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Côte d’Ivoire : A force de vouloir éternellement « confisquer le pouvoir », Laurent Gbagbo s’est définitivement disqualifié

Publié le jeudi 2 décembre 2010 à 01h02min

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On ne peut pas ne pas y penser. Voilà décembre ; dans quelques jours ce sera le dix-septième anniversaire de la mort de Félix Houphouët-Boigny. Né un mardi (kouadio en baoulé), sa mort avait été officiellement annoncée un mardi : le 7 décembre 1993. On pouvait être critique sur l’homme politique et le régime qu’il avait instauré ; sur son entourage aussi, qu’il s’agisse des barons du PDCI ou des « grottos » à la tête des entreprises publiques, les uns se confondant trop souvent avec les autres et tout le monde confondant argent public et argent privé.

On ne pouvait pas, cependant, méconnaître ce qu’il avait fait de son pays ; et malgré les soubresauts politiques et sociaux, les Ivoiriens étaient fiers d’un pays qui s’était structuré et développé (même si la croissance avait été mal redistribuée) et dont la réputation sur la scène diplomatique n’était entachée par aucun coup d’Etat, aucun dysfonctionnement « tribaliste » ou religieux (terre musulmane, catholique et protestante, la Côte d’Ivoire a accueilli les Harristes, les Chrétiens Célestes, les adeptes de Papa Nouveau… sans jamais renier son animisme). Il y avait bien eu des affaires délicates (Jean-Baptiste Mockey, Mohamed Diawara…), mais rien de rédhibitoire.

Ce n’est plus vrai. Et ceux qui pensaient encore que la « calamiteuse » élection 2000 et tout ce qui s’en est ensuivi était du domaine de l’affabulation ou de l’ambition d’hommes instrumentalisés par le lobby de la « Françafrique », reviennent aujourd’hui de leur illusion. Il leur a fallu du temps, car ce qui se passe aujourd’hui, nous n’avons cessé de l’envisager. La « confiscation du pouvoir » par Gbagbo ne date pas d’aujourd’hui et il n’y a plus personne pour soutenir « l’opposant historique » à Houphouët. Dans les capitales africaines, chacun connaît le dénouement : il faudra déloger du pouvoir Gbagbo et ses séides s’ils n’en tombent pas comme des mangues gâtées.

Laurent avait d’ailleurs annoncé la couleur : « J’y suis, j’y reste », soulignant que tous les sondages le donnaient vainqueur et que les sondages ne pouvaient pas se tromper (ce qui ne l’a pas empêché de refuser, longtemps, trop longtemps, d’affronter les électeurs). Mais les sondages avaient été commandés par Gbagbo ; qui aurait osé lui dire que les « manips » de l’illusionniste ne faisaient plus… illusion. En France, ce matin, tous les quotidiens qui traitent de l’actualité ivoirienne notent que Gbagbo empêche la publication des résultats parce qu’il a perdu la présidentielle. Et ceux des journaux qui avaient fait du candidat sortant leur « champion » - à commencer par L’Humanité - font désormais profil bas. Un peu tard.

La présidentielle 2010 aura révélé à tous la vraie nature de Gbagbo : putschiste électoral. 2000-2010, il n’y a pas de rupture tout au long de la décennie. Sauf que, aujourd’hui, Gabgbo est décrédibilisé avant d’être définitivement disqualifié. Personne, en Côte d’Ivoire (y compris parmi ses proches, je parle de ceux qui, sincèrement, croyaient en lui en 2000 et ont, depuis, pris leurs distances) ne veut se retrouver face au « charnier de Yopougon », les « escadrons de la mort », la chasse aux « porteurs de boubou », les exactions contre les « Burkinabè », l’assassinat de Jean Hélène, de André Kieffer, la pollution du Probo Koala, la corruption au sein de la filière café-cacao… Ce temps-là est révolu. Tout comme celui de Gbagbo.

