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Génération dagara sans identité : un choix

Publié le vendredi 18 septembre 2009 à 04h04min

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M. Gbaanè Kpoda Mwinbaponé Narcisse, c’est avec un grand intérêt que j’ai lu votre article paru dans l’Observateur paalga du 19 août 2009 et portant le titre “GENERATION SANS IDENTITE”. Le titre, je l’ai aimé. Il m’a touché. Je considérais mon article “Campagne d’établissement des actes de naissances, les Dagara, plus des hors-la-loi, enfin ?” comme mettant fin à mon “devoir” d’information en tant qu’ancien archiviste de la sous-commission nationale du dagara.

Je pensais que le nouveau bureau de la sous-commission nationale du Dagara, élu le 27 octobre 2007 pour relancer, redynamiser, redimensionner la SCND dont les activités prometteuses ont pris du plomb, allait se saisir du problème en tant que personne morale, agissant au nom de tous les Dagara dans le cadre stricte de sa mission de valorisation et de protection de la langue, culture, tradition et identité dagara.

Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, l’utilisation du patronyme dagara (dowru), comme nom de famille, en lieu et place du matronyme (balu/bèlu), utilisé jusque-là, n’est ni un débat intellectuel ni une invitation à une application aveugle du Code de la famille et de la personne, encore moins une façon de singulariser le Dagara. Bien au contraire. Dès 1975, à l’assemblée générale constitutive de la SCND à Diébougou, ce sont les Dagara en pays dagara qui ont dénoncé la pratique des intellectuels et autres salariés, pratique qui consiste à donner le matronyme du père aux enfants, afin de se conformer à l’exigence de l’administration tous azimuts.

En effet, aucun patron (blanc ou noir), aucun service administratif public ou privé ne pouvait comprendre qu’un papa SOME ait des enfants DABIRE ; ou, pire, que des enfants HIEN, DABIRE, KPODA, etc. aient le même papa SOME, parce que leur papa SOME est polygame et que les coépouses ont des balu/belu différents. Cela posait un sérieux problème de légitimité dans la gestion des allocations familiales, des pensions, de l’héritage et dans certains cas, du capital décès.

Pour les Dagara présents à l’Assemblée, en majorité des hommes et des femmes d’un certain âge, des chefs de cantons du temps, des chefs de terre..., la solution au problème était simple : il faut rectifier le nom Dagara en substituant le matronyme au patronyme, qui représente la véritable famille d’identification de tout Dagara, homme ou femme, garçon ou fille. Pour résoudre l’appréhension des intellectuels détenteurs de diplômes, de passeports, ou déjà connus sous leur matronyme, il leur fallait tout simplement établir des certificats d’individualité. Faut-il le répéter, le matronyme ne permet pas d’identifier la famille (yir) d’un Dagara.

Il y a des SOME, des DABIRE, etc. dans toutes les familles dagara. Il y a des SOME chez les ZAW, les KUSIELE, etc. Tenez ! : “A Ouagadougou, Kpagnonnè Somé V. a été réveillé une nuit pour s’entendre dire : “Il y a un jeune Kpagnonnè qui est décédé”. Le groupe de Dagara venu réveiller SOME V. ne pouvait rien décider, aucun d’entre eux n’était Kpagnonnè. SOME V., parce qu’il était Kpagnonnè, était obligé de prendre les choses en main en tant que représentant de la famille Kpagnonnè”.

Mon cher Narcisse, toute famille dagara a une origine, une histoire, un totem, des interdits qui la distinguent des autres. L’organisation socio-économique est basée non seulement sur la famille nucléaire, mais surtout sur la grande famille ZAW, METUOLE, GBAANE, etc. Cela est perceptible dans les mouvements de migration/ émigration, dans les évènements tels que les funérailles, les mariages, la chasse où chaque famille a ses flèches marquées et possède le secret de son poison.

Je vous invite à aller vous renseigner au village ou à lire la Monographie du Père Hébert, le Mythe du Bagre, The Social Organisation of the Lo-Wiili de Jack Goody, etc. et surtout les nombreux mémoires et thèses (partie recherche sociologique) des grands-séminaristes dagara à Koumi, et vous n’aurez plus à dire que le patronyme n’a pas de sens chez les Dagara.

