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Yé Lassina Coulibaly : « Les lieux de création et diffusion doivent coller aux habitudes du public »

Publié le mercredi 8 décembre 2010 à 01h55min

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Auteur, compositeur, interprète, Yé Lassina Coulibaly est l’un des meilleurs ambassadeurs de la musique burkinabè en France. A 44 ans, cet originaire de Bobo-Dioulasso est un artiste confirmé qui a déjà à son actif neuf albums, dont le dernier, "Combattre la faim" a été publié en 2006. C’est dans les années quatre-vingt qu’il a embrassé la carrière musicale, puis il collabore avec l’ensemble instrumental de radio Bobo avant de s’installer à Bourges, en France, où il enseigne la danse et la musique et il est souvent appelé pour intervenir en musicothérapie dans des structures de soins. Il a toujours tourné avec ses différents ensembles et orchestres, en Afrique comme en Europe. Rencontre avec celui qui croit dur comme fer que, au-delà de sa valeur esthétique, la musique possède une extraordinaire force et capacité à rassembler les hommes d’origines diverses.

Comment définiriez-vous votre genre musical ?

Je fais de l’afro-jazz, c’est à dire un mélange de musique traditionnelle africaine, celle de mon terroir, et de sonorités européennes. C’est peu dire que ma musique est éclectique ! Je travaille avec des instruments venant de plusieurs continents, du passé et contemporains, de façon à produire de la diversité dans les accords, d’autant que je viens d’un pays où cohabitent une soixantaine de groupes ethniques, chacun ayant son répertoire musical qui lui est propre. Par exemple, les balafons, qui sont des pentatoniques ne sont utilisés que par certains groupes, alors que l’ensemble des groupes entrent dans le chromatique ou diatonique.

Contrairement au Sénégal, la Côte d’Ivoire et les deux Congos, la musique burkinabè n’est pas bien connue hors de ses frontières. Existe t-elle réellement ?

Bien sûr qu’elle existe ! Et il y a bel et bien un style musical burkinabè qui est, comme dans les autres pays, lié à la diversité des cultures et des langues qui coexistent harmonieusement dans notre pays. Le seul problème, c’est que nous n’avons pas pour l’instant réussi à créer une marque à nous, qui soit clairement identifiable par le public. Le jour où, à Paris où ailleurs, dans n’importe quel pays, à Ouagadougou ou Bobo-Dioulasso, on organisera, dans une salle prestigieuse, une soirée pour célébrer la musique burkinabè, on s’apercevra qu’il est possible d’avoir un public que nous pourrons conquérir au plaisir de partager et écouter notre musique. Si le Blues, le jazz ou la musique classique ont un public bien ciblé, pourquoi le warba ou le liwaga par exemple n’aurait pas le sien ?

Vous êtes installés à Bourges depuis 1987, donc coupé du quotidien des Africains restés sur le continent. Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Oui, c’est vrai, géographiquement, je suis loin de l’Afrique, mais en fonction des commandes et de mes projets artistiques, il m’arrive régulièrement de travailler sur les deux continents, par ailleurs, il y a des faits de société, des évènements qui ont un caractère universel. A Bourges où je vis, par exemple, je m’interroge quand je constate que des jardins ou espaces publics ont disparu au profit de maisons de commerce, je me demande quelles peuvent être les conséquences de cette disparition sur le renforcement des liens sociaux. La vie en société, c’est quand même aussi des espaces communs où on peut se retrouver, toutes générations confondues.

Avec les nouvelles technologies, je suis l’actualité africaine et mondiale, et me tiens au courant de ce qui se fait et se dit. Les faits liés à la politique, à l’économie, aux rapports entre l’Afrique et le reste du monde, les problèmes d’immigration et d’éducation de la jeunesse, etc., sont également des sources d’inspiration pour moi.

En dehors des concerts et autres prestations sur scène, vous estimez que les musiciens doivent aller vers le public et être au plus près de leurs centres d’intérêts…

Absolument ! Je suis de ceux qui pensent que les lieux de création et de diffusion doivent évoluer avec le temps et coller aux habitudes du public. Il faut pour cela sortir du schéma classique, et aller vers des lieux qui ne sont pas à priori destinés à la diffusion d’œuvres musicales. Vous savez, les lieux de représentation ont considérablement changé, puisqu’on organise maintenant des festivals, non plus seulement dans les théâtres, mais sous des chapiteaux. On se tourne donc vers des structures informelles qui facilitent le contact et la communication du plus grand nombre ; c’est donc aux artistes d’aller à la rencontre du public et de l’inviter à s’intéresser à ce qu’ils font. Dans les villes et communes, il est par exemple imaginable de programmer des animations simultanées, équipées de sonos ambulantes, alliant parade, chant, danse ; tout se passerait dans la rue et ferait que des milliers de gens qui ne se connaissent pas, puissent se côtoyer dans la joie.