Le FPI ne saurait se résumer à Laurent Gbagbo et à ses séides de LMP (La Majorité présidentielle). Ce parti a été porteur, autrefois, en 1990 comme en 2000, d’une autre espérance. Celle d’une Côte d’Ivoire plus égalitaire au sein de laquelle la liberté d’expression politique serait respectée ; la liberté de la presse aussi. Une « espérance trahie ». Le « populaire » a cédé la place au « réactionnaire ». Gbagbo ne cesse de ressasser le passé sans jamais se projeter dans l’avenir. L’étudiant gauchiste n’a pas grandi. Ce ne serait pas grave si, dans le même temps, il n’avait pas entrepris de mettre par terre les acquis des années passées tout en s’adonnant, avec une équipe de « mafieux », à mettre en place un système politique fondé sur la corruption et la prévarication dont l’aboutissement sera « l’affaire du Probo Koala » et les détournements au sein de la filière café-cacao. Pas brillant.

C’est justement ce que craint Gbagbo. S’il n’est plus au pouvoir, les rancoeurs vont s’exprimer, les jalousies s’exacerber, les règlements de compte se multiplier au sein du… FPI. Thomas Hofnung le disait sans ambages, ce matin dans Libération : « Soumis à la pression de l’aile dure de son régime, dont certains ont tout à craindre de possibles enquêtes de la justice ivoirienne ou internationale, que va faire Gbagbo ? Ecoutera-t-il ceux qui lui suggèrent une « sortie par le haut » ? En reconnaissant sa défaite, il serait l’homme qui a su réunifier son pays et organiser la première élection réellement démocratique. Ou choisira-t-il la fuite en avant en mobilisant la rue ? Une option risquée, l’armée étant elle-même divisée : au premier tour, elle avait voté, à une courte majorité, pour Ouattara ».

Je ne pense pas que Gbagbo puisse être raisonnable. Simone, oui ; Laurent, jamais. Lui n’a pas de vision politique ; pas de compréhension stratégique de la situation. « J’y suis, j’y reste ». Il n’a d’autre programme que la satisfaction immédiate de son ego. La présidentielle n’est pourtant pas tout. Il y a, derrière, des élections législatives. Que Gbagbo ne pourra pas disputer avec un parti en miettes et des « électeurs » qui n’attendaient rien d’autre qu’une rétribution qu’il ne pourra plus assurer dès lors que la présidence lui aura échappé. Je n’attends rien de Gbagbo ; j’espère de quelques « socialistes » sincères, authentiques, qui auront la perception que, face au déferlement des « houphouëtistes », il faut, pour que la démocratie ivoirienne ait un sens, un parti historique et significatif, qui exprime, à l’assemblée comme dans les médias et la vie quotidienne des Ivoiriens, qu’un « autre monde est possible ».

Gbagbo, dans les heures et les jours qui viennent, risque fort d’être le fossoyeur du Front populaire ivoirien (FPI). Il me rétorquera qu’il en a le droit puisqu’il en a été le créateur. Mais cela ne fera que confirmer qu’il est, depuis toujours, politiquement, à côté de la plaque et que formidable orateur populiste il n’a jamais été qu’un homme politique médiocre et un homme d’Etat inconsistant. Dix années de pouvoir ; huit années « d’occupation » du territoire national par des troupes étrangères : bravo le patriote, bravo le « résistant » ! Dix années de pouvoir, dix années de collusion avec des multinationales qui ont mis l’économie ivoirienne en coupe réglée dans le cadre de marchés de gré à gré sans compter l’irruption des organisations « mafieuses » : bravo le « socialiste » !

Nous en sommes réduits, aujourd’hui, à être nostalgiques des années « Houphouët » (il y aura 65 ans dans quelques jours, le 6 décembre 2010, que Félix Houphouët, de passage à Dakar, en route pour Paris où il avait été élu député à l’Assemblée nationale constituante, a ajouté Boigny à son nom ; Boigny N’dri avait été, aux alentours de 1700, le fondateur du village de Kouasi N’go Kro, le futur Yamoussoukro). Ce n’est quand même pas normal.

Il faut espérer un sursaut d’orgueil et une prise de conscience politique des « socialistes » ivoiriens pour faire barrage à la tentation putschiste de Gbagbo. C’est à eux de faire ce boulot s’ils veulent encore représenter quelque chose sur la scène politique ivoirienne et honorer leur appartenance à l’Internationale socialiste (dont le FPI est toujours membre). Et on ne peut pas penser que la Côte d’Ivoire pourra évoluer démocratiquement sous la férule d’une classe politique monolithique qui n’aurait pas à subir la critique d’une opposition structurée : il faut que le FPI vive ; mais pour qu’il vive, il faut qu’il vire Gbagbo !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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