Fort heureusement, dans notre entretien du 30 août 2009, vous avez fait un “lapsus” en écrivant patronyme à la place de matronyme dans votre phrase “Je ne serai pas non plus d’avis qu’on revienne sur ce qu’on avait voulu imposer aux Dagara, c’est-à-dire donner le patronyme (qui n’a pas de sens chez le dagara) à l’enfant”. Vous avez tenu à ce que je demande à l’Observateur paalga de publier cet article réponse que j’avais déjà préparé et de relever l’erreur parce que votre article avait été lu par beaucoup de gens. C’est chose faite, mais sachez que le balu (chez les Wulé) et le bèlu (chez les lobr) ont aussi un sens.

Si nous revenons à l’utilisation du patronyme, il convient de dire que les termes nom/prénom(s) n’étaient pas si clairs dans l’esprit de tout le monde. Le code de la famille, en précisant que le NOM représente le nom de famille et, plus exactement, le patronyme permet aux Dagara de mieux se faire comprendre par les agents qui établissent les pièces d’état civil, où qu’ils se trouvent. L’utilisation des matronymes SOME, DABIRE, etc. comme nom de famille, était une erreur qu’il fallait corriger.

Répétons-le, ce sont nos parents au village qui avaient relevé cette erreur dès 1975 et avaient, en 1979, mandaté le bureau de la SCND de “saisir” les autorités administratives pour la corriger. L’utilisation des matronymes était devenue tronquée, même abusive. Non seulement on privait les enfants du droit de porter leur matronyme, mais on voyait de plus en plus des combinaisons ridicules telles que DABIRE-HIEN, SOME-KPODA, etc. A la longue, on aura des combinaisons de plus en plus longues.

L’utilisation des patronymes dagara (KUSIELE, GBAANE, METUOLE) comme noms de famille est conforme à la culture dagara et au code. L’utilisation des matronymes est aussi obligatoire, mais n’étant pas des noms de famille, les matronymes commencent les prénoms. Vous êtes d’accord. Ce qui vous tracasse, c’est l’utilisation des patronymes/matronymes dans les mariages exogames que vous appelez mariages hybrides.

D’abord, parlons des mariages endogames. Le port du même nom de famille (donc du même patronyme) signifie que l’on est issu de la même lignée patrilinéaire. Chez les Wule, le mariage est impossible ; chez les Lobr, il y a des ramifications qui l’autorisent. L’utilisation du patronyme et du matronyme, tous deux obligatoires, est simple. Si on dispose nom/prénom(s) comme il se doit, il n’y a aucune confusion possible quelles que soient les alliances, endogames ou exogames.

ENDOGAMIE
Premier cas : monogamie
Epoux-Nom : KUSIELE
Prénom(s) : Somé Bonian Paul
Epouse-Nom : ZAW
Prénom(s) : Dabiré Ianta Jeanne
Elle s’appellera Mme KUSIELE née ZAW Dabiré Ianta Jeanne
Enfant : KUSIELE Dabiré Ganda Noël

Deuxième cas : si KUSIELE Somé Bonian Paul est polygame
2e épouse : Nom : GBAANE
Prénom(s) : Hien Deku Angèle
Elle s’appellera Mme KUSIELE née GBAANE Hien Deku Angèle
Enfant : KUSIELE Hien Benita Edith

EXOGAMIE
Premier cas : un Dagara épouse une femme non dagara
1er couple :
Epoux-Nom : METUOLE
Prénom(s) : Méda Der Aubin
Epouse-Nom : KONE
Prénom(s) : Kady Berthe
On a Mme METUOLE née KONE Kady Berthe
Enfant : Nom : METUOLE
Prénom(s) : Bonta Pascal (sa maman n’a pas de matronyme)

2e couple :
Epoux-Nom : ZAW
Prénom(s) : Somé Inien Gaston
Epouse-Nom : TRAORE
Prénom(s) : Fanta Eliane
On a Mme ZAW née TRAORE Fanta Eliane
Enfant : Nom : ZAW
Prénom(s) : Dinien Elise (sa maman n’a pas de matronyme). Si les enfants de ces deux couples se marient, l’épouse s’appellera Mme METUOLE née ZAW Dinien Elise et l’enfant : METUOLE Kunibè Jules (rappelons-nous, ZAW Dinien Elise n’a pas de matronyme à donner à son enfant parce que sa maman est TRAORE Fanta Eliane).

