ils ont promis. Après des années de régime PDCI-RDA, puis une décennie FPI, après le drame vécu par les populations à la suite du combat des chefs voici tout juste un an, qui peut croire, en Côte d’Ivoire, que les « élus du peuple » représentent le peuple ?

« Le Parlement sera un Parlement véritablement consensuel, démocratique et contribuera au renforcement de la démocratie dans notre pays », a affirmé Alassane D. Ouattara au sortir de son bureau de vote, au lycée Sainte-Marie de Cocody.

Mais il n’y a pas grand monde pour le croire. D’abord, parce que le « Parlement » ivoirien n’a jamais été, dans ce pays, une institution démocratique ; et surtout pas quand Henri Konan Bédié en était le président. Ensuite, parce que le FPI, la principale « force » d’opposition (ou ce qu’il en reste), a boycotté le scrutin ; mais cependant des FPI se présentent à titre individuel, il faut quand même bien « aller à la soupe ». Enfin, parce que les Ivoiriens ont élu massivement (taux de participation record et majorité nettement affirmée) ADO lors de la présidentielle pour qu’il fasse le boulot que les députés ne feront jamais ; ils savent aussi que ceux qui peuvent l’en empêcher sont justement ceux qui rêvent d’une carrière politique alors que ce n’est plus à l’ordre du jour. Il n’y aurait donc que le chef de l’Etat pour croire que la Côte d’Ivoire a « besoin de parlementaires qui vont travailler pour la Côte d’Ivoire nouvelle ».

Quand ADO était le premier ministre de Félix Houphouët-Boigny, ses problèmes sont venus, pour l’essentiel, de la fronde menée par Bédié au « perchoir » de l’Assemblée nationale, devenu une tribune anti-ouattariste. « Dear Henry », comme on l’appelait alors, mettait à profit les séances d’ouverture des sessions pour mettre en cause la politique du gouvernement. C’est qu’à ces séances-là participaient non seulement les députés mais également les « élites » politiques et traditionnelles de la Côte d’Ivoire ainsi que les ambassadeurs accrédités dans le pays. Elimane Fall, dans Jeune Afrique (26 novembre 1992), a raconté cette rude bataille menée par ADO contre cette opposition interne (à cette époque, ADO et Bédié jouaient dans le même camp politique) : « Pour Ouattara, même s’il ne le crie pas sur les toits, ce sont les barons du PDCI-RDA dont, bien sûr, Henri Konan Bédié, qui sont responsables de la situation actuelle du pays. Et il lui revient de jouer les Monsieur Propre. « Si on ne me laisse pas poursuivre l’œuvre d’assainissement engagée depuis un peu plus de deux ans, confie-t-il, je rends mon tablier au président de la République et je retourne là où j’étais ». Message reçu cinq sur cinq par les caciques du parti : « Ouattara au pouvoir, pensent-ils, c’est la fin de nos privilèges. Il faut lui barrer la route ».

« La fin des privilèges » ? C’est à l’ordre du jour aujourd’hui comme il y a vingt ans. Mais personne, en Côte d’Ivoire, n’y veut y croire. Il peut bien y avoir plus de mille candidats pour seulement 255 sièges de député ; comme aurait dit ma mère, s’ils se battent autant pour avoir le job, c’est que la place est bonne ! « Good job », c’est certain. Plus encore quand se profilent à l’horizon des mannes financières massives qui doivent permettre le développement local.

Il ne faut cependant pas bouder notre bonheur. D’abord, ces législatives se tiennent à la date prévue. N’oublions pas que les dernières législatives remontent à… 2000 ! Ensuite, les troubles pré-électoraux ont été limités (officiellement cinq morts). Enfin, on va en finir (dans l’attente des élections locales) avec ces activités politiques « à risques » et le gouvernement va pouvoir passer aux choses sérieuses : gouverner ! « Omniprésident, disposant de tous les leviers du pouvoir, sans véritables adversaires » dit, de Ouattara, Rosa Moussaoui (L’Humanité du 9 décembre 2011). Sans doute ! Mais Gbagbo et, avant lui, Bédié, n’étaient pas moins bien lotis. Et ils avaient, en plus, entrepris de « liquider » leur opposition par l’exclusion. On peut, bien sûr, souhaiter une pratique démocratique quotidienne ; mais dans l’état où se trouve la Côte d’Ivoire qui oserait croire que cela soit, politiquement, économiquement, socialement, « sécuritairement » possible ? « On ne sort pas d’une guerre comme d’un gala » affirme fort justement un Ivoirien (papier de Laurent Lecourtois - Le Journal du Dimanche du 11 décembre 2011).

