Burkina/Culture : « Je m’inspire de ce que je vis, de ce que je vois autour de moi, et j’essaie de traduire cela en musique », Zabda

Atypique, s’il fallait le qualifier en un mot. Il a su dompter les mélomanes avec son style particulier, un pot-pourri de musiques du monde dominé par les sonorités du Moogho. Zabda, « Sid zabda yoba », comme l’appelle affectueusement son grand-père, la trentaine révolue, est une puissance vocale qui se fraie lentement et sûrement un chemin doré dans le monde de la musique burkinabè. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, l’artiste revient sur sa carrière et ses projets. Lisez !
Lefaso.net : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Zabda : Je m’appelle Zongo Sibiri Ablassé à l’état civil, mais je suis plus connu sous le nom de scène Zabda, qui vient de l’expression « Sid zabda yoba ». C’est un nom que m’a donné mon grand-père, et il signifie « La vérité fait mal à l’enfant, à l’ignorant ». L’idée derrière ce nom est que, souvent, lorsqu’on dit la vérité à un enfant, il peut penser que c’est par manque d’amour, alors qu’il s’agit simplement d’une réalité difficile à accepter. Je suis né le 1er janvier 1982 dans la province du Kadiogo, dans le village de Kari, situé à 25 km de Ouagadougou, dans la commune de Tanghin Dassouri. J’ai passé toute mon enfance et effectué mes études primaires à Kari avant de venir à Ouagadougou pour continuer mon parcours. Cependant, les études n’ont pas abouti comme je l’espérais, et j’ai dû chercher d’autres moyens pour m’en sortir.
Comment êtes-vous venu à la musique ?
J’ai commencé la musique au début des années 2010. Mes premiers pas ont été marqués par la création de mon premier groupe de rap avec David le Kombattant et Dramane. Ce dernier nous ayant malheureusement quittés. Nous étions trois dans ce groupe appelé Dada, basé au quartier Tampouy. Malheureusement, le groupe n’a pas duré longtemps et s’est vite disloqué. Par la suite, j’ai formé un autre groupe avec un ami nommé Aboubacar, que nous avons appelé Système 7. Nous faisions toujours du rap. Avec ce groupe, nous avons participé à des compétitions comme Craven A Flowz avec Gérard Koala, ainsi qu’à d’autres concours. Malgré quelques singles, nous n’avons pas réussi à produire un album, et le groupe s’est dissout. C’est autour de 2012 que j’ai décidé d’entamer une carrière solo, changeant mon pseudonyme de Big Lass à Zabda, pour refléter cette nouvelle direction.
Comment décririez-vous votre style musical ?
Je fais de la musique que j’appelle « la musique du Moogho ». C’est une fusion des sonorités traditionnelles de chez moi, telles que le zonka, le warba, le wiré, le wedbindé, et la musique des masques. Mon objectif est de créer un pont entre ces musiques traditionnelles, qui sont profondément ancrées en moi, et d’autres genres musicaux comme le funk, le rap, le reggae, et surtout l’afrobeat, qui est mon genre de prédilection.
Pouvez-vous nous parler de votre processus de création ?
Je crée avec mon quotidien. Je m’inspire de ce que je vis, de ce que je vois autour de moi, et j’essaie de traduire cela en musique. Les thématiques de la liberté, de l’enfant, de l’éducation, et de la femme en tant que porteuse de l’avenir et gardienne de la vie, me touchent particulièrement. L’environnement est également une source d’inspiration majeure pour moi, notamment la dégradation que j’ai constatée par rapport à mon enfance.
En termes de méthode, je commence généralement par trouver une mélodie. Ensuite, je rédige les paroles. Je ne laisse rien au hasard, même lorsque j’écris en langue locale. Je choisis d’abord un titre qui représente la racine de ma création, puis je développe la mélodie en fonction de la thématique. Une fois que j’ai trouvé la mélodie, je compose les paroles et je structure le tout. Je n’arrive jamais en studio sans une idée claire de ce que je veux en termes de batterie, de piano, etc. Je propose ensuite cette base à l’arrangeur, qui peut l’enrichir à partir de mes idées.
Quel rôle joue le Moogho Band Orchestra dans votre processus de création ?
Avec le Moogho Band Orchestra (MBO), nous avons un véritable esprit d’équipe. Lorsque j’ai des thématiques en tête, je les propose au groupe, et nous travaillons ensemble sur les compositions. C’est un réel travail d’équipe où chacun apporte sa touche pour aboutir à un résultat unique.
Quels ont été les moments forts de votre parcours ?
En 2014, j’ai sorti mon premier single intitulé « Zelemdé », qui a été clipé par mon ami Yves Edgard et qui a eu un certain succès. Un autre moment marquant a été la création de mon groupe musical, le Moogho Band Orchestra (MBO), en 2018. Ce groupe est composé de quatre musiciens talentueux : David Zamba à la batterie, Kader Compaoré à la guitare solo, Aristide au roudga et au saxophone, Amoss Paré à la guitare basse, et moi-même à la calebasse, au kundé et au chant.