Deuxième cas : une femme dagara épouse un non-dagara
Epoux-Nom : KABORE
Prénom(s) : Adama Jean
Epouse-Nom : KUSIELE
Prénom(s) : Dabiré Ziri Odette
On a Mme KABORE née KUSIELE Dabiré Ziri Odette.

Comme vous le voyez, dans tous les cas on ne peut pas avoir la combinaison de deux (2) patronymes comme nom de famille : pas de GBAANE-ZAW, ni de KABORE-KUSIELE. * Si le principe du respect mutuel de la culture de l’un et de l’autre partenaire est retenu, la femme dagara donnera son matronyme à ses enfants.

Son enfant s’appellera, par exemple, KABORE Dabiré Wendkuni Pierre. Cela sera plus facile, car si elle a une fille (KABORE Dabiré Wenpouri Diane) qui se marie à un Dagara, le problème de la transmission du matronyme ne se posera pas. * Si, par contre, le mari non-dagara ou la société dagara s’oppose au fait que sa femme dagara donne son matronyme à leurs enfants, on aura KABORE Wendkuni Pierre, KABORE Wenpouri Diane.

Ce serait comme si la maman n’était pas Dagara. Cela devient un problème d’existentialisme, comme vous le soulignez, M. GBAANE KPODA W. Narcisse, voire un rejet de l’identité de l’autre. Quoi qu’on dise, la mère de Pierre et de Diane dans ce cas, leur grand-mère, leur arrière-arrière-grand-mère est dagara.

Pourquoi alors ne voudrait-on pas qu’ils portent leur matronyme ? Matronyme qui n’est pas un nom de famille, répétons-le. C’est leur droit. Autant la culture de la femme non-dagara qui se marie à un Dagara est respectée, autant la culture de la femme dagara qui épouse un non-dagara doit l’être.

Si la circulaire N°0013-IS/DGI/DAA du 5 février 1990 du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité, demandant aux préfets des départements d’alors de réserver un accueil favorable aux nombreuses demandes des Dagara qui voudront retourner à l’authenticité de leur filiation, avait été suivie, si la lettre N°00234/FP/MTJ/SG/DACPS du 5/09/1990 du ministère de la Justice appelant à l’application du Code à tout enfant né après le 4 août 1990, date de la mise en vigueur du code, avait été prise en compte, tous les enfants dagara nés après le 4 août 1990 devaient voir leur patronyme figurer sur leurs actes de naissance comme nom de famille, en lieu et place de leur matronyme.

L’acte de naissance étant une pièce essentielle à tout individu, il est urgent que le bureau de la sous-commission nationale du Dagara assume pleinement sa mission de sauvegarde de la langue, de la culture et de la tradition dagara en convoquant une assemblée générale extraordinaire pour se pencher sérieusement sur l’usage du patronyme et du matronyme dagara.

L’existence de la sous-commission nationale du Dagara est presque, sinon totalement, méconnue de nos jours. Après une hibernation de ses activités depuis 1980, il y a de quoi ! Trente ans de silence ! Le nouveau bureau se doit de réagir sans attendre à tout problème touchant la culture dagara. Il n’y a pas d’excuses. L’inquiétude de GBAANE KPODA Mwinbaponé Narcisse exprimée dans son article “Une génération (dagara) sans identité” est un cri de détresse qui vous interpelle, vous les membres du bureau de la SCND, habilités à parler au nom de tous les Dagara du Burkina.

ZAW Somé L. Gabin : Tél. 50-43-51-88 / 76-60-04-87

L’Observateur Paalga

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