Le complot de 20 heures : L’heure à laquelle Blaise COMPAORE devait mourir
Dans son incapacité à résorber la crise qui minait le cercle du pouvoir, et face à la désobéissance aux mots d’ordre du CNR, Thomas SANKARA avait décidé de faire la peau à Blaise COMPAORE, Jean-Baptiste LINGANI et Henri ZONGO à partir d’un vaste complot programmé pour le 15 octobre 1987 à 20h. Retour sur un scénario macabre qui aura fait long feu.
« C’était soit Thom, soit Blaise » dit-on souvent de l’avènement du 15 octobre 1987 à l’endroit de ceux qui utilisent la mort de Thomas SANKARA comme un fonds de commerce. Ces derniers qui sont pour le moins des fossoyeurs de la mémoire tentent de tronquer la vérité historique sur cette date dont les témoignages se recoupent pour reconnaître qu’il s’agit bien du dénouement d’une crise patente qui minait le centre du pouvoir et qui était consécutive aux méthodes de gestion arbitraires du président du CNR.
Si les observateurs voyaient les signes d’essoufflement de la Révolution d’août, ils étaient sans doute loin d’imaginer que le président du CNR, Thomas SANKARA, allait y voir les mains de ses principaux collaborateurs et non le fait de la révolution, elle-même, de sa direction et des sacrifices qu’elle exigeait à un peuple déjà exsangue et las d’attendre les retombées de son engagement.
Thomas SANKARA en se rendant compte que la plupart des structures révolutionnaires avaient commencé à désobéir aux mots d’ordre du CNR cherchera donc des boucs émissaires comme pour ne pas reconnaître un échec qu’il savait d’abord personnel par principe et ensuite et surtout du fait de sa personne parce qu’il a été incapable d’anticiper sur les évènements. Ainsi, il voyait des complots partout, allant jusqu’à accuser ouvertement son compagnon et ami d’être auteur de tracts d’opposition contre lui lors d’une réunion le 3 septembre 1987, parce que celui-ci s’était inquiété d’un certain nombre de pratiques néfastes.
A cette rencontre qui s’est d’ailleurs terminée en queue de poisson, Blaise COMPAORE avait eu le courage de faire savoir que l’Organisation militaire révolutionnaire (OMR) en tant que regroupement militaire était incapable de mobiliser les masses et par conséquent ne pouvait pas prétendre être l’avant-garde de la révolution. En plus il y dénonça certaines sanctions non justifiées prises contre des révolutionnaires civils.
Un mois jour pour jour après cette rencontre crispée, la crise politique s’élargira davantage entre les deux leaders de la révolution à l’occasion de l’anniversaire du DOP célébré le 2 octobre à Tenkodogo. En effet, ce jour-là, le président du Bureau national des étudiants intervenant au nom de la jeunesse a fait un certain nombre de griefs au CNR.
Thomas SANKARA considérant ce discours comme un crime de lèse-majesté et une attaque personnellement dirigée contre sa personne décida de le faire sanctionner. Sur ces entrefaits le pouvoir révolutionnaire du Houet (PRP) qui s’est réuni quelques jours plus tard approuvera plutôt ce discours, ce qui a eu le don d’agacer prodigieusement le président du CNR. Alors qu’il tenait à sanctionner le discours de Tenkodogo et les responsables locaux du Houet, Blaise COMPAORE, lui, était plutôt pour le dialogue. A la réunion des chefs historiques de la Révolution qu’il convoqua le jeudi 8 octobre 1987 à 19h au siège du Conseil de l’Entente (laquelle) le cdt Jean-Baptiste LINGANI ne prendra pas part, parce que en tournée dans l’Ouest du pays), Thomas SANKARA remettra le sujet sur le tapis. Ses deux camarades réitèrent leur scepticisme quand à l’efficacité de la voie des sanctions qu’il proposait.
Le tournant du meeting de Tenkodogo
Dépité ce jour-là, Thomas SANKARA claqua la porte mettant ainsi fin à la réunion. Il regagna son bureau d’où il téléphona au Commandant de la Gendarmerie pour donner l’ordre d’arrêter Blaise COMPAORE et Henri ZONGO tout en indiquant qu’il verrait le cas du commandant Jean-Baptiste LINGANI, une foi que celui-ci rentrera de sa tournée. Poliment mais fermement, celui-ci lui fera savoir qu’une telle mission était extrêmement périlleuse voire irréalisable au vu des réalités militaires du moment. Il lui conseilla d’essayer autre chose.
Ce qu’il fit quelques instants plus tard. Ainsi, prit-il l’initiative de joindre Blaise COMPAORE par téléphone autour de 22h pour s’excuser de son comportement de 19h et lui assurer qu’il se rendait à leur avis. C’était du SANKARA tout fait. Il cache son jeu et fait l’innocent auquel on devrait accorder le bon Dieu sans confession. Mais ce coup-ci, il était conscient d’être allé un peu trop loin et certain que les choses ne pouvaient pas se limiter à une seule précaution aussi décidat-il de mettre d’autres cordes à son arc.
Ainsi il mit en état d’alerte dans la même nuit toutes les unités militaires dont les chefs lui étaient acquis. Il s’agit de l’ETIR de Kamboinsé, du BIA de Koudougou, de la FIMATS installée à Saaba et de la garde présidentielle. Tout cela à l’insu de Jean-Baptiste LINGANI, pourtant commandant en chef du Haut commandement des Forces armées populaires dénomination d’alors du chef d’Etat major général des armées et de Blaise COMPAORE, commandant de la 5e Région militaire de qui ces unités relevaient, excepté le BIA de Koudougou.
