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Blaise Compaoré et la « question ivoirienne » : Chronique d’une « diplomatie inversée »

Publié le vendredi 2 avril 2010 à 04h50min

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Gbagbo, Compaoré et Soro lors de la signature des Accords de Ouaga

Les relations entre Ouagadougou et Abidjan ont toujours été « particulières ». Tout autant que les relations entre Bamako et Dakar. La faute, sans doute, au chemin de fer. L’une et l’autre « capitales » du Sahel ont été très tôt reliées aux deux ports francophones majeurs de l’AOF. Ce cordon ombilical explique, en partie, la connexion « historique » qui fait que l’histoire de la Côte d’Ivoire est étroitement dépendante de celle de la Haute-Volta. Oui, je dis bien que c’est Abidjan qui dépend de Ouaga et non l’inverse.

Certes, la colonisation de l’Afrique de l’Ouest, en un temps où le « maritime » était le vecteur exclusif de la conquête des territoires africains par les puissances européennes, a privilégié la côte au détriment de l’Afrique « profonde ». Mais il n’y a eu que la colonisation pour penser que la périphérie devait l’emporter sur le centre ; c’était dans l’intérêt des puissances impérialistes.

Michel Lajus, alors administrateur de la France d’outre-mer, ministre d’Etat chargé de la Coordination nationale, de l’Information et de l’Assistance technique, dans un « papier » publié en 1959, s’efforçant de convaincre le lecteur que « la Haute-Volta n’est pas le parent pauvre de la Communauté », écrivait sans barguigner : « Après avoir fourni de longues colonnes d’esclaves pour la traite des Noirs au XVIIIème siècle, la Haute-Volta devenue française a continué « d’exporter » ses fils, soit comme soldats dans les régiments de tirailleurs dits « sénégalais », soit comme manœuvres sur les plantations de Côte d’Ivoire ou de Gold Coast. Doté d’une solide organisation politique et sociale, le pays Mossi a été fort longtemps considéré comme un réservoir d’hommes, facile à exploiter aux moindres frais, ne nécessitant qu’une administration indirecte peu coûteuse grâce à l’utilisation de la chefferie traditionnelle. Cette région posait si peu de problèmes dans son ensemble que, malgré ses trois millions et demi d’habitants, on n’avait pas cru devoir en faire une « colonie » distincte et qu’elle restait morcelée entre la Côte d’Ivoire, le Soudan [actuel Mali] et le Niger ». On ne peut être plus clair, (avec le cynisme qui caractérisait l’administration coloniale) ; ce texte réaffirme que la Côte d’Ivoire était tributaire de la main-d’œuvre voltaïque pour son développement. La Haute-Volta ne fournissait pas que des « tirailleurs » et des « manoeuvres ». Elle fournissait aussi des « élites »… ivoiriennes. A la suite de l’élection d’une Assemblée territoriale le 31 mars 1957 au suffrage universel, un gouvernement de douze membres a été désigné ; « Devant la gravité de la tâche, écrit alors Lajus, la Haute-Volta rappelle un de ses meilleurs fils, Ouezzin Coulibaly, député de Côte d’Ivoire, qu’elle porte aux responsabilités de la vice-présidence (puis de la présidence) du gouvernement ».

Félix Houphouët-Boigny qui, plus que les colons, connaissait les connexions africaines (on disait que rien ne se faisait à Abidjan si Korhogo y mettait son veto politique), avait toujours pensé que le développement de la Côte d’Ivoire ne se ferait pas sans les Voltaïques. Il avait, avant même l’indépendance, décidé la constitution du Conseil de l’Entente (qui obligera Ouaga à rompre son alliance avec Dakar et Bamako dans le cadre d’une union fédérale) et c’est son projet de double nationalité ivoiro-voltaïque qui fera tomber le président Maurice Yaméogo en 1966.