Quels sont les succès qui vous ont marqué le long de cette carrière et que vous pouvez partager avec nous ?
La sortie de mon album « Nissala » a été un tournant majeur dans ma carrière. En 2020, j’ai bénéficié d’une bourse de l’Institut français, qui m’a permis d’obtenir un visa pour une résidence de création en Europe. Cette expérience m’a offert l’opportunité de rencontrer d’autres musiciens, de participer à des ateliers d’écriture, de recherche et de structuration, et de voir comment ils abordaient la musique. Ce séjour a été extrêmement enrichissant pour moi. À mon retour à Ouagadougou, nous avons entamé une résidence avec mon orchestre, le MBO. Cette résidence a abouti à l’enregistrement de l’album « Nissala » en live chez Eliezer. L’album est sorti le 21 juin 2021 à l’Institut français de Ouagadougou, où nous avons donné un grand concert. Ce spectacle comprenait de la danse, des projections vidéo en fond avec des figures comme Amadou Hampâté Bâ et Joseph Ki-Zerbo interrogeant l’humain. C’était un spectacle de 1h45 qui a été un véritable succès et a énormément contribué à ma carrière artistique.
Quelles sont vos influences musicales ?
L’afrobeat m’a énormément influencé, notamment à travers un artiste comme Fela Kuti. J’admire également Ali Farka Touré et Toumani Diabaté pour leur maîtrise de la kora. Au Burkina Faso, je suis inspiré par des artistes tels que George Ouédraogo, Jean Claude Bamogo, et Zougnazagamda, qui ont tous contribué à enrichir mon univers musical.
Comment décririez-vous l’évolution de votre carrière ?
Depuis mes débuts, j’ai connu une belle évolution, notamment grâce aux rencontres avec d’autres artistes et à ma participation à des masters class. Mon écriture, ma composition, et ma structuration musicale se sont grandement améliorées. J’ai également perfectionné mon jeu à la guitare ainsi que sur les autres instruments que je pratique. Ma voix a beaucoup évolué grâce aux formations et aux échanges que j’ai eu avec d’autres musiciens.
Vous avez cette habitude d’entonner un chant très invocateur au début de vos concerts. Est-ce un rituel pour vous ?
Oui, chaque artiste, et même chaque être humain, a son propre rituel. Il est important de reconnaître que la musique est spirituelle, c’est une expression de l’âme. Avant chaque concert, avec mon groupe, nous prions à notre manière. Lors de mes concerts, je commence toujours par une introduction rituelle, une communion avec l’univers, la nature, et tous les éléments qui nous entourent. J’invoque la montagne, la terre, l’air, l’eau, afin de créer une harmonie avant de débuter le spectacle.
Quels sont vos projets récents ?
En 2022, j’ai eu un projet en collaboration avec trois musiciens français, intitulé « BARBARINS FOURCHUS ». C’était une rencontre entre la musique électronique et la musique traditionnelle de chez moi. Nous avons fait une fusion, intégrant un peu de « machine », et cela a donné lieu à un concert au CENESA le 22 mars 2023. C’était un spectacle musical unique.
Je viens également de rentrer de France, où nous avons fait une résidence et une tournée avec un projet qui s’appelle « Sek taaba land ». J’ai aussi un projet théâtral avec BÉTO du Niger, intitulé « le silence des hommes ». Nous avons présenté ce projet au Luxembourg lors du festival Vue d’Harmattan, et nous allons le reprendre en octobre.
De plus, en février 2025, je prévois d’inviter un musicien français au Burkina Faso pour travailler sur la thématique de l’eau. Nous organiserons des ateliers d’écriture, de musique assistée par ordinateur (MAO), ainsi que des tournées. Nous allons également enregistrer et rencontrer des artistes burkinabè dans le cadre de ce projet.
Y a-t-il un album ou un morceau qui vous a particulièrement marqué ?
L’album qui m’a beaucoup marqué, c’est « Nissala ». Le titre qui m’a le plus touché est « Zelemdé ». C’est une chanson très personnelle où je demande les bénédictions de mes parents pour ce que je suis en train de faire, pour ma carrière. C’est un morceau en mooré, et il résonne profondément en moi. Je suis vraiment fier de l’album « Nissala ». C’est un travail abouti, composé de 12 titres. Nous en avions enregistré 15 au départ et finalement nous avons retiré trois. Cependant, je suis très satisfait des morceaux que nous avons conservés. Le titre phare de l’album est « Solidarité », que nous avons clipé, et qui tourne en boucle actuellement.
Quelle est votre plus belle expérience musicale ? Un concert mémorable ?
Je pense aux Récréâtrales, l’édition de 2018. Nous avons donné un concert avec mon groupe, le MBO. Chaque fois que je repense à ce concert, j’en ai des frissons. C’était un moment inoubliable.