Voyez ce qui se passe le 21 juin, jour de la fête de la musique ; eh bien, pourquoi ne ferait-on pas cela dans les villes et villages à l’occasion de fêtes ou d’évènements heureux. En Afrique, cette pratique est toujours vivante dans les villages. Je plaide pour que, ensemble, musiciens et pouvoirs publics, nous puissions imaginer un dispositif qui nous libère du rapport classique producteur-diffuseur, afin d’investir de nouveaux lieux dont le plus populaire est la rue, sans craindre au nom de la sécurité de lui rendre vie. Car je pense que enfermer les gens, quelque soit le type d’enfermement, n’est pas une solution :« un homme dont on freine les vibrations est un homme mort » Sensibiliser les différentes communautés sur cet aspect du vivre-ensemble, c’est faire acte de citoyenneté, puisqu’il s’agit d’ouvrir leur cœur à d’autres cultures : pour qu’une culture soit forte et vivante, il faut qu’elle s’enrichisse d’autres cultures dans un échange bilatéral,

Vous organisez ce que vous appelez une résidence d’écriture musicale. De quoi s’agit-il et à qui s’adresse t-elle ?

C’est, tout simplement, un projet d’écriture musicale et pédagogique qui propose d’explorer les différentes techniques et styles musicaux afin de parvenir à l’élaboration d’un répertoire qu’on pourrait présenter lors de concert ou enregistrer en CD ou DVD. Ce que je veux, c’est partager avec, par exemple, les acteurs culturels et les élus, les Conservatoires nationaux ou régionaux, les associations culturelles, mes connaissances et les richesses de ma culture. J’invite donc les compositeurs, musiciens, interprètes, qui sont tentés par cette expérience de résidence d’écriture en France ou au Burkina à me contacter, car il est bien possible de collaborer ensemble et d’organiser des évènements culturels, des temps forts de spectacles et de concerts, de stages de danse, de percussion, d’éveil musical et danse pour jeune public en milieu scolaire ou non, à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso, deux villes qui disposent d’infrastructures appropriées, ainsi qu’à Paris ou toute autre ville de France ou pays francophone.

Quel est le contenu de ces stages ?

Pour la danse, le sens de la démarche est une prise de conscience de son propre corps, de favoriser le déblocage des tensions, de préparer une meilleure communication et d’apprendre à aimer son corps. J’apprends aux gens comment s’effectue le contact avec la terre, à comprendre le rythme et ses variations, à mieux coordonner les mouvements avec le tempo, autant de préalables qui permettent aux bénéficiaires de vivre les vraies sensations de son corps et d’être en disposition d’aimer son prochain.
Pour la percussion, j’explique la diversité des percussions dont on dispose dans nos cultures, particulièrement au Burkina. Je fais découvrir l’histoire du Djembé, j’explique la fabrication et l’entretien de chaque instrument et son rôle dans les différents styles musicaux lorsqu’on est sur scène ou dans les studios d’enregistrement.
Bien entendu, le contenu des stages tient compte des stagiaires.

Propos recueillis par Joachim Vokouma

Lefaso.net

Contact : yelassocoul@yahoo.fr

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Vos commentaires

  • Le 8 décembre 2010 à 09:21, par Argus En réponse à : Yé Lassina Coulibaly : « Les lieux de création et diffusion doivent coller aux habitudes du public »

    Ye Lassina Coulibaly est un artiste immensement talentueux qui a su trouver une place harmonieuse pour les instruments africains notamment le balafon dans le jazz. Quel bonheur de l’ecouter surtout le morceau dedie a la gloire de notre cher Bobo-Dioulasso dans l’album kongo kele. Un seul regret : Lassina ne joue pas au pays afin que le public et les artistes d’ici le decouvrent et aillent a son ecole. Un avis au Koro Menes Diallo de Jazz Ouaga : de grace, invitez Ye Lassina Coulibaly a la prochaine edition de jazz Ouaga. Et vous verrez. Succes garanti a 1000000 pour cent.

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