Sous Houphouët, les relations entre Ouaga et Abidjan seront volatiles, tributaires de la « personnalité » au pouvoir dans la capitale voltaïque. L’accession mouvementée de Blaise Compaoré (dont l’épouse est d’origine ivoirienne) va détendre une atmosphère qui était devenue délicate sous la présidence du « révolutionnaire » Thomas Sankara. Mais il était évident dans l’esprit des populations ouest-africaines qu’un Ivoirien valait mieux qu’un Burkinabè ; et les Burkinabè en éprouvaient une réelle frustration. La mort du « Vieux » va changer la donne. Henri Konan Bédié, soucieux de s’imposer, va réécrire l’Histoire et son histoire. Le Baoulé n’avait pas de considération pour le Mossi. Président de la République, et pensant l’être encore longtemps, il va, dans les Chemins de ma vie (ouvrage publié quelques mois avant sa chute), fustiger ces « pays [qui] ont été mis en lambeaux, avec finalement des capitaines qui se retrouvaient présidents. Quand vous en arrivez à ce point, l’Etat est désagrégé ». L’Etat ivoirien, lui, se désagrégera non pas sous la férule d’un petit capitaine communiste et révolutionnaire mais sous celle d’un président imbu de lui-même et ancré dans ses certitudes qui pensait que « l’ivoirité », autrement dit le rejet des autres (à commencer par les Burkinabè) était la clé de la pérennité de son système de gouvernement.

A la suite de la mort du « Vieux », le 7 décembre 1993, la dévaluation du franc CFA, quelques semaines plus tard, le 11 janvier 1994, était organisée pour conforter (financièrement) l’accession au pouvoir de Bédié. Ouaga, contraint et forcé, se soumettra à une décision qui n’allait pas dans le sens de ses intérêts économiques. Les relations entre Ouaga et Abidjan vont d’autant plus se refroidir que Bédié ne cessera d’affirmer haut et fort que l’ancien Premier ministre ivoirien, Alassane Ouattara, était Burkinabè et « n’avait donc pas à se mêler de nos affaires de succession », nourrissant ce ressentiment dans la mise en œuvre du principe « d’ivoirité ». Abidjan reprochera à Ouaga, à l’occasion de la mort du « Vieux », d’avoir adressé le télégramme de condoléances à Ouattara et non pas à Bédié, d’avoir reçu à la présidence du Faso « l’opposant » Laurent Gbagbo alors qu’il séjournait dans la capitale burkinabè dans le cadre d’une conférence. La polémique, en ce temps-là, se nourrissait aussi de la mise à mort d’un étudiant burkinabè par un policier ivoirien dans le train reliant les deux capitales et de la remise en question par le PDCI (sous la conduite de Laurent Dona Fologo) du vote des Burkinabè vivant en Côte d’Ivoire mais n’ayant pas acquis la nationalité ivoirienne.

La chute de Bédié, le 24 décembre 1999, et l’accession au pouvoir du général Robert Gueï vont pousser tous les protagonistes de la première « crise ivoiro-ivoirienne » à montrer du doigt le Burkina Faso et son « ressortissant » : Alassane Dramane Ouattara, présenté comme l’instigateur d’un coup de force dont la « logistique » aurait été assurée par le voisin du Nord. Cette mise en cause va atteindre un point culminant avec l’assassinat, jamais officiellement élucidé, à Ouaga, de Balla Keïta, un « Nordiste » ivoirien proche de toute la classe politique (et tout particulièrement de Gueï dont il était le bras droit politique) à l’exception de Bédié. Quelques semaines plus tard va se dérouler la tentative de coup de force militaire du 18-19 septembre 2002 qui va bouleverser l’évolution de la Côte d’Ivoire et changer les rapports de force dans la sous-région ouest-africaine. Entre temps, Gbagbo avait accédé à la présidence de la République et les relations entre Ouaga et Abidjan n’avaient cessé de se distendre compte tenu de la chasse engagée contre les « porteurs de boubous » et de l’assimilation des Burkinabè de Côte d’Ivoire aux supporters de Ouattara, provoquant un vaste repli d’une partie de la diaspora installée depuis plusieurs générations en Côte d’Ivoire.

La deuxième « crise ivoiro-ivoirienne » va être mise à profit, avec habileté, par Blaise Compaoré pour « inverser » les relations diplomatiques entre Ouaga et Abidjan. Pour cela, il va jouer de sa connaissance intime des protagonistes du jeu politique ivoirien (à commencer par Gbagbo) et de la « solide organisation politique et sociale » du Burkina Faso qu’évoquait déjà, voici plus d’un demi-siècle, Michel Lajus.

A suivre

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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