Nous avons suivi ce concert aux Récréâtrales 2018 et nous avons vu comment le MBO à galvanisé les spectateurs. Comment décririez-vous cette relation avec le public ?
C’est une relation qui est difficile à décrire, mais elle est essentielle. Il faut dire que je viens du théâtre, donc je comprends l’importance de l’occupation scénique. Lors d’un concert, il est crucial de créer une connexion avec le public. On n’est pas seul, on ne joue pas dans son salon. Il faut partager ses émotions avec le public, les inviter à une communion, pour que le concert devienne une expérience collective.
Comment gérez-vous les retours du public et des critiques ?
Je prends toutes les critiques de manière positive. Certains peuvent me dire que telle chose était bien, d’autres que c’était nul. C’est normal, chacun exprime son ressenti. Ces retours me permettent de prendre du recul. Parfois, on est tellement impliqué dans ce qu’on fait qu’on ne se rend pas compte de certaines choses. Je ne vois aucun problème avec les critiques.
Quel est votre avis sur les concerts virtuels, vous qui êtes un grand fan du live ?
Je pense que les concerts virtuels ont pris de l’ampleur avec la pandémie de covid-19. Pour moi, l’idéal est de combiner un concert en présence du public avec une diffusion en direct sur des plateformes digitales. Cela permet à des millions de personnes, même à l’autre bout du monde, de suivre l’événement. Cela laisse aussi des traces que l’on peut revoir plus tard. En tant qu’artiste, cela permet de se visionner, de se corriger. Cependant, je ne me sens pas à l’aise avec l’idée d’un concert purement virtuel dans une salle vide. Il manquerait le contact humain, l’échange avec le public qui fait la richesse d’un live.
Comment conciliez-vous votre carrière musicale et votre vie personnelle vous qui êtes tout le temps parti pour une résidence, pour un concert etc.?
Ce n’est pas facile. On est souvent en déplacement, et même quand on est là, on n’est pas toujours vraiment présent. Mais j’essaie de trouver du temps pour ma famille. Parfois, je me déconnecte complètement pendant quelques jours ou une semaine pour passer du temps avec les miens.
Nous ne doutons pas que vous êtes musique, vous respirez musique, mais à côté, quels sont vos autres loisirs ?
J’aime l’élevage et l’agriculture. Ce sont des activités qui me permettent de me ressourcer.
Après toutes ces expériences et vos différentes collaborations, tant bien nationales que internationales, comment Zabda voit l’avenir ?
Je développe une carrière internationale, et mon ambition est de conquérir le monde. C’est pourquoi je collabore avec des artistes de divers horizons. Mon rêve est de pouvoir faire des tournées chaque année sur les cinq continents.
Vous êtes un acteur de l’industrie musicale burkinabè, quelle appréciation en faites-vous aujourd’hui ?
Je suis fier de dire que la musique au Burkina Faso a beaucoup évolué. De nos jours, je vois des artistes qui vivent de leur art et qui sont respectés pour cela. Même si l’industrie musicale burkinabè manque encore d’organisation, de nombreux artistes arrivent à gagner de l’argent, notamment grâce aux mariages, baptêmes, etc. Le Bureau burkinabè des droits d’auteur (BBDA) et le ministère de la Culture jouent également un rôle important. Avec la digitalisation, les retombées sont de plus en plus visibles. Ce qui manque, c’est une meilleure organisation de la part des artistes eux-mêmes. Ils doivent comprendre qu’ils doivent travailler dur, lire, et faire des recherches. La musique est un investissement, et si l’on travaille sérieusement, il n’y a aucune raison que notre musique ne porte pas ses fruits.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes artistes ?
Ne vous lancez pas dans la musique parce que vous n’avez rien d’autre à faire ou pour vous faire remarquer. Faire de la musique, c’est choisir un métier, comme celui de menuisier, maçon, ou ingénieur. C’est un choix de vie qui exige un investissement personnel. La musique a ses propres règles qu’il faut connaître et maîtriser. Il est crucial d’avoir une identité, une originalité, et de ne pas chercher à copier les autres. Faites la musique comme vous la ressentez et travaillez sans cesse pour la perfectionner. Ce n’est pas toujours facile, mais chaque pas compte. Quand on voyage de nuit, on n’a pas besoin que la lumière éclaire les 100 kilomètres à venir ; il suffit d’éclairer juste devant soi et d’avancer petit à petit jusqu’à destination.
Avez-vous un rêve ou un projet particulier ?
Mon rêve est de construire un laboratoire de recherche et de création musicale, dédié aux sonorités et musiques du Burkina Faso, en particulier les musiques traditionnelles et ancestrales de toutes les ethnies. J’aimerais que ce centre soit un lieu où les pensionnaires puissent cultiver pour se nourrir tout en développant leurs talents artistiques.
Interview réalisée par Ange A. Paré
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Crédit photos : VEP