Conscient que tous ces mouvements ne pouvaient qu’exacerber les suspicions et alimenter la rumeur publique sur les dissensions entre lui et les autres chefs historiques de la Révolution, il fit émettre une note dans laquelle il prétendit qu’ il n’y avait « aucun problème au sein de l’OMR, ni entre les 4 chefs historiques de la Révolution ». Cependant, il précisa que « désormais l’OMR considère que celui qui s’attaque au président du CNR s’attaque à elle-même et à la Révolution ». En termes clairs, Thomas SANKARA personnifiait l’OMR, laquelle était garante de la Révolution. Par ailleurs les contradictions avec le président du CNR seraient désormais considérées comme des attaques et résolues selon les méthodes de l’OMR.
Des menaces à peine voilées qui seront appuyées d’autres mesures concrètes dont la création de la fameuse FIMATS qui à en croire le ministre en charge de la Sécurité du moment devait permettre la mise en œuvre de la nouvelle politique sécuritaire du régime. En effet, déclarait-il en Conseil des ministres le 14 octobre 1987, « pendant longtemps nous nous sommes occupés de nos ennemis, maintenant nous allons nous occuper de nos amis ». Plus que jamais la confrontation se précisait et devenait d’autant plus inévitable que les éléments acquis au Président du CNR ne faisaient plus mystère des divergences entre lui et ses « amis » dont la FIMATS devait s’occuper. Si fait que les commandos du CNEC de Pô détachés à Ouaga voyant la situation se dégrader à vue d’oeil se sont concertés pour trouver une solution à la crise.
Une réunion fut convoquée le 14 octobre presque naïvement par le chef du détachement qui ignorait que les militaires du palais présidentiel étaient déjà sur le pied de guerre.
A cette rencontre se retrouvèrent les militaires du Palais présidentiel, du BIA et du CNEC de Pô. L’atmosphère surchauffée au cours de la réunion poussera son initiateur à la reporter au lendemain 15 octobre dans la matinée. Comment en était-on arrivé là ? La situation avait de quoi donner froid dans le dos ! Comment des frères d’armes en étaient-ils arrivés à un tel degré d’opposition car il s’agissait bien de cela sinon on pouvait difficilement parler d’idéologie ou de courant politiques au niveau des hommes. En réalité, le 14 octobre, les éléments favorables à SANKARA n’entendaient plus s’inscrire dans une quelconque logique de dialogue parce qu’ayant déjà mis en place leur stratégie. Une telle détermination ne pouvait provenir que de leur donneur d’ordres qui n’était autre que Thomas SANKARA lui-même.
On dira après coup que le chef de détachement des commandos de Pô a eu le nez creux en reprogrammant la réunion car les militaires de Pô seront informés par certains de leurs compagnons d’armes de la sécurité présidentielle d’un complot dit « Opération de 20h » qui visait à éliminer physiquement Blaise COMPAORE, Jean-Baptiste LINGANI et Henri ZONGO ainsi que les révolutionnaires qui avaient des problèmes avec Thomas SANKARA. Pour ne pas éveiller de soupçon chacun devait se comporter comme d’ordinaire en commençant par Thomas SANKARA lui-même, qui devait respecter son calendrier du jour. Ainsi respecta-t-il la réunion du Secrétariat permanent du CNR prévue le 15 octobre à 16 h sous sa présidence.
C’était une manière pour lui non seulement de mieux voiler son opération de 20h mais aussi de permettre à ses hommes de main de vérifier leur dispositif. Deux unités devaient intervenir : l’ETIR de Kamboinsé dont le chef de corps Michel KOAMA avait demandé à ses éléments d’être à la base avant 15 h le jeudi 15 octobre, la FIMATS du mercenaire Vincent SIGUE qui avait lui déjà réussi à faire sortir du magasin une quantité importante de munitions dont des roquettes RPG7 et les grenades offensives à l’insu de Blaise COMPAORE qui était censé signer le bon de sortie en tant que commandant de la 5e région militaire. A la Base aérienne, les hommes de Thomas SANKARA avaient préparé quatre avions de type SIAI MARCHETTI qui avaient pour mission d’empêcher toute avancée éventuelle des troupes de Pô sur Ouaga.
Alerté, le capitaine Henri ZONGO entre en contact téléphonique avec le lieutenant Elisée SANOGO, adjoint de Michel KOAMA, pour s’inquiéter de la situation. Celui-ci lui demanda de passer de le voir à l’ETIR s’il voulait des informations et que dans tous les cas ils se verraient au siège du CNR dans la soirée. Pour parler avec autant de culot à un supérieur de surcroît chef historique de la Révolution, Elisée devait avoir plus que des assurances. En plus, le propre chauffeur de Blaise COMPAORE a été reçu par SANKARA autour de 12 heures pour l’amener à se désolidariser de lui. Une importante somme d’argent lui sera proposée à cet effet.
La réunion de 16 h devait donc permettre de tenir Blaise COMPAORE à l’œil et d’endormir sa méfiance afin qu’il ne se doute de rien. Lorsque les coups de feu éclatèrent à 16 h, ce fut la panique générale dans les rangs des comploteurs. Eux qui étaient occupés aux derniers réglages pour l’assaut de 20h se retrouvèrent court-circuités. Le mercenaire SIGUE qui était en pleine reconnaissance de terrain avec ses éléments sur la route de Saaba en ce moment-là s’écria en ces termes : « Pourquoi tirent-ils maintenant ? C’était prévu pour 20h ». Comprenant par la suite que le complot avait été déjoué il prit la fuite vers le Ghana.
Les éléments de SANKARA prépositionnés à la Base aérienne voulurent résister en tentant un bombardement aérien de la Radio et de la zone du Conseil de l’Entente. Ils furent maîtrisés et réduits. Ainsi, Thomas SANKARA s’est fait prendre dans son propre piège.
L’Opinion