En Côte d’Ivoire, la réconciliation se fera autour du chaudron et nulle part ailleurs. Les politiques, pour la plupart, veulent « bouffer » ; la population veut manger. Chacun a dans la tête les images du temps où, en Côte d’Ivoire, tout était possible. Après deux décennies de crise, les « années Houphouët » sont sublimées par le souvenir. Les peuples ont la mémoire courte ; pas les responsables politiques ! Et Ouattara, élu à la présidence, voici un an, avec 51,4 % des suffrages, ne devra pas perdre de vue qu’il doit sa victoire au PDCI-RDA qui a joué le jeu du report des voix au second tour. Or, aujourd’hui, le FPI (en tant que parti) étant à terre et son leader, Laurent Gbagbo, étant transféré à La Haye, la vie « politique » ivoirienne se résume à un dialogue RDR-PDCI qui ne devra pas virer au « crépage de chignons » puis à l’affrontement. Or, jusqu’à présent, à l’exception de quelques « vieux de la vieille » - souvent d’ailleurs des « ouattaristes » passés dans le camp de Bédié avant d’accepter de revenir dans celui de Ouattara - les PDCI-RDA n’ont pas récolté les fruits de leurs efforts. Guillaume Soro est toujours premier ministre et ministre de la Défense et pourrait bien le rester compte tenu d’une situation « sécuritaire » qui n’est pas encore (loin de là) stabilisée*.

Du côté de Bédié, qui voit ses « amis » passer dans le camp d’ADO sous le prétexte qu’il faut être près du feu pour ne pas perdre de vue la marmite, les frustrations seront fortes quand il prendra conscience d‘être « le dindon de la farce ». N’oublions pas, non plus, que Gbagbo, battu nettement au second tour de la présidentielle, ne s’était pas effondré pour autant : 45,9 % des voix, ce n’est pas négligeable et peut laisser penser que son électorat basculera, le moment venu, dans une opposition radicale.

Autre incertitude : Soro. Ni PDCI, ni RDR, Soro seulement (même s’il était candidat RDR aux législatives). Avec un passé qui est aussi un passif mais, dans le même temps, un savoir-faire et des connexions qui font de lui un « homme promis à un grand avenir politique s’il n’est pas poursuivi par la justice internationale » (Jean-Philippe Rémy - Le Monde daté du dimanche 4-lundi 5 décembre 2011). C’est tout dire. Venant d’où il vient et allant là où il veut aller, il est sans état d’âme et sans illusions sur la nature humaine. C’est l’électron libre de la vie politique ivoirienne.

Qui se trouve plus libre encore dès lors que Ouattara est installé au pouvoir, que les législatives se sont déroulées sans drame majeur et que l’on va passer, désormais, du mode « politique » - où la donne est figée pour plusieurs années (une nouveauté en Côte d‘Ivoire qui a vécu plus de dix ans dans l’incertain) - au mode « économique » où tout reste à faire. Notamment en matière de redistribution du surprofit. Ce qui suscitera un intérêt « clientéliste ». C’est dire que ces législatives sans enjeu sont malgré tout un temps fort de la vie « politique » ivoirienne : la porte d’entrée dans une nouveau « temps » de l’histoire du pays dont le prochain aboutissement sera la présidentielle 2015. Avec Soro en « superstar » (alors quelque peu « has been ») mais aussi des « émergents » qui vont faire leur trou dans les mois et les années à venir.

* Ce n’est pas la « sécurité » qui pose problème mais les « sécuritaires » qui n’ont pas fait la part entre le service public et le service… individuel.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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